Quatre ans depuis l'emprisonnement à vie des treize travailleurs de Maruti Suzuki

Le 18 mars marquait le quatrième anniversaire des monstrueuses condamnations à perpétuité infligées à 13 travailleurs innocents de Maruti Suzuki. Ce jugement vindicatif était l'aboutissement d'une chasse aux sorcières contre ces travailleurs et d'un coup monté juridique de la police, du parti Bharatiya Janata ( BJP), des gouvernements régionaux du Parti du Congrès et des tribunaux. Leur seul «crime»: avoir mené le combat d’une main-d'œuvre exploitée sans pitié pour de meilleures conditions et de meilleurs salaires contre le constructeur automobile multinational japonais.

La police emmène les travailleurs Maruti Suzuki victimes de la machination juridique

Douze travailleurs sur les treize condamnés représentent l'ensemble de la direction d'origine du syndicat des travailleurs de Maruti Suzuki (MSWU), un syndicat créé par les travailleurs dans une lutte acharnée contre un syndicat corrompu pro-entreprise, soutenu par le gouvernement.

Les peines draconiennes furent prononcées par un tribunal régional partial où le juge président a admis sans vergogne des «preuves» policières grossièrement fabriquées contre ces travailleurs et ignoré les lacunes criardes dans l’argumentation du procureur. Dans une décision effrontément pro-entreprise, le juge a justifié l'absence de tout témoignage de travailleurs pendant le procès au motif qu'ils eussent simplement répété la ligne du MSWU ou été intimidés par celui-ci.

Les dirigeants de Maruti Suzuki eux, furent autorisés à témoigner et leur version des événements traitée comme parole d’Évangile. Comme l'observa le World Socialist Website dans sa série détaillée en cinq parties (article en anglais) analysant le procès, «le jugement du juge Goyal n'était pas fondé sur une véritable appréciation des preuves. Au contraire, il a été conçu pour arriver à un résultat prédéterminé – le résultat exigé par l'élite dirigeante indienne ».

Les treize travailleurs – Ram Meher, Sandeep Dhillon, Ram Bilas, Sarabjeet Singh, Pawan Kumar Dahiya, Sohan Kumar, Ajmer Singh, Suresh Kumar, Amarjeet, Dhanraj Bambi, Pradeep Gujjar, Yogesh et Jiyalal – ont joué des rôles de premier plan dans la lutte acharnée d'un an, commençée en 2011, pour la formation de leur propre syndicat indépendant en opposition au syndicat jaune imposé par l'entreprise à l'usine automobile Maruti Suzuki à Manesar. Ils avaient été arrêtés une première fois il y a près de neuf ans à la suite d'une provocation orchestrée à l'usine par la direction, en juillet 2012.

Lorsque la pandémie de COVID-19 a éclaté au printemps dernier, plus de 2300 prisonniers dans diverses prisons de Haryana ont été temporairement mis en liberté conditionnelle et autorisés à rentrer chez eux. Les Treize de Maruti Suzuki ont eux aussi été temporairement libérés, mais le gouvernement de la province impose maintenant aux prisonniers de regagner leurs cellules, affirmant que la pandémie est sous contrôle. En fait, les nouvelles infections quotidiennes ont dépassé les 25 000 tout au long de la semaine dernière.

Selon les informations reçues d'anciens travailleurs de Maruti Suzuki contactés par le World Socialist Web Site, ces travailleurs ont payé un terrible tribut du aux épreuves qu’ils ont subies.

L'un d’eux, Pawan Kumar, a été tragiquement tué après avoir été électrocuté alors qu'il était en liberté conditionnelle au domicile de sa famille. Deux autres sont très gravement malades. Ajmer, qui était le conseiller juridique du MSWU avant son incarcération, lutte contre le cancer et Jiyalal, qui était le «principal accusé», souffre d’une tumeur au cerveau.

Les treize travailleurs emprisonnés de Maruti Suzuki

Pour beaucoup des familles, ces jeunes travailleurs étaient le seul gagne-pain.Dans une forte démonstration de solidarité, les anciens et actuels travailleurs de Maruti Suzuki ont collecté des centaines de milliers de roupies chaque année pour soutenir toutes les familles des travailleurs emprisonnés.

