L’action de la banque centrale australienne et les fluctuations de Wall Street : le signe d’une tempête à venir

Il n’est pas fréquent que les actions de la Banque de réserve d’Australie (RBA) soient considérées comme une indication significative des actions futures d’autres banques centrales, car ses politiques répondent généralement à des initiatives prises ailleurs.

Mais sa décision lundi de doubler ses achats quotidiens d’obligations d’État de 2 à 4 milliards de dollars par jour était une exception. La RBA a fait cette intervention afin d’essayer de faire baisser le rendement sur la dette publique – qui sert de référence pour les taux d’intérêt – après une hausse rapide au cours des derniers jours.

Légende: Un trader à la Bourse de New York [source: AP Photo / Mark Lennihan ]

La semaine dernière, le rendement des obligations d’État australiennes à 10 ans a grimpé de 1,61 pour cent à 1,71 pour cent après avoir atteint 1,95 pour cent jeudi dans un contexte de liquidation des obligations. Les chiffres en terme absolus sont faibles mais la vitesse du mouvement est significative pour le fonctionnement du système financier.

Le dumping des obligations en Australie faisait partie d’une liquidation mondiale jeudi dernier qui a vu les rendements augmenter. Cela a provoqué une chute significative à Wall Street sur fond d’inquiétude croissante qu’une hausse des taux d’intérêt pourrait déclencher une autre crise du système financier mondial.

Les actions de la RBA pourraient bien être le précurseur d’une nouvelle augmentation des achats d’obligations par d’autres banques centrales, dont la Fed américaine et la Banque centrale européenne.

La RBA a commencé l’assouplissement quantitatif le mois dernier lorsqu’elle a annoncé qu’elle achèterait pour 100 milliards de dollars d’obligations d’État. Elle a décidé d’augmenter ses achats de 100 milliards de dollars supplémentaires le mois dernier et l’annonce de lundi signifiait une nouvelle escalade.

Le directeur de la RBA, Philip Lowe, a déclaré que la banque centrale ne finançait pas directement la dette publique, mais il s’agit là d’une nuance sémantique.

Bien que la RBA n’achète pas directement de nouvelle dette publique, les deux tranches d’achats de 100 milliards de dollars signifient que la RBA détient environ 20 pour cent de la dette publique. Elle achète maintenant plus d’obligations sur le marché secondaire que le gouvernement n’émet de nouvelles obligations pour financer sa dette croissante, estimée à environ mille milliards de dollars.

La RBA a un programme qui cible le rendement de certaines obligations d’État pour les maintenir dans une fourchette fixe proche de son taux d’intérêt de base. Le ciblage de la courbe de rendement n’a pas été adopté par la Fed aux États-Unis mais elle étudie l’expérience australienne.

La montée d’un cran de l’intervention de la RBA met en évidence les inquiétudes croissantes sur les marchés financiers que l’augmentation de la dette publique, surtout aux États-Unis, en raison du plan de relance proposé par l’administration Biden (de 1900 milliards de dollars, actuellement soumis au Sénat) pourrait déclencher une hausse des taux d’intérêt et mettre fin à la bulle boursière de Wall Street.

Depuis l’intervention majeure de la Fed, d’un montant de plus de 3000 milliards de dollars suite au gel des marchés financiers en mars dernier, Wall Street a atteint de nouveaux records. Cela repose sur la supposition que l’émission d’argent essentiellement gratuit restera la politique à l’infini et, de plus, qu’en cas de crise du marché la Fed interviendra à nouveau.

Cependant, si les investisseurs se retirent du marché de la dette publique, les prix des obligations chuteront et les taux d’intérêt augmenteront (les deux évoluent en sens inverse).

La liquidation mondiale des obligations jeudi dernier a provoqué une chute significative à Wall Street car, comme le note le Wall Street Journal (WJS), elle a 'ébranlé l’un des fondements de la puissante reprise boursière de l’année dernière: la certitude des investisseurs que les taux d’intérêts très bas à long terme ne faisaient aucun doute '.

