Des nationalistes tamouls sri-lankais cherchent à s’allier avec le BJP, le parti du chauvinisme hindou en Inde

Alors que le nombre de morts au COVID-19 augmente, des partis nationalistes tamouls du Sri Lanka font appel au parti suprémaciste-hindou Bharatiya Janata (BJP), au pouvoir en Inde. Cette décision intervient dans un contexte de tensions de guerre croissantes, alimentées avant tout par l’impérialisme américain. Le nouveau gouvernement Biden, qui a récemment bombardé des milices liées à l’Iran en Syrie, menace également la Chine, aggravant ainsi les tensions dans la région de l’océan Indien entre la Chine et l’Inde, principal allié régional de Washington.

Le contenu de classe des appels nationalistes tamouls au BJP est pratiquement évident. Le BJP est un parti violemment anticommuniste avec une tradition longue et sanglante d’incitation aux massacres collectifs de musulmans. Il a adopté les politiques d’«immunité collective» défendues par l’impérialisme américain sur la pandémie, tout en s’alliant avec Washington contre la Chine. En faisant appel au BJP, les nationalistes tamouls cherchent à créer des alliances de droite pour poursuivre des politiques d’«immunité collective». Surtout ils cherchent à attiser la haine communautaire et soutenir les politiques de guerre impérialistes contre l’opposition de la classe ouvrière.

Le premier ministre indien Modi du BJP (Source: Wikipedia)

Ils répondent aux commentaires du 15 février du ministre en chef du BJP de l’État de Tripura, Biplab Deb, qui a déclaré que le ministre de l’Intérieur Amit Shah voulait que le BJP prenne le contrôle du Sri Lanka. «Nous devons étendre le parti au Sri Lanka, au Népal et y gagner pour former un gouvernement», a déclaré Deb en citant Shah. Deb a également attaqué le Parti communiste chinois: «Les communistes ont affirmé que leur parti était le plus grand parti du monde. Mais Amit Shah a fait du BJP le plus grand parti du monde».

Maravanpulavu Sachchidanandan, qui dirige le parti extrémiste hindou du Sri Lanka Shiva Senai, a rapidement approuvé les propos de Deb. Qualifiant le BJP de «mouvement le plus sûr pour les hindous dans la région de l’Asie du Sud», il a salué le premier ministre indien Narendra Modi comme un protecteur mondial des hindous, appelant à la construction du BJP au Sri Lanka. «Seuls un tel mouvement et des dirigeants comme Modi et Amit Shah peuvent résoudre les problèmes des hindous au Sri Lanka. C’est pourquoi nous avons décidé de lancer le BJP ici».

C’est une menace et une provocation à peine voilée contre la classe ouvrière. Le BJP a cherché à réprimer violemment les grèves de plus en plus nombreuses et les protestations des agriculteurs contre son programme d’austérité, ainsi que les manifestations de masse qui avaient éclaté avant la pandémie contre sa loi antimusulmane sur la citoyenneté. En outre, l’État indien a déjà envahi et occupé une grande partie de la région à majorité tamoule au nord du Sri Lanka entre 1987 et 1990.

Néanmoins, plusieurs personnalités politiques nationalistes tamoules de premier plan au Sri Lanka ont soutenu Deb. Le chef du Parti national tamoul, K. Shivajilingam, qui a rejoint une marche d’est en ouest au Sri Lanka menée par des religieux hindous le mois dernier, a soutenu l’appel des fanatiques hindous, en déclarant: «Il y a des partis communistes partout dans le monde. Dans ce cas, pourquoi n’y aurait-il pas une autre internationale au nom du BJP?»

Il a dénoncé la décision du gouvernement sri-lankais d’attribuer à une entreprise chinoise un contrat de production d’électricité et d’énergie solaire sur trois petites îles au large de la côte nord du Sri Lanka. «Les Tamouls de l’Eelam n’autoriseront jamais les entreprises chinoises sur ce sol», a déclaré Shivajilingam, ajoutant: «Ce [contrat chinois] doit être immédiatement retiré. Sinon, nous, le peuple tamoul, prendrons les choses en main; cela, le gouvernement doit le comprendre».

Shivajilingam a menacé que si le gouvernement sri-lankais ne suivait pas une ligne anti-Chine, des troupes américaines et indiennes pourraient envahir le Sri Lanka. «Dans la région indo-pacifique, si vous deviez agir contre l’Inde et les États-Unis, il y aurait certainement un conflit majeur… Il n’y a aucune garantie que peut-être les troupes américaines ou indiennes ne débarqueraient pas et ne resteraient pas dans le nord et l’est» du Sri Lanka.

Il a menacé de soutenir une partition ethnique du Sri Lanka, l’Inde annexant l’État de l’Eelam tamoul. «Comprenez que de nombreux pays dans le monde sont brisés et fragmentés. Si vous voulez, l’île du Sri Lanka serait divisée en deux parties, une pour l’État de l’Eelam tamoul et une autre pour l’État du Sri Lanka. Comprenez que le ministre en chef serait élu et que tout le monde devrait se rendre au Parlement et à la Chambre haute de New Delhi [Inde]».

S’adressant au gouvernement Modi, il a promis: «Vous devez rechercher votre sécurité. Nous, les Tamouls de l’Eelam, nous nous y tiendrons.»

