Royaume-Uni: la police londonienne attaque des manifestants suite au meurtre de Sarah Everard, un policier étant le principal suspect

La police métropolitaine de Londres a attaqué une manifestation pacifique organisée samedi à Clapham Common, procédant à quatre arrestations et agressant brutalement des femmes présentes.

La manifestation s’est déroulée dans un contexte de colère généralisée après le meurtre de Sarah Everard, 33 ans.

Plus tôt dans la journée, juste avant la veillée, Wayne Couzens, un agent de la police métropolitaine, a comparu devant le tribunal d’instance de Westminster après avoir été accusé de l’enlèvement et du meurtre de Sarah Everard. Elle a disparu alors qu’elle rentrait chez elle à Brixton depuis Clapham, dans le sud de Londres, vers 21h30 le 3 mars. La cour a appris que le corps d’Everard avait été retrouvé dans un sac de polypropylène dans les bois du Kent et qu’il avait été identifié grâce au dossier dentaire d’Everard.

Couzens est un officier des armes à feu du commandement d’élite de la protection parlementaire et diplomatique. Il a été arrêté le 9 mars. La colère s’est accrue lorsqu’on a appris que la police n’avait pas fait avancer l’enquête sur deux incidents présumés d’exhibitionnisme devant le personnel d’un restaurant McDonald’s dans le sud de Londres le 28 février, trois jours avant qu’Everard soit attaquée.

La police se déplace vers le kiosque à musique et l’entoure pendant l’opération (Source: Sarah Huck – Twitter)

La veillée a eu lieu malgré les efforts de la police, soutenus par la Haute Cour, pour interdire une veillée qui devait avoir lieu plus tard dans la nuit de samedi à dimanche organisée par un groupe nouvellement créé, «Reclaim These Streets». Cette veillée a été interdite sous prétexte qu’elle n’était pas conforme aux restrictions COVID-19 sur les rassemblements.

Vendredi, «Reclaim These Streets» a intenté une action en justice urgente auprès de la Haute Cour afin d’obtenir une décision selon laquelle l’interdiction des rassemblements en plein air en vertu de la réglementation relative au coronavirus serait «subordonnée au droit de manifester». Le groupe voulait que ce qu’il décrivait comme la politique de la Police métropolitaine d’«interdire toutes les manifestations, quelles que soient les circonstances spécifiques» soit déclarée illégale. Ces demandes ont été rejetées par le juge Holgate, qui a déclaré que cela n’était pas «approprié» de faire une telle déclaration. Il a dit que cela appartenait aux organisateurs et à la police de discuter de «l’application du règlement et des (droits à la liberté d’expression et de réunion)» en rapport avec l’événement.

Alors que la veillée commençait en début de soirée, un intervenant a tenté de s’adresser au public principalement féminin, dont la grande majorité portait des masques. Un reportage du Guardian explique: «Alors qu’elle parlait, la police a commencé à se frayer un chemin jusqu’au kiosque à musique, certains d’entre eux piétinant les fleurs et des bougies [déposées à la mémoire d’Everard] et essayant de tasser les intervenants».

Un mur de policiers a bouclé la zone du kiosque à musique et a demandé à la foule de se disperser, sous peine d’être arrêtée. Ils ont alors commencé à attaquer violemment et à malmener les personnes présentes. Deux agents ont maintenu une femme à plat ventre sur le kiosque à musique, l’ont menottée, arrêtée et jetée dans un fourgon de police et exigé qu’elle leur donne son nom et son adresse. Les policiers ont affirmé que si elle le faisait, elle ne recevrait qu’une amende. D’autres personnes ont été projetées au sol et frappées par la police.

Alors qu’une femme arrêtée était emmenée, la foule a scandé à la police «Honte à vous», «Laissez-les partir» et «Fait plutôt arrêter les vôtres». Les personnes arrêtées ont été accusées de troubles à l’ordre public et d’avoir enfreint les règles relatives au coronavirus.

La veillée était l’une des nombreuses manifestations qui ont eu lieu samedi, notamment à Birmingham, Leeds, Bristol, Édimbourg et Cardiff. Dimanche, des milliers de personnes ont protesté contre l’attaque de samedi au quartier général de la Police métropolitaine à Scotland Yard, à Londres, avant de se rendre à Parliament Square, à Westminster.

La détermination de la police à empêcher la veillée et les protestations contre le meurtre d’Everard a été mise en évidence par le fait que la répression a eu lieu juste une heure après que Kate Middleton, la duchesse de Cambridge et l’épouse du prince William, l’héritier du trône, ait fait une visite inopinée à Clapham Common pour déposer des jonquilles à la mémoire d’Everard. Un communiqué de sa résidence, le palais de Kensington, indique que Middleton «se souvient de comment c’était de se promener dans Londres la nuit avant son mariage» et «a voulu offrir ses condoléances à la famille et à Sarah». La visite de Middleton a naturellement fait l’objet d’une publicité massive.

