Chili: trois meurtres de la police en cinq jours et la campagne frauduleuse de réforme des carabiniers

Au cours des neuf premiers jours de février 2021, la police paramilitaire des Carabiniers chiliens a été responsable de la mort de trois jeunes hommes de la classe ouvrière. Si cette organisation est connue pour sa brutalité, les trois morts marquent cependant une intensification de la guerre de classe contre la jeunesse et la classe ouvrière. C’est le gouvernement d’extrême droite du président Sebastian Piñera, soutenu par la «gauche» parlementaire, qui a lancé cette nouvelle offensive.

Le 9 février, la nouvelle qu’on avait pris deux carabiniers, Andres Navarro Pulgar et Ilton Zambrano Marin, en flagrant délit d’agresser un Bolivien de 23 ans, Jaime Veizaga Sánchez, puis de se débarrasser du corps, a bouleversé le Chili. Veizaga était presque mort lorsqu’il fut jeté d’un véhicule militaire devant le service médico-légal de la ville minière de Calama. Il est mort avant que les secouristes n’arrivent jusqu’à lui.

Des carabiniers à Santiago, Chili

Les deux carabiniers ont été arrêtés après avoir été formellement inculpés d’homicide involontaire et de contrainte illégale. Le rapport préalable d’autopsie n’a pas permis de déterminer la cause exacte du décès de Jaime Veizaga. Le procureur Raúl Marabolí s’est donc borné à dire que «les policiers n’avaient pas apporté une assistance adéquate à Veizaga et abandonné à l’endroit où il est mort». L’autopsie préliminaire a révélé «des signes de choc systémique non spécifiques pouvant avoir une origine infectieuse et devrait être exclus par l’histologie» qu’il n’y eut «aucune dynamique traumatique de trouvé dans l’analyse de la tête».

Sur la base de ces premières conclusions, le 13 février, la Cour de garantie (qui, dans le système judiciaire chilien, examine la légalité de la privation de liberté) a ordonné la libération des deux policiers. Elle a aussi ordonné leur placement en résidence surveillée de nuit et en détention nationale pendant les 200 jours prévus pour l’enquête sur cette affaire.

Le ministère bolivien des Affaires étrangères a demandé au Chili d’accélérer l’enquête sur la mort de Veizaga et a exigé des actions concrètes pour rapatrier la dépouille du jeune homme.

Jaime Veizaga Sánchez est la troisième personne victime de la violence policière en cinq jours. Auparavant, le 5 février, le sergent Juan González Iturriaga avait abattu Francisco Martínez, un artiste de rue de 27 ans, lors d’une altercation suite à un contrôle d’identification préventif. L’événement s’est produit en plein jour, dans une rue très fréquentée et devant des dizaines de témoins à Panguipulli, une ville lacustre d’Araucanía, la région la plus pauvre du Chili.

Martínez était l’oncle d’Anthony Araya, le jeune qui fut poussé d’un pont par les carabiniers lors des manifestations anti-violence policière à Santiago, en octobre dernier. Martínez a reçu cinq balles dans le corps avant de tomber par terre au milieu d’un carrefour très fréquenté. Alors que la foule descendait sur la scène en scandant «Meurtriers!», les flics sont partis en abandonnant le mourant dans la rue. La police ne réapparu qu’en masse pour réprimer violemment la manifestation.

Si le sergent González a été détenu et placé en résidence surveillée, la cour d’appel de Valdivia l’a ensuite libéré et placé sous mandat d’arrêt national afin qu’il se présente tous les quinze jours pendant les quatre prochains mois, la durée de l’enquête.

Puis, dans la soirée du 7 février Camilo Miyaki, 27 ans, fut retrouvé pendu dans une cellule du commissariat de la commune de Pedro Aguirre Cerda. Un commissariat connu pour avoir torturé et sévit sexuellement contre au moins deux personnes détenues lors des manifestations massives de jeunes et de travailleurs fin 2019.

On avait arrêté Miyaki et son amie ce matin-là parce qu’ils n’avaient pas de laissez-passer de sécurité COVID-19. Son amie fut libérée dans la journée. Mais on a retiré le jeune homme de sa cellule d’origine et l’a placé dans une autre ayant « un angle mort, qui ne permettait pas de voir ce qui arrivait au détenu». En violation du protocole, il a également reçu une couverture. La police a ensuite affirmé qu’il s’était suicidé, ce que sa famille a vigoureusement nié. Une enquête est en cours.

Ces crimes et d’autres commis récemment par la police montrent l’intensification d’un programme d’État policier suite à la révolte sociale qui a secoué le Chili fin 2019. La désobéissance civile étudiante déclenchée par une montée du prix des transports publics s’était transformée presque du jour au lendemain en manifestations de masse. Un mouvement de masse s’est développé contre des décennies d’inégalités sociales extrêmes et de violence policière, en opposition à l’élite politique profondément haïe qui a émergé durant la transition de la dictature militaire à un régime civil.

C’est la classe ouvrière qui a payé, par la perte des vies et des moyens d’existence, le coût des deux dernières années de crise économique aggravée, exacerbée par la pandémie mondiale. La principale cause de la mort de dizaines de milliers de personnes du COVID-19 n’est pas seulement la maladie mais aussi la pauvreté multi-générationnelle, l’insuffisance et la surpopulation des logements dans des communes densément peuplées, le manque de services publics et d’eau potable, et le sous-financement et manque de ressources des hôpitaux publics. Les victimes sont principalement issues de la classe ouvrière.