D’autres nationalistes tamouls ont approuvé la création du BJP au Sri Lanka, spéculant sur le fait que cela pourrait les aider dans leurs manœuvres avec le gouvernement sri-lankais à Colombo. Le responsable de l’Alliance nationale tamoule (TNA), S. Shritharan, a déclaré qu’il «accueillerait» le BJP au Sri Lanka s’il soutenait le contrôle du Nord et de l’Est par l’ethnie tamoule. Il a ajouté que «la nation cinghalaise doit accepter l’art, la culture, l’autonomie, la souveraineté, le nationalisme tamoul et la langue du peuple tamoul».

De telles remarques démasquent le violent glissement vers la droite des nationalistes tamouls au milieu de la pandémie et des tensions géostratégiques croissantes dans la région. Depuis la défaite et le massacre des combattants des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) à la fin de la guerre civile sri-lankaise en 2009, les travailleurs et les jeunes Cinghalais, Tamouls et musulmans se sont de plus en plus mobilisés ensemble dans des grèves et des protestations contre l’austérité et les mesures d’État policier. Cela a stupéfié et terrifié les partis bourgeois cingalais et tamouls du Sri Lanka, faisant obstacle à leur politique nationaliste.

Alors que les nationalistes bourgeois tamouls ont réagi dans la crainte du mouvement d’en bas, ils ont poursuivi une stratégie communale de plus en plus ouvertement néocoloniale. En 2015, ils ont soutenu l’opération de changement de régime soutenue par les États-Unis à Colombo pour évincer le président de l’époque, Mahinda Rajapakse, que Washington considérait comme trop proche de la Chine, et ont mis en place un gouvernement d’austérité soutenu par les États-Unis. Cependant, après l’effondrement de ce dernier en 2019 et le retour des frères Rajapakse au pouvoir, les nationalistes tamouls sont devenus de plus en plus hystériques dans leur rhétorique de droite et anti-Chine.

La pandémie a porté ces conflits à une intensité sans précédent. Le gouvernement Modi a été ébranlé par les grèves de masse des travailleurs du secteur public et les protestations des agriculteurs. Aujourd’hui, alors que les infections et les décès augmentent à nouveau dans toute l’Asie du Sud, toutes les fractions de la bourgeoisie poursuivent une politique meurtrière d’«immunité collective», qui provoque une intense opposition parmi les travailleurs et les jeunes.

Certains signes indiquent que la rhétorique pro-BJP des nationalistes tamouls est peut-être allée trop loin, du point de vue de Washington et de New Delhi. Le 24 février, l’ambassadeur américain au Sri Lanka, Alaina Teplitz, a rencontré les responsables de la TNA, Mavi Senadhirasa, S. Sritharan et C.V.K. Sivagnanam. Elle a également rencontré le maire de Jaffna, V. Manivannan, du Front national du peuple tamoul (TNPF). V. Manivannan aurait salué la vice-présidente Kamala Harris pour son ascendance tamoule et aurait lancé un appel à l’aide américaine. Après ces rencontres, on a retiré plusieurs de leurs vidéos en ligne couvrant la marche hindoue d’est en ouest.

Le soutien des nationalistes tamouls au BJP n'en constitue pas moins un avertissement pour les travailleurs du Sri Lanka et du monde entier. Les travailleurs et les masses laborieuses n'oublient pas et ne peuvent pas oublier la terrible traînée de sang et de pillage laissée par l'armée indienne en 1987-90 dans les régions du Sri Lanka qu'elle occupait, mais les nationalistes tamouls cherchent des alliés à New Delhi. Cependant, les nationalistes bourgeois se tournent vers la droite alors que les tensions de classe et les tensions géopolitiques à l’échelle internationale atteignent des dimensions explosives.

Trois décennies se sont écoulées depuis l’intervention indienne au Sri Lanka et la dissolution de l’Union soviétique par le régime stalinien en 1991. Depuis lors, la bourgeoisie indienne et les partis nationalistes tamouls se sont pleinement intégrés dans le marché capitaliste mondial dominé par l’impérialisme et se sont déplacés loin vers la droite. Les invectives des nationalistes tamouls contre la Chine, qui visent à s’attirer les faveurs de l’impérialisme américain et de Modi, sont inséparables de leur intense hostilité envers la classe ouvrière.

En faisant appel à Modi, ils cherchent des alliés contre une nouvelle recrudescence des luttes ouvrières, notamment au Sri Lanka qui a vu des grèves parmi les travailleurs des plantations de thé, des protestations des travailleurs de la santé contre la réponse désastreuse à la pandémie et des manifestations de masse dans le Nord et l’Est en septembre.

Ce n’est que le Parti de l’égalité socialiste qui met en avant une alternative à la politique réactionnaire des régimes sri-lankais et indien et à leurs alliés nationalistes tamouls. Contre les complots de New Delhi, de Colombo et des nationalistes tamouls, le PES met en avant la mobilisation et l’unification internationales de la classe ouvrière, par-delà toutes les frontières ethniques et étatiques de la région, dans une lutte pour le pouvoir étatique et pour le socialisme. C’est la seule façon de mettre fin à la campagne de guerre impérialiste et d’imposer une politique fondée sur des données scientifiques pour arrêter la pandémie.

(Article paru en anglais le 4 mars 2021)

Loading