Médias et politiciens espagnols attaquent les jeunes qui protestent contre l'emprisonnement du rappeur Hasél

Alors que les manifestations se poursuivaient en Catalogne et dans toute l'Espagne contre l'incarcération du rappeur Pablo Hasél, les médias espagnols et le gouvernement du Parti socialiste (PSOE) et de Podemos ont lancé une campagne frénétique de calomnie contre les jeunes qui manifestent, les traitant de «terroristes» et de «criminels». Hasél a été emprisonné en février pour neuf mois, sur des accusations bidon d’insulte à la monarchie et «d’incitation au terrorisme» par ses tweets et chansons.

Selon le site d’information en ligne El Confidencial, la police espagnole a commencé à enquêter la semaine dernière pour savoir s’il y avait une planification ou une organisation «terroriste» à l’origine des manifestations contre l’ emprisonnement de Hasél. La police analysait les structures internes des groupes qui coordonnent les manifestations pour examiner si la répartition des responsabilités, la méthodologie et les organes de direction ressemblaient à celles des organisations terroristes, a déclaré El Confidencial.

Des manifestants réagissent alors que la police bloque la rue lors d'une marche à Barcelone, en Espagne, le samedi 6 mars 2021. Plusieurs centaines de manifestants défilent dans la capitale catalane contre la répression qui a suivi le récent tollé véhément contre l'emprisonnement de Pablo Hasél, artiste et activiste engagé contre l’establishment. (Photo AP / Emilio Morenatti )

Des dizaines de milliers de manifestants, pour la plupart âgés de 16 à 25 ans, ont participé aux manifestations contre ces attaques anti-démocratiques de la liberté d'expression dans des villes comme Barcelone, Valence, Bilbao et Madrid. Les manifestations ont eu lieu en dehors du contrôle des principaux partis politiques et syndicats, les manifestants s'organisant via les réseaux sociaux et la messagerie Telegram.

Ils ont été confrontés à une brutalité policière implacable ; plus de 200 personnes ont été blessées par les forces de sécurité. Une femme de 19 ans a perdu un œil, touchée par une balle en caoutchouc tirée par les Mossos d'Esquadra (la police catalane). Les manifestants réagissent en lançant des bouteilles et des pierres sur la police ; dans quelques incidents isolés, des bâtiments ou des véhicules ont été vandalisés ou incendiés. Au moins 137 personnes ont été arrêtées rien qu'en Catalogne, et bien d'autres encore ailleurs.

Début mars, le Parquet du gouvernement PSOE-Podemos a exigé cinq ans et trois mois de prison supplémentaires pour Hasél, suscitant de nouvelles protestations. Le nouvel acte d'accusation concerne la participation de Hasél à une manifestation de 2018 contre l'arrestation en Allemagne du président catalan déchu, Carles Puigdemont. Le Parquet affirme que Hasél et 10 co-accusés ont tenté de s'introduire par effraction dans un bâtiment gouvernemental dans la ville catalane de Lleida.

L'Espagne est une poudrière sociale, avec une opposition croissante au chômage de masse, à la pauvreté, au passage du gouvernement PSOE-Podemos à un régime autoritaire et à sa politique «d'immunité collective» sur la pandémie. Terrifiée à l'idée que les manifestations ne se propagent davantage, toute la classe dirigeante diabolise sans relâche la jeunesse protestataire et exige une nouvelle répression brutale.

Fin février, Pedro J. Ramírez, directeur du journal en ligne de droite El Español, a dénoncé sur la chaîne de télévision La Sexta la situation «révolutionnaire» en Catalogne, affirmant que les manifestants lançaient des «attaques dans lesquelles ils utilisent le techniques de la guérilla urbaine ». Les manifestants étaient issus d'une « minorité radicalisée dans l'orbite de Puigdemont», ils étaient «de caractère xénophobe et les héritiers de l'ancien fascisme catalan», a affirmé Ramírez. La majorité d’entre eux était «issus de l'extrême gauche anti-système.»

Les partis nationalistes catalans ont repris ces dénonciations hystériques. Miquel Sàmper, ministre de l'Intérieur du gouvernement régional catalan, du parti Ensemble pour la Catalogne (JxCat) de Puigdemont, a déclaré que des groupes liés au «communisme combatif», à «l'anarchisme très violent» et un «grand nombre de criminels de droit commun» menaient les manifestations.

Les médias et principaux partis ont également attisé l’hystérie sur un incident au cours duquel huit jeunes manifestants ont mis le feu à une camionnette de police où se trouvaient encore deux policiers. Les agents sont vite sortis de la camionnette et n'ont pas été blessés. Ces manifestants sont en détention provisoire avant leur procès pour «tentative de meurtre», agressions d'agents, troubles publics, dommages criminels, manifestations illégales et appartenance à une bande criminelle.

