Les décès liés aux opioïdes montent en flèche au Canada alors que la pandémie aggrave une crise sanitaire et sociale déjà très sévère

Avec la pandémie de coronavirus et la stratégie «les profits avant les vies» de l’élite dirigeante qui exacerbe la crise sociale et des soins de santé déjà terrible au Canada, le nombre de Canadiens qui meurent de surdoses d’opioïdes a augmenté de façon spectaculaire au cours de la dernière année. Bien que certaines données provinciales soient encore en cours de compilation, 2020 apparaîtra probablement comme l’année la plus meurtrière jamais enregistrée à ce jour.

Selon les estimations, le nombre total de décès liés aux opioïdes s’élève à environ 16.000 depuis 2016 à l’échelle nationale. Le flux constant de tragédies a été souligné cette semaine par des reportages faisant état de deux décès par surdose en deux jours dans la petite ville d’Owen Sound, dans le sud de l’Ontario.

Emballages de timbres de fentanyl de plusieurs fabricants allemands de médicaments génériques (de gauche à droite: 1A Pharma, Winthrop, TAD Pharma, ratiopharm, Hexal)

Pratiquement toutes les provinces ont enregistré des augmentations en 2020. En Colombie-Britannique, le nombre de décès a presque doublé, passant de 984 en 2019 à 1716. La Saskatchewan a connu un taux par habitant comparable à celui de la Colombie-Britannique, et son taux de décès a doublé en 2020. En Ontario, 50 à 80 personnes décèdent chaque semaine, selon le bureau du coroner en chef. L’année 2021 suit le même chemin, la ville de Toronto ayant battu son record mensuel de décès en janvier dernier. Le précédent record avait été établi en décembre 2020, qui avait lui-même éclipsé les chiffres records d’octobre et novembre. L’Alberta et la Nouvelle-Écosse ont également connu des pics importants de décès liés aux opioïdes.

Plusieurs facteurs ont été cités comme contribuant à la montée en flèche du taux de mortalité. La pandémie a perturbé l’approvisionnement en médicaments en raison des effets des contrôles aux frontières, ce qui a conduit à une utilisation plus large de produits imprévisibles et de concoctions maison. Des opioïdes de plus en plus puissants s’avèrent être responsables des décès par overdose, notamment le fentanyl. En 2017, 50 % des échantillons testés par Santé Canada contenaient du fentanyl. Maintenant, on découvre que des échantillons contiennent l’opioïde synthétique carfentanil, qui est 100 fois plus puissant que le fentanyl et 10.000 fois plus puissant que la morphine.

Les mesures de distanciation sociale ont laissé les utilisateurs isolés et sans accès à de l’aide en cas d’overdose. Une étude menée l’an dernier par les Instituts de recherche en santé du Canada a révélé que dans les trois quarts des cas examinés, les victimes étaient seules au moment de la surdose. La pandémie a également entraîné une réduction du nombre de lits de traitement et de sites d’injection sécurisés. Ces derniers, déjà peu nombreux, ont vu leur temps d’attente augmenter considérablement en conséquence. L’étude a également enregistré une augmentation significative des décès chez les hommes, les immigrants récents et les minorités visibles.

Un autre rapport du Réseau de recherche sur les politiques en matière de drogues de l’Ontario indique que les cohortes d’âge plus jeunes sont plus durement touchées qu’avant la pandémie. L’épidémie d’opioïdes, ajoute-t-il, augmente tant dans les grandes villes que dans les villages. Une infirmière du sud-est de l’Ontario et coordonnatrice de la réduction des méfaits a déclaré à CTV News: «Je fais ce travail depuis 11 ans, et je n’ai jamais vu de tels chiffres.»

Les confinements temporaires, imposés par les gouvernements provinciaux qui, avec le gouvernement libéral fédéral, ont refusé de fournir un soutien financier et social adéquat aux familles de travailleurs tout en distribuant des centaines de milliards de dollars aux banques et aux grandes entreprises, ont également coïncidé avec la détérioration de la situation de la santé mentale dans tout le pays. Depuis le début de la pandémie, on constate une baisse significative de la santé mentale autodéclarée. La consommation d’alcool, de tabac et de cannabis, qui peut servir de baromètre pour le stress et d’autres problèmes de santé mentale, est en forte hausse depuis mars de l’année dernière. L’utilisation combinée d’opioïdes et d’autres stupéfiants, notamment l’alcool, les méthamphétamines et la cocaïne, peut augmenter le risque de décès.

L’augmentation du nombre de décès survient dans le sillage d’une épidémie déjà dévastatrice de décès dus aux opioïdes. Un rapport a révélé qu’en 2018, 13 Canadiens mourraient chaque jour de surdoses d’opioïdes. Si une certaine amélioration a été constatée en 2019, la situation s’est radicalement inversée en 2020. Dans le creux entre la première et la deuxième vague de la pandémie, de nombreuses régions enregistraient plus de décès dus aux opioïdes qu’au COVID-19.

