Québec solidaire cache le rôle des syndicats dans le démantèlement des régimes de retraite

Vincent Marissal, le député de Rosemont pour Québec solidaire (QS) et son porte-parole en matière de finances, a déposé une motion à l’Assemblée nationale le 4 février dernier concernant l’usine de pâtes et papier de White Birch à Québec. Présentée comme un appui aux retraités de White Birch, la motion était une manœuvre politique de QS pour se donner une image pro-ouvrière. Elle servait en réalité à camoufler la complicité des syndicats dans le pillage des fonds de pension et l’offensive patronale contre les emplois et les conditions de travail.

La motion de QS, qui n’a pas été adoptée en raison de l’opposition de la Coalition avenir Québec (CAQ) qui détient la majorité à l’Assemblée nationale, faisait suite à la décision de la Cour suprême du Canada de ne pas entendre la cause des retraités de White Birch.

Mais, alors que la poursuite des retraités visait le syndicat Unifor pour son rôle dans la liquidation de leurs fonds de pension lors de la restructuration de l’entreprise, la motion de QS ne mentionne même pas le syndicat. Son libellé, volontairement trompeur, n’identifie pas contre qui les retraités ont mené «leur longue bataille pour avoir le droit de toucher les montants qui leur sont dus par leur régime de retraite».

Rappelons qu’en 2010, l’entreprise White Birch du multimillionnaire américain Peter Brant s’est placée à l’abri de ses créanciers dans un processus de restructuration judiciaire. White Birch exploitait alors trois usines de pâtes et papier au Québec, dont l’usine Stadaconna de Québec, en opération depuis 1927.

Des travailleurs protestent devant l'usine Stadacona de White Birch en mars 2012 (crédit: Karl Tremblay)

Avec la complicité de la Cour supérieure du Québec, Brant et quelques créanciers ont profité de la restructuration pour éponger les dettes de l’entreprise et racheter ses actifs à rabais avec une nouvelle coquille corporative, BD White Birch.

L’entreprise a également profité de la restructuration pour diminuer considérablement ses coûts de main-d’œuvre. Elle a ainsi exigé la réouverture des conventions collectives des employés, la diminution des salaires, l’annulation des passifs accumulés des fonds de retraite (issus des défauts de paiement de White Birch) et le remplacement des régimes de retraite à prestations déterminées par de nouveaux régimes à prestations cibles (RRPC). Les RRPC sont moins coûteux pour les entreprises et plus précaires pour les employés puisque leur indexation est limitée et que le montant de la pension versée aux retraités est ajusté – la plupart du temps à la baisse – pour tenir compte du rendement du régime.

Toutes ces demandes ont été docilement acceptées par le Syndicat des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), qui représentait les employés de White Birch avant de fusionner en 2013 avec les TCA (Travailleurs canadiens de l’automobile) sous le nom d’Unifor. Unifor a ensuite comploté avec l’entreprise pour isoler les employés, les désorienter et les forcer finalement à accepter de nouvelles conventions collectives qui ont entrainé l’élimination de centaines d’autres emplois, des baisses de salaire de 10 pour cent, des coupures dans les vacances et dans les assurances collectives, et la liquidation des anciens régimes de retraite.

Les retraités syndiqués de l’usine de Québec ont perdu 25% de leurs prestations de retraite dans le cadre de cette entente sur laquelle ils n’ont même pas pu voter, n’étant plus membres du syndicat. Ils ont donc décidé de poursuivre Unifor.

Initialement, la Cour supérieure a reconnu la «négligence grave» du syndicat, mais a refusé d’indemniser les retraités en invoquant des technicalités juridiques. En mai 2020, la Cour d’appel a absout Unifor de toute responsabilité, annulant même la conclusion de faits du premier juge quant à la négligence du syndicat. Le jugement de la Cour d’appel est une tentative transparente de protéger la bureaucratie syndicale de la colère des travailleurs de la base. La décision du 28 janvier 2021 de la Cour suprême de ne pas entendre les retraités met fin à leur lutte judiciaire et confère un caractère définitif au pillage de leurs fonds de pension.

Le cas de White Birch n’est cependant qu’un exemple des attaques brutales qui ont pris place contre les régimes de retraite et de leurs effets dévastateurs sur des travailleurs qui, après des décennies au service de leur employeur, se retrouvent privés de la retraite bien méritée qui leur est due. Un grand nombre se voit dans l’obligation de retourner sur le marché du travail pour occuper des emplois précaires et mal rémunérés.

Dans ce contexte, le fait que la motion de QS ne mentionne pas Unifor n’est pas un hasard. Malgré ses prétentions à être un «parti de la rue», QS est en réalité un parti de la pseudo-gauche qui s’oppose à la lutte de classe et préconise de timides réformes sociales dans le cadre d’un programme axé sur le nationalisme québécois. Son intervention visait à camoufler le caractère pro-capitaliste des syndicats et à préserver ce qui leur reste de crédibilité auprès des travailleurs.