Durant les près de cinq ans écoulés entre l'arrestation et la détention des travailleurs de Maruti Suzuki et leur condamnation le 18 mars 2017, le gouvernement indien et les autorités judiciaires, dont le ministre en chef de l'Haryana (Parti du Congrès), ont exigé à maintes reprises qu’ils reçoivent une punition exemplaire pour rassurer les investisseurs. Le gouvernement central hindou-suprémaciste BJP, arrivé au pouvoir en 2014, fut tout aussi insistant que le précédent gouvernement du Congrès pour essayer de faire de ces travailleurs un exemple.

Dès le départ, les fédérations syndicales CITU et AITUC dirigées par les staliniens, les antennes syndicales du Parti communiste indien (marxiste) (CPM) et du Parti communiste indien (CPI), plus ancien mais plus petit, ont refusé d’engager des actions significatives pour faire libérer les travailleurs persécutés.

Malgré une présence considérable dans la ceinture manufacturière de Gurgaon-Manesar, où se trouve l'usine Maruti Suzuki, les syndicats ont refusé d'organiser une quelconque action résolue pour libérer ces courageux ouvriers. La dernière action publique qu'ils ont organisée en soutien aux travailleurs emprisonnés remonte à avril 2017 et elle ne l’a été que par crainte de perdre toute crédibilité aux yeux des ouvriers militants des usines.

Aujourd'hui, ni les syndicats staliniens ni leurs partis politiques apparentés ne se soucient même de mentionner le sort actuel des travailleurs emprisonnés de Maruti Suzuki. Pourtant, le quotidien anglophone du CPM, People's Democracy, a été contraint de reconnaître que le sort de ces travailleurs avait été invoqué par d'autres employeurs pour intimider leurs propres travailleurs.

Durant le plaidoyer des peines, le procureur de la République Anurag Hooda appela le juge à prononcer sans pitié des condamnations à mort pour les treize travailleurs. Se comportant plus comme un agent éhonté du capital international que comme un fonctionnaire judiciaire, Hooda a ouvertement déclaré que toute opposition ouvrière devait être impitoyablement réprimée pour maintenir la réputation de l'Inde comme plate-forme de main-d’œuvre bon marché du capital international.

Il déclara : «Notre croissance industrielle a chuté, les IDE (investissements directs étrangers) se sont taris,» ajoutant: «Le Premier ministre Narendra Modi appelle au Made in India, mais de tels incidents ont entaché notre réputation.»

Si le juge rejeta finalement la condamnation à mort et imposa plutôt la réclusion à perpétuité, le gouvernement provincial lui, continue à ce jour de faire appel de la décision dans le but de faire exécuter les travailleurs.

Les luttes des Maruti Suzuki commencées en 2011 provenaient d’âpres griefs et de la colère contre les conditions de travail des ateliers, le travail intérimaire et des abus constants de la part de la direction de l'usine. La rébellion généralisée qui en fut la conséquence comporta des actions telles que des grèves, des occupations d'usines et une résistance énergique contre les violentes répressions policières.

Finalement, en mars 2012, les travailleurs ont réussi à contraindre l'entreprise et le gouvernement de la province à accorder une reconnaissance formelle au syndicat des travailleurs de Maruti Suzuki (MSWU) comme seul représentant légitime des travailleurs de l'usine.

Peu de temps après, le MSWU a présenté à la direction une charte de revendications qui comprenait l'abolition complète du système détesté du travail intérimaire. La direction a refusé de négocier.

Puis, le 18 juillet 2012, l'administration de l'entreprise, encore ébranlée du défi acharné des travailleurs, provoqua une dispute à l'intérieur de l'usine. Un contremaître a lancé des insultes de caste grossières à Jiyalal, un ouvrier Dalit (autrefois appelés «intouchables»). Au cours de la mêlée déclenchée par cette provocation, un mystérieux incendie s'est déclaré qui a entraîné la mort par asphyxie due à la fumée du responsable des ressources humaines, Avanish Kumar Dev.

