Les travailleurs du Myanmar organisent une grève générale contre la dictature militaire

Les protestations contre la junte militaire se sont poursuivies au Myanmar après un énorme déferlement d’opposition lundi sous forme de protestations et de grèves suite à l’assassinat de deux manifestants à Mandalay samedi. Mercredi, des groupes de manifestants se sont rassemblés devant les ambassades thaïlandaise et indonésienne, tandis que des groupes de diverses minorités ethniques du pays protestaient dans les rues de Yangon.

Manifestation à Myanmar, mercredi 24 février 2021. (Photo AP)

La grève générale des travailleurs de lundi a démontré de façon éclatante l’ampleur et la profondeur de l’opposition politique à la prise du pouvoir par les militaires le 1er février. En plus de nombreuses sources d’information, la direction du mouvement de protestation – un groupe peu organisé appelé Mouvement de désobéissance civile (MDC) – a rapporté sur son compte Twitter que des millions de personnes dans tout le pays ont participé aux manifestations et aux arrêts de travail.

En raison de la censure stricte des médias, réglementée par la junte militaire, l’ampleur et la composition exactes des grèves ne sont pas claires. Cependant, il est évident que les protestations, appelées «22222 [ou cinq fois deux] Soulèvement populaire» en référence à la date à laquelle elles ont eu lieu, étaient les plus importantes depuis le coup d’État.

Il est significatif que des sections de plus en plus larges de la classe ouvrière se joignent à la lutte contre la junte: des médecins, des fonctionnaires et des employés de banque aux travailleurs des supermarchés et aux opérateurs de plateformes pétrolières.

La grève a été organisée suite à la répression sanglante de l’État, samedi, contre les travailleurs des chantiers navals en grève et les manifestants à Mandalay. La police et les forces militaires ont tiré à balles réelles sur une foule de manifestants, faisant deux morts par balles, dont un garçon de 16 ans, et une trentaine de blessés.

En préparation de la grève de lundi, les autorités ont construit des barricades et des fils barbelés à des endroits stratégiques dans les villes du Myanmar, comme les ambassades qui sont devenues des points de rassemblement pour certains manifestants appelant à une intervention étrangère. Les rues ont été patrouillées par des véhicules blindés et des tireurs d’élite déployés sur les toits des villes.

Les entreprises de tous les centres urbains et régionaux ont annoncé des fermetures, y compris des marchés, des restaurants, des magasins et des vendeurs itinérants. La fermeture était aussi la réponse des chaînes internationales telles que KFC et le service de livraison Foodpanda. La société de transport routier Grab, en Asie du Sud-Est, a interrompu ses services de livraison.

À Yangon, la plus grande ville du pays – où l’activité commerciale est de plus en plus paralysée par le mouvement CDM – des foules énormes ont inondé les rues des régions de Sule, Hledan et Myaynigone, a rapporté Frontier Myanmar. Les gens scandaient des slogans tels que «Ne va pas au bureau, débraye!»

La deuxième plus grande ville du pays, Mandalay, a également été paralysée par l’ampleur des grèves, des centaines de milliers de personnes se mobilisant dans tous les secteurs d’activité. Des manifestations de même ampleur ont eu lieu dans les petites villes de Myitkina, Hpaan, Pyinmana, Dawei et Bhamo.

Les travailleurs de la santé constituent une part importante du MDP depuis son origine, près d’un tiers des hôpitaux publics du Myanmar ne fonctionnent plus. Mardi, le service des urgences de l’hôpital général de Yangon, l’établissement médical le mieux équipé de la ville, était totalement déserté. À la place des hôpitaux publics, les médecins et les infirmières alignés sur le mouvement ont mis en place des cliniques médicales gratuites dans tout le pays.

Bien que la réponse de la police tout au long de la journée ait été relativement discrète face à l’énorme foule, dans certains cas, elle a utilisé la violence pour disperser les rassemblements. Pour tenter de disperser les manifestations de Yangon, une longue file de policiers en tenue antiémeute s’est mise en place lors d’une procession massive près de la pagode Shwedagon. Alors que les manifestants battaient en retraite, les banlieusards des environs sont venus à leur secours et ont formé un blocus avec leurs voitures, empêchant la police d’avancer.

