Les gouvernements provinciaux et fédéral au Canada lèvent les restrictions relatives à la COVID-19 malgré les mises en garde d’une troisième vague meurtrière

Soulignant «l’apparition et la propagation» de variants plus contagieux du virus de la COVID-19, l’administratrice en chef de la santé publique du Canada Theresa Tam a déclaré lors d’une conférence de presse vendredi dernier: «Si nous ne maintenons pas et ne respectons pas des mesures de santé publique strictes, nous ne pourrons peut-être pas éviter une nouvelle accélération de l’épidémie au Canada. Ces variants ont couvé en arrière-plan et menacent maintenant de se propager rapidement.»

Tam a étayé ses avertissements par des projections de Santé Canada qui montrent que les nouvelles infections pourraient atteindre 10.000 cas par jour d’ici la fin mars si les restrictions actuelles de santé publique sont maintenues, et se multiplier jusqu’à 20.000 si ces restrictions sont assouplies. «Une nouvelle levée des mesures de santé publique entraînerait une recrudescence rapide et forte de l’épidémie», a-t-elle déclaré.

Les mises en garde de Tam concernant une «troisième vague» d’infections massives et de décès font écho à celles des épidémiologistes et autres experts de la santé dans tout le pays. Mais leurs avis scientifiques sont ignorés par tous les gouvernements provinciaux du pays, et avec la pleine bénédiction du gouvernement libéral au niveau fédéral, l’employeur de Tam.

Infirmière d’une unité de soins intensifs qui tient un téléphone pour permettre à un patient atteint de la COVID-19 de parler avec sa famille. (Source: AP/Daniel Cole)

Les divers paliers de gouvernements au Canada sont néanmoins en train d’élaborer la «levée des mesures de santé publique» en dépit de la mise en garde de Tam de vendredi dernier. Ce faisant, ils ouvrent la voie à une recrudescence des infections qui ajoutera des milliers de décès supplémentaires à un bilan déjà horrible qui a augmenté de plus de 40 % au cours des deux derniers mois seulement et qui s’élève maintenant à plus de 21.600.

En Alberta, le gouvernement du Parti conservateur uni met en œuvre un plan en quatre étapes pour rouvrir complètement l’économie. À l’exception des centres de sports et des lieux de divertissement, pratiquement toute l’économie est rouverte, même si d’importantes épidémies sur les lieux de travail se poursuivent, comme à l’usine de transformation de la viande Olymel de Red Deer.

En Ontario, le gouvernement progressiste-conservateur dirigé par Doug Ford a levé l’état d’urgence le 8 février et annoncé le retour à un plan de réouverture régional avec un code de couleur. Les entreprises de la majorité des districts de l’Ontario ont été autorisées à rouvrir à partir du 16 février, et York, l’un des foyers épidémiques de la province, a emboîté le pas dimanche. Ford a accepté à contrecœur que les mesures de confinement restent en place dans la région métropolitaine de Toronto et dans la région voisine de Peel jusqu’au 8 mars, mais seulement parce que les responsables locaux de la santé et d’autres secteurs ont fait part à plusieurs reprises de leurs inquiétudes quant à la levée prématurée des restrictions.

Le gouvernement Ford a également achevé sa réouverture dangereuse des écoles catholiques publiques et autres financées par la province, les écoles de Toronto, de Peel et de York ayant reçu l’ordre de rouvrir pour l’enseignement en classe à partir du mardi 16 février. Cette politique dangereuse, qui met en danger la vie des enseignants et des élèves, a été appliquée par les syndicats. Ces derniers répriment l’opposition à la réouverture des écoles parmi les enseignants, notamment en isolant les actions de grève qui ont éclaté dans les écoles touchées par la COVID-19, tout en lançant des appels pathétiques au gouvernement de droite de l’Ontario pour qu’il investisse plus d’argent dans l’éducation afin, pour reprendre leurs termes, que les écoles n’aient plus jamais à fermer.

Les entreprises du Québec ont rouvert leurs portes il y a deux semaines et le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) a annoncé que tous les lieux de divertissement, à l’exception des bars, rouvriront le 26 février. Comme dans les autres provinces, seules les mesures sanitaires les plus rudimentaires, telles que la réduction du nombre de places assises, le port de masques et le lavage des mains, sont maintenues. Depuis janvier, les écoles ne dispensent pratiquement plus que de l’enseignement en classe.

Le rejet désinvolte des avis des scientifiques par l’élite dirigeante est motivé par sa détermination à protéger à tout prix les profits des sociétés, même si cela nécessite le sacrifice de milliers de vies en plus.

Le gouvernement libéral fédéral et les gouvernements provinciaux de toutes tendances politiques ont canalisé des sommes pratiquement illimitées vers les marchés financiers, les banques et les grandes entreprises, tout en privant le système de santé de ressources et en refusant de fournir aux travailleurs non essentiels et à leurs familles le soutien dont ils ont besoin pour se loger chez eux jusqu’à ce que la propagation du virus soit stoppée.

Au lieu de cela, dès que le plan de sauvetage massif des sociétés a été finalisé au printemps dernier, l’establishment politique et les médias bourgeois ont lancé une campagne meurtrière de retour au travail.

Tout au long de la pandémie, les gouvernements de tous les paliers ont fait preuve d’indifférence face à la propagation galopante de la COVID-19 sur les lieux de travail. Les statistiques au Québec montrent que les lieux de travail et les maisons de soins infirmiers sont responsables de 30 à 33 % des éruptions de COVID-19, tandis que les écoles sont responsables de plus de 23 % des nouvelles infections.