Les attaques sans discrimination contre la veillée ont suscité une condamnation générale de la police et un profond embarras dans les cercles dirigeants. Des appels à la démission de la commissaire de la police métropolitaine, Cressida Dick, ont été lancés, notamment par le chef des libéraux démocrates, sir Ed Davey.

La ministre de l’Intérieur conservatrice Priti Patel, qui a bâti sa carrière sur un programme de loi et d’ordre sans fin, s’est sentie obligée de tweeter: «Certaines des images qui circulent en ligne de la veillée à Clapham sont bouleversantes. J’ai demandé à la police métropolitaine un rapport complet sur ce qui s’est passé.»

Le fait est que la police s’est sentie capable de réagir avec une telle brutalité parce que le gouvernement conservateur lui a donné le droit de faire ce qu’elle veut, lui confiant la mission spécifique de réprimer les protestations et les manifestations.

La police a reçu des pouvoirs extraordinaires dans le cadre de la loi sur le coronavirus de 2020 et peut restreindre ou interdire les événements et les rassemblements en Angleterre et au Pays de Galles pendant la pandémie dans n’importe quel lieu, véhicule, train, navire ou avion. Cette loi a été renouvelée en septembre dernier par le Parlement et est de plus en plus utilisée pour intimider et interdire des manifestations. Selon le Réseau pour la surveillance de la police (NETPOL), au moins neuf cas ont eu lieu où la police a utilisé la réglementation Covid contre des manifestants.

La semaine dernière, la police du Grand Manchester a dispersé une petite manifestation de travailleurs du Service national de santé et de leurs partisans à la Place Saint-Pierre, à Manchester, en invoquant la législation COVID-19. L’organisatrice, Karen Reissmann, une travailleuse de la santé mentale et membre du comité exécutif national du syndicat Unison, a été condamnée à une amende de dix mille livres sterling (11.650 euros).

Quels que soient les réajustements temporaires effectués par le gouvernement et la police en réponse aux événements de samedi, l’évolution vers un régime autoritaire se poursuivra, ce qui aura des conséquences désastreuses pour les droits démocratiques acquis au fil des siècles.

Aujourd'hui [lundi], le gouvernement présente au Parlement le projet de loi sur la police, la criminalité, les peines et les tribunaux. Ce projet de loi vise à criminaliser efficacement toute manifestation, même pacifique. Il fait suite à une révision du maintien de l'ordre dans les manifestations, demandée par Patel à la suite des manifestations de l'année dernière du groupe environnemental Extinction Rebellion et de celles en opposition aux meurtres de la police provoquées par le meurtre de George Floyd.

Le rapport de l’Inspection de la police et des services d’incendie et de secours de Sa Majesté (HMICFRS) préconise l’extension des pouvoirs d’interpellation et de fouille de la police, qui seraient vitaux pour contrer les manifestations jugées «perturbatrices», ainsi que la «nécessité de développer» des méthodes secrètes de collecte de renseignements. Le HMICFRS souhaite que les manifestations statiques soient soumises aux mêmes conditions que celles auxquelles les marches doivent déjà se conformer. Les organisateurs doivent notamment notifier leurs projets à l’avance, ce qui permet à la police de les interdire avec l’accord du ministre de l’Intérieur.

Le projet de loi permet au ministre de l’Intérieur de créer des lois qui définissent les «perturbations graves» des communautés et des organisations, sur lesquelles la police peut s’appuyer pour imposer des conditions draconiennes. Il déclare qu’il «renforcera les pouvoirs de la police pour s’attaquer aux manifestations non violentes qui ont un effet perturbateur important sur le public ou sur l’accès au Parlement». Elle permet à la police de déterminer si une manifestation peut avoir lieu et, le cas échéant, d’imposer des heures de début et de fin. Pour la première fois, des niveaux sonores maximums peuvent être imposés aux manifestations statiques, comme prétexte à une interdiction.

Des sentiments et des manifestations de gauche et anticapitalistes sont spécifiquement visés pour la répression. Le rapport du HMICFRS crée la nouvelle catégorie d’«activité aggravée» qui est désignée comme «une activité qui cherche à provoquer un changement politique ou social, mais qui le fait d’une manière qui implique un comportement illégal ou criminel, qui a un impact négatif sur les tensions communautaires ou qui cause un impact économique négatif aux entreprises».

«L’activisme aggravé de haut niveau» est décrit comme «une activité basée sur des tactiques pour provoquer un changement social ou politique. Il implique la criminalité qui a un impact significatif sur les communautés britanniques, ou bien lorsque l’idéologie qui motive l’activité entraînerait un préjudice pour une proportion importante de la population.»

(Article paru en anglais le 15 mars 2021)

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