La répression des rassemblements de masse dans la capitale Naypyidaw a été particulièrement violente. Des vidéos sur les médias sociaux ont montré le personnel de sécurité qui utilisait des canons à eau et projetait des manifestants au sol dans les cantons voisins de Zabuthiri et Pyinmana, dans le but d’empêcher les manifestants d’entrer dans la capitale. Les militaires ont fortement gardé les principaux points d’entrée à Naypyidaw, après les appels lancés le week-end dernier pour une marche organisée sur les bâtiments du gouvernement central.

Des témoins ont parlé de l’incident à l’Irrawaddy. Un journaliste qui s’est échappé de la scène a déclaré que les soldats et la police ont tenté de saisir les caméras des journalistes et les ont ciblés pour les arrêter. Un étudiant en ingénierie qui s’est joint à la manifestation a déclaré: «Ils ont tiré trois fois alors qu’ils essayaient de nous séparer. Mes deux amis ont été battus et emmenés. J’ai réussi à m’enfuir… Ils visaient les jeunes».

Parmi l’assaut, des centaines de manifestants se sont trouvés forcés de se cacher dans les maisons et monastères voisins longtemps après la répression. Au total, 193 manifestants, pour la plupart des jeunes, liés aux rassemblements de Naypyidaw, ont été arrêtés et sont détenus dans un complexe militaire à l’extérieur de la capitale.

Les manifestations de lundi se sont poursuivies en dépit des menaces inquiétantes de la junte. Dimanche dernier, le gouvernement a émis un avertissement sur la chaîne de télévision publique MRTV: «Il s’avère que les manifestants ont intensifié leur incitation à l’émeute et à la foule anarchique le jour du 22 février. Les manifestants incitent maintenant la population, en particulier les adolescents et les jeunes, à s’engager dans une voie de confrontation où des gens mourront».

Le ministère des Affaires étrangères a émis une déclaration antérieure à lundi dans laquelle il affirmait que, malgré «les manifestations illégales, les incitations à l’agitation et à la violence, les autorités concernées font preuve de la plus grande retenue en recourant le moins possible à la force pour faire face aux troubles».

Alors que le mouvement anti-coup d’État s’est développé au cours des trois dernières semaines, les militaires insistent sur le fait que les manifestations sont l’œuvre d’«ex-criminels notoires» et ils accusent les manifestants d’avoir attaqué les forces de sécurité. Ses ministères et ses publications officielles prétendent à tort que la majorité de la population du Myanmar soutenait le coup d’État qui a évincé le gouvernement d’Aung San Suu Kyi et sa Ligue nationale pour la démocratie (LND) après que ce dernier a remporté de façon écrasante les élections de novembre dernier.

Lundi, de nombreux manifestants avaient écrit sur leur bras leur groupe sanguin et les numéros à contacter en cas d’urgence, en prévision d’éventuelles blessures ou d’un décès aux mains de la répression militaire.

Au lendemain de la grève générale, le régime militaire a étendu ses mesures répressives dans une tentative désespérée de stopper le mouvement. L’Association d’assistance aux prisonniers politiques a révélé qu’au moins 684 personnes avaient été arrêtées à ce jour, tandis que près de 600 sont toujours en détention.

Pendant ce temps, dans un mouvement qui vise clairement à bloquer la capacité des travailleurs à organiser la grève, l’Internet a subi des interruptions de service et des perturbations généralisées dans la nuit de dimanche. NetBlocks a rapporté une baisse de 13 pour cent par rapport au niveau d’utilisation habituelle de l’Internet.

L’armée a également publié de nouvelles directives oppressives pour les médias, restreignant davantage encore la liberté de la presse et la diffusion d’informations sur les manifestations. Les publications perdront désormais leur licence d’édition pour avoir fait référence au «régime» ou à la «junte» militaire.

Le général Min Aung Hlaing, chef du coup d’État, a déclaré lundi que des mesures doivent être prises pour «réguler la presse conformément à l’éthique de la presse», tandis que le ministère de l’Information a envoyé cette semaine de nouvelles directives au Conseil de la presse du Myanmar, demandant aux journalistes d’éviter «d’inciter à des troubles publics».

(Article paru en anglais le 25 février 2021)

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