Ces chiffres ne reflètent pas entièrement l’impact des nouveaux variants de la COVID-19, qui se propagent rapidement et sont jusqu’à 30 % plus infectieux. Selon les derniers chiffres du Québec, 135 cas de nouveaux variants du virus ont été détectés, bien que les experts de la santé considèrent que cela constitue très certainement une sous-estimation de leur prévalence. Des centaines de cas du variant britannique ont été détectés en Ontario. Au Canada, plus de 700 cas des variants britannique, sud-africain et brésilien du COVID-19 ont été enregistrés à ce jour.

Alors que de plus en plus de secteurs de l’économie sont rouverts, alimentant du coup une résurgence de la transmission, le risque qu’un nouveau variant se développe au Canada augmentera également. Comme l’a déclaré le microbiologiste en chef du Laboratoire de santé publique du Québec, Michel Roger, «Plus nous avons de cas positifs et plus la pandémie perdure, plus il est probable que le virus se réplique, commette des erreurs et voie apparaître un mutant qui s’adaptera et prendra sa place».

Dans ces conditions, l’avertissement explicite de Tam sur les conséquences de la levée des quelques mesures de santé publique qui restent n’est qu’une des nombreuses projections désastreuses des experts médicaux pour les semaines et les mois à venir. Lorsqu’on lui a demandé son avis sur la stratégie de réouverture du gouvernement de l’Ontario, le médecin Michael Warner, directeur des soins intensifs à l’hôpital Michael Garron, a déclaré sur le réseau de télévision CP24: «Lorsque les variants s’imposeront, si le nombre de cas reste élevé, nous aurons de gros problèmes (...). Le premier ministre a fait en sorte qu’il soit beaucoup plus probable que nous revenions au point de départ de la deuxième vague. Je pense que c’est une décision irresponsable.»

Le médecin Brooks Fallis, qui a été rétrogradé d’un poste de direction des soins intensifs au sein du système de santé William Osler après avoir averti que les politiques du gouvernement Ford déclencheraient une troisième vague, a commenté pour sa part dimanche: «Je pense que nous faisons vraiment tout trop vite. Je pense que nous devrions faire une vraie pause dans la province et dans tout le pays pour réaliser la gravité des implications de ces variants.»

Même le premier ministre du Québec, François Legault, l’un des principaux partisans de la levée des restrictions en matière de santé publique, a dû admettre récemment que les nouveaux variants menacent de déclencher une croissance exponentielle des cas qui pourrait submerger les hôpitaux canadiens, ce qui signifierait que certains patients se verraient refuser des soins. Selon Legault, «Si le variant britannique s’installait au Québec comme au Royaume-Uni, ce serait la catastrophe dans nos hôpitaux.»

La probabilité d’une troisième vague meurtrière est d’autant plus grande que le déploiement des vaccins contre la COVID-19 par les gouvernements est pour le moins désastreux. En date de dimanche, seulement 2,8 % de la population canadienne avait reçu une première dose du vaccin, et un peu plus de 1 % avait reçu une deuxième dose.

Les porte-parole du patronat canadien cherchent à justifier la réouverture de l’économie par des mensonges flagrants et des arguments du soi-disant «darwinisme» social. Réduits à l’essentiel, ils prônent la «survie du plus fort». Les médias de droite, menés par le Toronto Sun, ont explicitement adopté la Déclaration de Great Barrington, qui appelle à l’abandon de toutes les mesures de santé publique afin que le virus puisse se propager sans entrave et que l’«immunité collective» puisse être atteinte.

La médecin Lucie-Paule Doyon a récemment été citée par le quotidien montréalais Le Devoir comme ayant déclaré: «Pensez-vous que quelqu’un de 90 ans, dément, serait intubé pendant 555 jours s’il payait la facture? Je ne suis pas sûre de ça. A-t-on les ressources pour payer tout ça? Jusqu’où doit-on aller? Je ne sais pas.»

L’affirmation selon laquelle le Canada n’a pas les ressources nécessaires pour fournir des soins médicaux à tous ceux qui en ont besoin est un mensonge cynique. Depuis plus de trois décennies, les gouvernements aux niveaux fédéral et provincial sabrent les budgets de santé, y compris l’actuel gouvernement fédéral Trudeau, qui a imposé aux provinces des transferts de santé inférieurs à l’inflation. Pendant ce temps, les impôts des grandes entreprises et des riches ont été réduits à maintes reprises.

Les 40 milliardaires du Canada ont augmenté leur richesse combinée de plus de 50 milliards de dollars en 2020, grâce aux centaines de milliards de dollars que le gouvernement Trudeau et la Banque du Canada ont versés sur les marchés dans le cadre du sauvetage de mars dernier.

Le soutien unanime au sein de l’élite dirigeante pour la priorité donnée au profit sur les besoins de la société souligne qu’une réponse scientifique à la pandémie et l’évitement d’une troisième vague massive de nouveaux décès dépendent de la mobilisation de la classe ouvrière. Les travailleurs doivent intervenir de façon indépendante pour lutter en faveur d’un programme politique qui place les vies humaines avant les profits. Ce programme doit comprendre la fermeture des écoles et de toute production non essentielle tant que la pandémie n’est pas maîtrisée, l’apport du soutien nécessaire à tous les travailleurs et à leurs familles afin qu’ils puissent rester confinés chez eux, et la fourniture de milliards de dollars afin de renforcer les soins de santé et autres services sociaux essentiels. Oui, les ressources pour un tel programme existent, et en abondance. Mais elles doivent auparavant être expropriées de l’élite capitaliste afin d’être mises à la disposition de l’ensemble de la société.

(Article paru en anglais le 23 février 2021)

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