Au cours de ces deux années, les travailleurs et les jeunes ont connu les licenciements massifs, les hausses de prix, l’endettement accru, les expulsions et la rue. Ils ont manifestés maintes fois, malgré la pandémie, pour protester contre l’atteinte à leurs droits sociaux et démocratiques. Le gouvernement Piñera n’a répondu que par la répression. Il a eu recours à des mesures policières et quasi dictatoriales et a déployé les forces armées dans les rues du Chili pour la première fois depuis des décennies, tuant ou faisant disparaître des dizaines de manifestants, causant de graves blessures et mutilations à des centaines d’entre eux et violant les droits de l’homme de milliers d’autres.

La clé de voûte de la capacité du gouvernement à mettre en œuvre ces mesures a été l’opposition parlementaire. Cette dernière, tout en critiquant publiquement Piñera, a fait passer en force ses principales politiques. Elle s’est engagée dans un programme d’unité nationale dans le but de réorienter le sentiment anticapitaliste croissant dans les voies sûres de la politique parlementaire.

En réponse au déclenchement de la pandémie de COVID-19, le premier engagement significatif de Piñera a été de décréter l’état d’urgence et un couvre-feu, qui est toujours en vigueur à ce jour. Avec l’approbation explicite du Congrès, l’état d’urgence a permis à Piñera de mettre les chefs de la défense nationale en charge des 16 régions respectives du pays. Le Congrès a également approuvé l’utilisation des forces armées pour la défense des «infrastructures critiques», sans avoir à déclarer l’état d’urgence.

Le Congrès a également approuvé l’augmentation des budgets de Piñera pour le maintien de l’ordre et l’intensification de la militarisation des carabiniers et de la Police d’investigation (PDI) au cours des deux dernières années, les équipant de véhicules blindés de classe militaire, de gilets pare-balles, d’armes et dispositifs de surveillance sophistiqués.

La manifestation la plus significative de la campagne d’unité nationale a été un référendum pour une nouvelle constitution qui devait remplacer la charte imposée par un plébiscite truqué en 1980, sous la dictature militaire haïe du général Pinochet. Cette opération menée pendant un an par l’establishment politique de «gauche» du pays, l’appareil syndical et les groupes de la pseudo-gauche pour dissiper une situation révolutionnaire au milieu du danger réel de régime autoritaire et de dictature, s’est avérée avoir un succès momentané.

Les derniers assassinats policiers menacent de raviver les luttes généralisées qui ont explosé à la surface en 2019 et refait surface en 2020. C’est le sens des propos du député René Saffirio, ancien démocrate-chrétien et opérateur politique chevronné depuis les années 1970.

Après la mort de Francisco Martínez, Saffirio a déclaré «[Une] circonstance aussi douloureuse que celle-ci peut générer un état de convulsion politique majeure, qui pourrait parfaitement mettre en péril notre processus constitutif».

Il a rappelé que le mouvement de masse qui a éclaté en 2019 avait pris l’ensemble de l’establishment politique au dépourvu et a averti que celui-ci ne pouvait pas se retrouver dans la même position: «Maintenant que nous le voyons, nous devons donc agir rapidement, avec célérité, avec responsabilité et avec un grand sérieux.»

Il faut placer les appels à une réforme ou à une refonte des carabiniers dans ce contexte. C’est une campagne frauduleuse ayant les mêmes objectifs que la Convention constitutionnelle. Le Parti communiste stalinien (PCCh), le Frente Amplio et le Parti socialiste sont tous complices de promouvoir l’illusion de prétendues «traditions démocratiques» au Chili qui constitueraient une ‘exception nationale’. Alors que la nature contre-révolutionnaire et anti-ouvrière de l’État capitaliste est à nouveau mise à nu, ces forces politiques tentent collectivement de tromper les masses par cette vieille chimère et rendent ainsi leur service particulier au capitalisme.

«Nous exigeons la refonte totale de l’institution des carabiniers. Elle se trouve de plus en plus délégitimée en raison des affaires de corruption où elle est impliquée et de son action policière autonome, sans aucun contrôle civil. La seule possibilité d’avancer dans une démocratie saine pour notre pays passe par cette refonte et non par des réformes mineures, incapables de modifier la police répressive que nous connaissons», a déclaré le PCCh dans un communiqué repris par le reste de la «gauche» parlementaire.

Pour aller de l’avant, les travailleurs et la jeunesse du chili doivent d’abord analyser et rejeter les conceptions politiques et idéologiques avancées depuis longtemps par la fausse gauche et les faux partis socialistes. Leurs positions et actes ont permis au capitalisme chilien de rester au pouvoir malgré les nombreuses et courageuses batailles pour le socialisme lancées par la classe ouvrière. La lutte pour clarifier ces questions et d’autres questions cruciales est décisive pour préparer une direction internationaliste révolutionnaire au sein de la classe ouvrière. Cela nécessite la construction d’une section chilienne du Comité international de la Quatrième Internationale, le parti de la révolution socialiste mondiale.

(Article paru d’abord en anglais le 17 février 2021)

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