Alors que les noyades en Méditerranée se poursuivent

Le commissaire européen aux droits de l’homme condamne la politique de l’UE en matière de réfugiés

Un rapport publié cette semaine par le commissaire européen aux droits de l’homme confirme le caractère criminel et meurtrier de la politique sur les réfugiés de l’Union européenne, qui consiste à laisser délibérément les réfugiés se noyer dans la mer Méditerranée pour les empêcher de demander l’asile sur le continent.

Ce rapport émerge alors que l’incidence des noyades en masse entre l’Afrique et l’Europe s’est poursuivie sans relâche au cours des premiers mois de 2021. Les événements rapportés dans les médias comprennent:

  • La semaine dernière, le 9 mars, le ministère tunisien de la Défense a annoncé qu’au moins 39 personnes se sont noyées lorsque deux bateaux voyageant vers l’Europe ont chaviré. Le décompte des morts était basé uniquement sur le nombre de corps que les sauveteurs ont récupérés avant d’être forcés de suspendre les opérations de sauvetage. Les morts comprenaient au moins neuf femmes et quatre enfants. 165 autres personnes ont été secourues.
  • Trois semaines plus tôt, le 24 février, 41 personnes se sont noyées dans la Méditerranée centrale, selon une déclaration commune de l’ONU et de l’Organisation internationale des migrations. Au moins 120 personnes avaient quitté la Libye sur une petite embarcation le 18 février, qui a commencé à prendre l’eau après 15 heures en mer. Les disparus, présumés morts, comprenaient trois enfants et quatre femmes, dont une a laissé un nouveau-né en vie qui a depuis été emmené à Lampedusa, en Italie.
  • Le 12 février, la marine tunisienne a confirmé qu’elle avait sauvé 25 personnes d’un petit bateau chaviré qui avait quitté le port tunisien de Sfax ce jour-là. Tous les passagers ont été jetés à l’eau lorsque le bateau a coulé. Les survivants ont rapporté que 48 personnes étaient à bord lors du départ en mer. Sur les 23 disparus, un seul corps a été retrouvé.
  • Le 19 janvier, un canot pneumatique transportant plus de 50 personnes a chaviré après avoir quitté la ville portuaire libyenne de Zawiyah, à l’ouest de Tripoli. Au moins 43 personnes se sont noyées. Les survivants ont déclaré que tout le monde à bord du bateau venait d’Afrique de l’Ouest. Les survivants ont ensuite été ramenés dans des camps de détention en Libye.

Le Missing Migrants Project (Projet de recherche de migrants disparus), qui repère les décès de réfugiés au niveau international, a dénombré 291 décès depuis le début de cette année rien qu’en Méditerranée. Le nombre de personnes qui se sont noyées en Méditerranée depuis 2014 est de plus de 20.000 personnes. Mais ces chiffres horribles sont eux-mêmes sans aucun doute des sous-estimations importantes, car ils n’incluent pas ceux qui se sont noyés sans que leur voyage ne soit répertorié ou dont le corps n’a jamais été retrouvé.

Une femme tient un bébé de 3 mois alors que des migrants et des réfugiés de différentes nationalités africaines attendent de l'aide sur un bateau pneumatique surpeuplé, alors que les travailleurs humanitaires de l'ONG espagnole Open Arms les approchent. (Photo AP / Bruno Thevenin)

Dans la mesure où ces décès sont rapportés dans les médias ou reconnus par les gouvernements européens, ils sont considérés comme des tragédies malencontreuses, comme s’ils n’avaient rien à voir avec les politiques que ces mêmes gouvernements ont mises en œuvre.

Pourtant, chacun d’eux est le résultat direct des politiques de l’Union européenne. L’UE a barré les itinéraires plus sûrs pour les demandes d’asile, mis fin à ses opérations de sauvetage naval en Méditerranée, saboté le fonctionnement des navires de sauvetage des ONG dans la région et finance les garde-côtes libyens, et collabore avec eux, pour attraper les réfugiés et les renvoyer en prison, où ils sont forcés de travailler, battus et agressés et, dans certains cas, littéralement vendus en esclavage à des milices qui demandent à leurs familles des rançons pour leur libération.

Ceux qui tentent d’exercer leur droit démocratique et légal de demander l’asile en Europe fuient les conditions de pauvreté et de crise sociale dans leurs pays qui sont le résultat des interventions néocoloniales et de l’exploitation économique des puissances européennes et des États-Unis.

Le rapport de cette semaine du commissaire européen aux droits de l’homme confirme la responsabilité de l’UE dans ce crime social. Intitulé «Un écart croissant dans la protection des migrants en Méditerranée», il fait suite à un rapport produit par l’agence en 2019, appelant à une série d’actions de l’UE pour protéger les réfugiés qui tentent de rejoindre l’Europe. Au cours des deux années qui ont suivi, écrivent les auteurs, la restriction des opérations de sauvetage en Méditerranée n’a été que renforcée.