S’emparant de la mort d'Avanish Dev, la direction a travaillé main dans la main avec le gouvernement provincial, dirigé à l'époque par le Parti du Congrès, et organisa une chasse aux sorcières féroce au cours des mois suivants.

Des centaines de travailleurs furent arrêtés dans une rafle de la police et la direction a saisi cette occasion pour licencier 546 travailleurs permanents et environ 1 800 intérimaires. Parmi les détenus se trouvaient 148 travailleurs, qui ont été torturés par la police et ont croupis en prison pendant plus de trois ans pour des crimes qu'ils n'avaient pas commis.

Reconnaissant tacitement que cette brutale chasse aux sorcières n'avait aucun fondement juridique, le tribunal se sentit obligé de libérer 117 travailleurs, soit parce qu'aucune preuve n'avait été présentée contre eux, soit parce que leur arrestation s’était faite sur la base de listes fournies par l'entreprise. Le gouvernement provincial continue toujours de faire appel de ces acquittements, exigeant que les travailleurs soient inculpés.

Finalement, 13 travailleurs furent condamnés pour meurtre et 18 autres pour des chefs d'accusation moindres.

Avanish Dev, bien que cadre supérieur de l'entreprise, était vu avec grande malveillance par les autres cadres à cause de sa sympathie envers les travailleurs. Il avait aidé les travailleurs à inscrire leur MSWU nouvellement constitué auprès des autorités de la province de Haryana en 2012.

Les partis staliniens portent la plus grande responsabilité dans la défaite et l'isolement de ces travailleurs courageux. Le CPM et le CPI se considèrent désormais comme des gardiens acharnés de «l'ordre constitutionnel» bourgeois indien et participent à ce cloaque politique avec beaucoup d'enthousiasme.

Ils exhortent constamment les travailleurs qu'ils représentent théoriquement à apporter leur soutien politique au Parti du Congrès bourgeois, présentant cet ennemi mortel de la classe ouvrière indienne comme une alternative progressiste au gouvernement hindou-suprémaciste BJP du premier ministre autoritaire Narendra Modi.

Le sort des travailleurs de Maruti Suzuki témoigne du fait que le Congrès n'est pas une alternative «progressiste», puisque c'est son gouvernement de la province d’Haryana qui a pris les devants en écrasant violemment le MSWU et en persécutant ses dirigeants.

Le lendemain de l'annonce de la condamnation, en mars 2017, le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) et le World Socialist Web Site (WSWS) ont lancé une campagne mondiale pour mobiliser la classe ouvrière internationale et exiger la libération des treize travailleurs de Maruti Suzuki.

Les conditions objectives pour l'intensification de cette campagne quatre ans plus tard existent avec la recrudescence dramatique des luttes ouvrières en Inde et au niveau international ces derniers mois. Face à une nouvelle vague de réformes pro-investisseurs du gouvernement Modi – comme l'éviscération de la législation du travail et l'expansion du recours au travail d’intérimaires – une série de grèves et de manifestations militantes des travailleurs de l'automobile et d'autres secteurs industriels ont éclaté. Entre autre la grève de trois mois de plus de 3 000 travailleurs à l'usine Toyota Kirloskar Motors (TMK) près de Bengaluru.

En Inde comme dans le monde, des manifestations ont éclaté parmi toutes les sections de la classe ouvrière en réponse à l'indifférence criminelle des élites dirigeantes de chaque pays pour la vie des travailleurs dans la pandémie mortelle de coronavirus.

Pour repousser la menace de la répression étatique et lutter pour des emplois décents et stables et des lieux de travail sûrs, contre la volonté insatiable des entreprises multinationales comme Maruti Suzuki d’accumuler des profits, les travailleurs qui entrent en lutte en Inde et dans le monde doivent exiger la liberté des treize prisonniers de guerre de classe de Maruti Suzuki!

(Article paru en anglais le 20 mars 2021)

Loading