La vente semble avoir été déclenchée par ce que le WSJ a qualifié de 'dynamique préoccupante' dans une vente aux enchères du Trésor pour la nouvelle dette publique. À l’approche de cette vente aux enchères, la demande de bons du Trésor à cinq et sept ans était faible et 'a failli s’évaporer' dans les minutes qui ont suivi, ce qui en a fait 'l’une [des ventes] des plus mal accueillies de mémoire d’analystes'.

La faible demande a suscité des inquiétudes car le gouvernement américain devra vendre de grandes quantités de dette pour financer le plan de relance de Biden. Si les acheteurs manquent, la Fed devra peut-être augmenter ses achats d’actifs financiers – actuellement à 120 milliards de dollars par mois – et éventuellement prendre le chemin de la RBA et commencer à cibler la courbe des taux afin de maintenir les taux d’intérêt à un niveau bas.

Jusqu’à présent, les investisseurs et les spéculateurs ont été satisfaits des assurances du président de la Fed, Jerome Powell. Celui-ci a indiqué que les taux d’intérêt allaient rester proches de zéro pour un avenir illimité et que la banque centrale ne répondrait pas à une hausse de l’inflation en relevant son taux de base.

En dépit de ces assurances, il reste à craindre que la crise qui a éclaté à la mi-mars, quand il y eut une ruée vers l’argent liquide et une sortie de la dette publique même la plus sûre, puisse se reproduire.

Les avertissements ont été nombreux que le marché boursier est à des niveaux insoutenables et qu’une bulle est sur le point d’éclater. La spectaculaire hausse spéculative d’actions telles que GameStop, l’implication significative de soi-disant traders de détail, et la montée en puissance de la crypto-monnaie bitcoin en sont des signes.

Ruchir Sharma, le stratège mondial en chef de Morgan Stanley, a averti dans le Financial Times que 'des taux d’intérêt à long terme plus élevés pourraient mettre fin à l’extraordinaire course haussière des actions des géants de la technologie'. La transition vers une économie post-COVID 'pourrait être plus perturbatrice qu’on ne l’imaginait pour des marchés financiers' qui étaient devenus 'accros' à des taux d’intérêt bas à long terme.

Une autre indication de la manie des marchés engendrée par les taux bas est le recours accru aux ‘Special purpose acquisition companies’ (SPAC) pour lancer de nouvelles sociétés sur le marché boursier. Une SPAC est une société entièrement constituée de liquidités qui facilite le lancement d’une société en bourse, en contournant les procédures d’offre publique initiale.

Selon un article du Financial Times, les SPAC ont été impliqués dans 50 marchés pour le seul mois de février, démontrant 'l’intensification de la course pour accaparer de jeunes entreprises prometteuses, ayant souvent très peu de revenus, avec des valorisations toujours croissantes'.

Jusqu’à présent cette année, 188 SPAC ont levé 58 milliards de dollars contre 244 en 2020, pour un total de 78 milliards de dollars levés pour toute l’année.

Après la liquidation à Wall Street la semaine dernière, les marchés ont rebondi lundi. Après sa pire chute depuis octobre dernier, le S&P 500 a connu sa plus forte hausse en neuf mois. L’indice NASDAQ, très technologique, a augmenté de 3 pour cent et le Dow Jones a grimpé de plus de 600 points, soit 1,9 pour cent.

Mardi, le marché a chuté, le S&P 550 baissant de 0,8 pour cent et le NASDAQ de 1,7 pour cent. La dépendance des marchés vis-à-vis de la Fed fut soulignée dans les commentaires au Wall Street Journal de Fahad Kamal, directeur des investissements chez Kleinwort Hambros.

'L’état du marché obligataire est le moteur de tout', a-t-il déclaré. 'Les banques centrales continuent d’être le véritable pivot des marchés à l’heure actuelle; tant qu’elles continuent d’acheter d’énormes quantités d’obligations sur le marché, le mouvement haussier [des rendements] est plafonné. '

C’est peut-être le cas à court terme, mais les fluctuations elles-mêmes – la plus forte baisse depuis des mois suivie en quelques jours de la plus forte hausse depuis des mois – indiquent une tempête à venir.

(Article paru en anglais le 3 mars 2021)

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