«Déjà depuis août 2018, aucun navire militaire n’a effectué d’opération de sauvetage en Méditerranée centrale dans le cadre de [l’opération Sophia], alors qu’entre janvier 2016 et juillet 2018, l’opération a sauvé plus de 35.000 réfugiés et migrants», déclarent les auteurs.

Dans un autre passage, ils notent que le successeur de l’opération Sophia, l’opération EUNAVFOR MED IRINI, a été établi en avril 2020. Pourtant, son attention a été déplacée vers la Méditerranée orientale «entre la Grèce et l’Égypte, réduisant la probabilité de rencontrer des réfugiés et des migrants en détresse en mer et d’être obligé d’effectuer des sauvetages et des débarquements dans un lieu sûr». Expliquant ce changement, ils soulignent une clause insérée dans l’énoncé de mission de l’opération selon laquelle ses interventions ne devraient pas «servir d’attrait pour la migration».

En d’autres termes, rien ne devrait être fait qui amènerait les migrants à croire qu’ils pourraient être secourus si leur bateau coulait, car cela les encouragerait à tenter la traversée vers l’Europe.

Dans le même temps, déclarent les auteurs, «les activités de recherche et de sauvetage dirigées par des ONG ont continué d’être entravées, soit par des procédures administratives ou pénales, soit simplement en empêchant le débarquement, de sorte qu’un certain nombre de navires d’ONG n’ont pas pu reprendre les opérations de sauvetage».

En mars et mai, par exemple, pas un seul navire de sauvetage d’ONG n’a été signalé en mer. «En avril 2020, seuls deux navires exploités par des ONG étaient présents en mer, pour un total de seulement cinq jours. Depuis juin 2020, quelques navires ont repris leurs activités de sauvetage. Cependant, au moins dix navires d’ONG avaient été confinés dans les ports pendant des périodes spécifiques, et certains étaient toujours détenus au moment de la rédaction du présent rapport.»

Les opérations de recherche ont plutôt été transférées aux garde-côtes libyens, dans le but de renvoyer les réfugiés en Libye. La Commission des droits de l’homme des Nations Unies a appelé à mettre fin à la pratique du renvoi des réfugiés en Libye, à la suite des révélations largement répandues de torture, de meurtre et de vente de réfugiés en esclavage. Pourtant, depuis lors, l’utilisation par l’UE des garde-côtes libyens en tant que force frontalière s’est intensifiée. En 2019, notent les auteurs, 9225 personnes ont été renvoyées en Libye contre leur volonté. En 2020, ce chiffre a augmenté de 34 pour cent à 11.891.

Alors même que le rapport était rendu, l’UE se réunissait pour décider comment intensifier ses politiques anti-réfugiés. Les ministres de l’Intérieur de l’UE ont tenu une réunion en ligne le 12 mars au cours de laquelle ils ont accepté une proposition visant à menacer les pays tiers d’un accès réduit aux visas s’ils refusent d’accepter le retour des réfugiés dont les demandes d’entrée sont rejetées en Europe. «Si les pays ne coopèrent pas au rapatriement, il doit y avoir des conséquences», a déclaré le ministre allemand de l’Intérieur Horst Seehofer. «Ceux qui ne reprennent pas leurs propres citoyens ne peuvent s’attendre à aucune facilitation de visas.»

La commissaire européenne à l’Intérieur, Ylva Johansson, s’est plainte du fait que sur environ 500.000 demandeurs d’asile déboutés, seuls 140.000 à 150.000 ont été expulsés en 2019. «Nous devons vraiment l’accélérer».

Le Commissaire aux droits de l’homme est une branche du Conseil de l’Europe, qui a été créé en 1949 à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, son dernier rapport n’a pratiquement pas reçu de couverture dans les principales publications des médias et a été accueilli par un silence total parmi les gouvernements de l’UE.

Si un rapport équivalent était publié montrant que les gouvernements russe ou chinois permettaient délibérément aux réfugiés de mourir à leurs frontières, cela ferait l’objet d’une couverture médiatique sans interruption, de photos de couverture et de larmes de crocodile dans les cercles de l’UE – afin de justifier des dispositions renforcées diplomatique et militaire contre ces pays.

Les politiques anti-réfugiés de l’UE sont un mécanisme politique par lequel les forces d’extrême droite et néofascistes sont systématiquement réhabilitées par l’UE. La défense des immigrés et du droit de toutes les personnes de vivre et de travailler dans le pays de leur choix, avec les pleins droits de citoyenneté, est une tâche élémentaire de la classe ouvrière européenne.

(Article paru en anglais le 18 mars 2021)

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