Sàmper a répondu par une diatribe contre la «violence pure, décomplexée et sans précédent» des manifestations en Catalogne. Ada Colau, maire de Barcelone et dirigeante de Barcelona en Comú – une coalition comprenant Podemos et l'Initiative pour la Catalogne-Verts (ICV) – a déclaré son «rejet le plus absolu, la condamnation la plus ferme et la plus catégorique des actes de violence».

Santiago Illa, du PSOE, qui a obtenu le plus de voix lors des récentes élections catalanes (article en anglais), a profité de l'occasion pour fulminer :«quiconque ne condamne pas explicitement la violence et ne soutient pas les Mossos d'Esquadra et les forces et organes de sécurité est inapte à gouverner ».

La Cour suprême aurait ouvert une enquête sur le porte-parole du Parlement, Pablo Echenique (Podemos), pour avoir prétendument incité à la violence dans un tweet de ton modéré en faveur des manifestations. Le 17 février, Echenique avait tweeté: «Tout mon soutien aux jeunes antifascistes qui réclament justice et liberté d'expression dans les rues[….] La mutilation violente de l'œil du manifestant [par une balle en caoutchouc de la police] doit faire l'objet d'une enquête et les responsables doivent être résolument tenus de rendre des comptes ».

L'enquête sur Echenique a eu lieu à l'instigation du parti d'extrême droite Vox, qui a porté plainte contre le porte-parole de Podemos, affirmant qu'il soutenait des «actes terroristes». Deux syndicats de police, la Confédération espagnole de police (CEP) et l'Union unifiée de la police (SUP), ont également porté plainte contre Echenique. Une autre organisme de police, JUPOL (Police Justice), a déclaré qu'Echenique avait «encouragé le terrorisme de rue».

Cette campagne hystérique survient une semaine seulement après qu'Ignacio Garriga, président du groupe parlementaire de Vox en Catalogne, ait exigé lors d'une conférence de presse que «le mouvement antifasciste soit déclaré organisation terroriste ».

Cet appel à rendre effectivement illégal des manifestations antifascistes est inspiré directement de la stratégie de l'ex-président américain Donald Trump, qui menaça de déclarer Antifa organisation terroriste en 2019. Trump intensifia sa campagne pour qualifier l'opposition à sa politique de terrorisme après que des manifestations de masse contre la brutalité policière aient secoué les États-Unis, en réponse à l'assassinat policier de George Floyd.

De même qu’« Antifa » fut la cible de Trump – un réseau diffus d'individus antifascistes, sans organisation clairement définie – l’exigence de Vox de désigner le «mouvement antifasciste» en général comme «terroriste» criminaliserait des milliers et des milliers d'individus de gauche participant à des manifestations contre la violence policière, l’attaque des droits démocratiques et l'austérité, quoi qu’ils pensent ou qu’ils fassent.

Trump a ensuite mené une tentative de coup d'État ratée visant à renverser les élections présidentielles américaines, le 6 janvier 2021. Le fait que le Parti démocrate et l'administration Biden aient couvert son entreprise et cherché à cacher ses implications au public n’a fait qu’enhardir l’extrême droite dans toute l'Europe, y compris en Espagne, à redoubler d’efforts pour attaquer les droits démocratiques.

Garriga a insisté pour dire que les groupes politiques soutenant la «violence» en Catalogne «devaient être soumis à la loi actuelle des partis». Cette loi, adoptée en 2002 avec les voix du PSOE, du Parti populaire (PP) et de nombreux partis régionaux catalans, andalous et des îles Canaries, prévoyait la dissolution des groupes politiques favorables à l'ETA séparatiste basque, considéré comme un groupe terroriste en Espagne.

A la conférence de presse, Garriga a dénoncé les jeunes et les travailleurs de Catalogne qui protestent contre l’emprisonnement d’Hasél, affirmant que des «bandes organisées de terroristes» avaient mené de violentes attaques en Catalogne.

Garriga a faussement dénoncé le gouvernement catalan et les médias pour avoir soutenu les manifestations, déclarant que «les institutions catalanes, motivées par le séparatisme, accordent une impunité absolue à ceux qui commettent des violences, qui attaquent des magasins et provoquent des dégradations dans les rues.» Les médias cachaient la véritable idéologie de ceux «responsables des bagarres des terroristes de la rue», a-t-il poursuivi, «qui sont des séparatistes et [viennent] de l'extrême gauche».

On ne peut s'opposer à cette campagne fasciste en faisant appel au gouvernement PSOE-Podemos qui a tacitement soutenu l'emprisonnement d'Hasél et la répression brutale des manifestants. La défense des droits démocratiques et la lutte contre le fascisme est par nécessité une lutte pour le socialisme. Cela nécessite une rupture politique nette avec le parti pseudo-de gauche Podemos et ses satellites et la construction de sections du Comité international de la Quatrième Internationale, en Espagne et à l'international.

(Article paru en anglais 11 mars 2021)

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