Des appels se multiplient en faveur de la dépénalisation de la possession d’opioïdes et d’autres stupéfiants, notamment en petites quantités. Cette mesure a reçu le soutien du médecin en chef du pays et du chef de l’Association canadienne des chefs de police. Ses partisans font valoir que cela encouragerait les usagers à se faire soigner sans craindre les conséquences juridiques.

Les chercheurs soulignent que les États-Unis et le Canada sont les seuls, parmi les pays industrialisés, à souffrir d’une épidémie prononcée de consommation d’opioïdes. La commercialisation des soins de santé dans les deux pays est l’un des principaux responsables de cette situation. Ces deux pays sont les plus grands consommateurs d’opioïdes sur ordonnance. Le Japon, par contre, a un taux d’utilisation des opioïdes 5 % plus élevé que celui du Canada. Le marketing hypocrite a contribué à une augmentation spectaculaire de la surprescription d’opioïdes contre la douleur depuis la fin des années 1990. Lorsque les restrictions sur la délivrance de ces médicaments ont été renforcées, les utilisateurs ont été contraints de chercher des alternatives sur le marché noir. Cela a en partie contribué à multiplier par plus de cinq le nombre de décès dus aux opioïdes par rapport à il y a 30 ans.

À l’instar de leurs homologues américains, les gouvernements canadiens ont fait grand cas de leurs efforts tardifs pour mettre un frein aux grandes sociétés pharmaceutiques qui ont profité de la mort de milliers de personnes. Purdue Pharma, contrôlée par la vénale famille Sackler qui a jusqu’à présent échappé aux poursuites pénales, fait l’objet de poursuites provinciales totalisant des dizaines de milliards de dollars. Mais il reste à voir ce qui sera récupéré, car la société a demandé la protection de la loi sur les faillites.

Si l’on a beaucoup parlé de l’impact de la distanciation sociale et d’autres mesures liées à la pandémie sur l’épidémie d’opioïdes, les médias ont moins abordé la crise sociale en cours qui n’a fait qu’être exacerbée par la COVID-19.

Avant la pandémie, une étude sur les hospitalisations dues à l’empoisonnement aux opioïdes a révélé que les niveaux d’éducation et de revenu étaient négativement associés au risque. Au milieu d’une crise du logement à l’échelle nationale qui a vu une augmentation spectaculaire du nombre de sans-abri, l’étude a révélé que le pourcentage du revenu consacré au logement était également un facteur prédictif positif d’hospitalisation. Les professions les plus associées à l’hospitalisation sont les emplois de la classe ouvrière qui sont physiquement exigeants, entraînent souvent des blessures et sont mal rémunérés, notamment les emplois manufacturiers et manuels. La population carcérale et la population autochtone sont également touchées de manière disproportionnée par l’épidémie.

Le financement à tous les niveaux du système de soins de santé a été réduit à néant, et les ambulanciers et les pompiers qui sont en première ligne de l’épidémie sont lourdement sollicités. Le coupable en chef à cet égard est le gouvernement libéral de Justin Trudeau, qui a réduit les transferts aux provinces en matière de santé pendant plus de cinq ans au pouvoir. L’«augmentation» annuelle officielle de 3 % de ces transferts ne suit même pas le rythme de l’inflation, sans compter l’augmentation des coûts imposés aux soins de santé par une population à la fois croissante et vieillissante, les exigences de l’épidémie d’opioïdes, et maintenant, surtout, la catastrophe du COVID-19. Aucune restriction de ce type n’a été imposée aux augmentations budgétaires somptueuses pour l’armée et ses armes de guerre, qui devraient augmenter de plus de 70 % d’ici 2026 par rapport aux niveaux de 2017.

Avant la pandémie, un groupe de chercheurs a écrit dans le Lancet ce qu’il faudrait faire pour s’attaquer au problème, en le comparant explicitement à l’épidémie d’une maladie infectieuse. Ils expliquaient que «la crise actuelle des opioïdes au Canada nécessiterait l’identification et la protection systématiques d’une population estimée à un million d’utilisateurs exposés à des produits opioïdes toxiques, par la mise en place d’un approvisionnement en opioïdes plus sûr.»

Un sondage publié à la fin du mois dernier par l’institut de sondage Angus Reid démontre encore une fois les profondes cicatrices laissées par l’épidémie. Cinq pour cent des Canadiens connaissent quelqu’un qui est décédé des suites de la consommation d’opioïdes, dont 10 pour cent des Britanno-Colombiens. Par conséquent, une nette majorité du pays est favorable à une large décriminalisation des stupéfiants et à l’augmentation de la disponibilité et du financement des sites d’injection sécuritaires. Les habitants de presque toutes les provinces estiment que leur gouvernement ne fait pas assez pour lutter contre la crise. Le taux de satisfaction le plus bas a été attribué au premier ministre néo-démocrate de la Colombie-Britannique, John Horgan. Ce dernier a dû s’excuser l’année dernière pour avoir comparé le COVID-19 à la crise des opioïdes, en déclarant que la pandémie avait fait des victimes innocentes, alors que les personnes décédées d’une surdose d’opioïdes avaient fait le «choix» de prendre cette substance.

(Article paru en anglais le 18 mars 2021)

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