La motion du 4 février visait aussi à promouvoir l’illusion que le système capitaliste peut être réformé. Elle contenait une demande que l’Assemblée nationale «exige du gouvernement fédéral» qu’il modifie les lois sur la faillite pour protéger les retraités en cas de restructuration d’entreprise.

Ce n’est que de la poudre aux yeux des travailleurs. Aucune réforme n’est possible alors que tous les partis à l’Assemblée nationale et au parlement fédéral sont des partis capitalistes qui servent les intérêts de la classe dirigeante et appuient son assaut sur les régimes de retraite.

En décembre 2012, après sa destruction des régimes de retraite à prestations déterminées, White Birch a eu besoin de la collaboration du gouvernement du Québec pour la création de RRPC, qui étaient interdits par les lois québécoises. Le gouvernement d’alors, dirigé par le Parti Québécois s’est exécuté en faisant adopter en moins d’une semaine une loi permettant l’établissement de RRPC dans les entreprises du secteur des pâtes et papier.

Deux ans plus, en décembre 2014, le Parti libéral du Québec dirigé par Philippe Couillard a brutalement attaqué les employés du secteur municipal en faisant adopter la Loi 15 sur leurs régimes de retraite. Sous prétexte de pérenniser des régimes de retraite déficitaires, cette loi imposait un partage des déficits accumulés dans les caisses de retraite, une restructuration rétroactive des droits et bénéfices inscrits dans les conventions collectives et un plafond sur les coûts des régimes de retraite. En vertu de cette loi, les deux plus grandes villes de la province, Montréal et Québec, n’ajustent plus les pensions versées à leurs employés retraités depuis le 1er janvier 2017, ce qui causera en quinze ans la perte d’entre le tiers et la moitié de leur pouvoir d’achat.

Il est important de noter, ici, que les syndicats du secteur public ont joué un rôle déterminant pour permettre l’adoption de la Loi 15 en se déclarant «ouverts à la négociation» et en refusant de mobiliser les dizaines de milliers de travailleurs touchés et toute la classe ouvrière dans une défense commune des régimes de retraite.

Une fois la loi adoptée, les efforts des syndicats se sont limités à des contestations judiciaires de la Loi 15. Plus de cinq plus tard, ces procédures sont toujours pendantes. En juillet 2020, la Cour supérieure a donné partiellement raison aux syndicats et elle a suspendu le droit conféré aux villes de cesser l’indexation des rentes pour les travailleurs déjà retraités. Elle a cependant laissé toutes les autres dispositions de la Loi 15 en place. La Cour d’appel du Québec entendra cette affaire plus tard cette année.

En 2020, le gouvernement de la CAQ a étendu à toutes les entreprises du secteur privé et à certaines institutions publiques la permission accordée en 2012 à White Birch de mettre en place des RRPC. En moins de deux mois il a présenté, fait adopter et mis en vigueur le projet de loi 68 qui ouvre grand la porte aux régimes de retraite à prestations cibles. Encore une fois, refusant de mobiliser leurs centaines de milliers de membres, les syndicats ont timidement demandé des amendements au projet de loi. Ces demandes ont été balayées du revers de la main par la CAQ qui a adopté une loi en tous points conforme aux demandes du patronat.

La féroce attaque menée par tous les gouvernements, peu importe le parti au pouvoir, sur les régimes de retraite des travailleurs est dictée par des facteurs objectifs liés à la crise mondiale du capitalisme. Dans un contexte d’intense compétition internationale et de déclin du taux de profit, la classe dirigeante exige des rendements toujours plus élevés. La suppression d’emplois ne lui suffit plus et toutes les conditions de travail font l’objet d’attaques, y compris les retraites.

Les travailleurs doivent rejeter la perspective des partis de la pseudo-gauche comme QS qui prétendent que la tâche de défendre les retraites peut être confiée aux syndicats ou que les gouvernements de la grande entreprise peuvent réformer le système de profit. Comme l’ont tragiquement appris les retraités de White Birch, les syndicats et les gouvernements capitalistes sont chargés par l’oligarchie financière et les banques de détruire les fonds de pension. Leur confier la défense des retraites équivaudrait à demander aux loups de garder les moutons!

La seule voie qui s’offre aux travailleurs et aux retraités est une lutte politique unifiée de l’ensemble de la classe ouvrière au Québec, au Canada et dans le monde, contre le système capitaliste responsable de la destruction des régimes de retraite. Menée de façon indépendante des syndicats pro-capitalistes, cette lutte doit viser la reconstruction d’une société sans inégalités et dans laquelle tous peuvent bénéficier d’une retraite confortable à la fin de leur vie active, c'est-à-dire une société organisée sur des bases socialistes.

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