Perspectives

300 000 morts au Brésil: un crime du capitalisme contre l'humanité

Mercredi, le Brésil a dépassé le triste cap des 300.000 décès dus au COVID-19. Dans chacun des États et régions du pays, la population brésilienne a assisté à un gaspillage brutal de vies humaines, résultat de l’indifférence criminelle de son élite dirigeante.

Nous n’avons pas encore terminé trois mois complets de l’année 2021, mais au cours de cette brève période, plus de 100.000 Brésiliens ont perdu la vie à cause du COVID-19. Le bilan de la pandémie s’est alourdi très rapidement depuis le début de l’année, le nombre moyen d’infections quotidiennes passant de 36.000 à plus de 77.000. La tendance est toujours à la hausse, avec un record de 100.158 infections enregistrées jeudi.

L’avancée fulgurante du virus dans tout le pays a provoqué «le plus grand effondrement sanitaire et hospitalier de [son] histoire», selon l’institut de santé publique Fiocruz. Des milliers de patients gravement malades attendent un lit de soins intensifs sur des listes d’attente. Les listes comptent environ 900 personnes au Paraná, 750 dans le Grand São Paulo, 700 au Minas Gerais, 500 à Rio de Janeiro, 500 au Ceará, 400 à Goiás. Il y a des centaines d’autres dans pratiquement tous les États du Brésil.

Des habitants placent des roses sur des matelas qui symbolisent les victimes du COVID-19, lors d’une manifestation contre la gestion par le gouvernement de la pandémie du COVID-19. (AP Photo/Silvia Izquierdo)

Les médecins sont déjà contraints de choisir qui sera soigné et qui sera laissé à l’abandon. Mais des menaces imminentes existent que l’épuisement des fournitures hospitalières, notamment l’oxygène médical et les médicaments d’intubation, compromet sérieusement la capacité à soigner même ceux qui ont réussi à obtenir un lit d’hôpital.

Les perspectives pour les semaines à venir sont terrifiantes. Si l’on ne prend pas des mesures immédiates, les chercheurs de Fiocruz ont averti que le Brésil atteindra d’ici avril une moyenne de 4.000 à 5.000 décès par jour.

Mais, la catastrophe du Brésil a un impact bien au-delà de ses frontières nationales. Le coronavirus n’a besoin ni de passeport ni de visa pour les franchir. Mercredi, l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS) a mis en garde contre la menace dévastatrice que représente la pandémie croissante au Brésil pour les pays voisins d’Amérique du Sud.

Les régions du Venezuela, du Pérou et de la Bolivie qui bordent la partie nord du Brésil ont signalé une forte augmentation des cas ces derniers jours. À la frontière sud du Brésil, le Paraguay est confronté à un effondrement des hôpitaux. L’Uruguay, qui avait enregistré des chiffres exceptionnellement bas lors de la première vague de la pandémie, connaît une escalade rapide des infections et des décès.

Les efforts des gouvernements de ces pays pour isoler leurs populations par des contrôles aux frontières et des restrictions à l’entrée des Brésiliens se trouvent sérieusement compromis par la profonde intégration transfrontalière de la vie économique et sociale. En outre, la variante brésilienne P.1 du COVID-19, plus infectieuse, a joué un rôle majeur dans l’explosion des cas au Brésil. Elle s’est déjà largement répandue dans les pays voisins, ainsi que dans d’autres parties du monde.

L’absence de contrôle de la propagation de la pandémie au Brésil a non seulement conduit à une reproduction accélérée de cette souche virulente. Mais elle est en train de transformer le pays en un laboratoire à ciel ouvert pour la génération d’autres mutations du COVID-19, et peut-être même d’un nouveau virus, un SARS-CoV-3 encore plus contagieux et mortel.

Une étude publiée récemment par des chercheurs du réseau de surveillance génomique Fiocruz COVID-19 a identifié des mutations pertinentes dans 11 séquences de SARS-CoV-2 provenant de cinq États brésiliens différents. Les scientifiques concluent: «Ces résultats confirment que la transmission généralisée actuelle du SRAS-CoV-2 au Brésil génère de nouvelles lignées virales qui pourraient être plus résistantes à la neutralisation que les variants parentaux préoccupants.»

Les dangers inquiétants que représente cette évolution catastrophique de la maladie pour la population brésilienne et mondiale sont traités avec le plus grossier mépris par le président de type fasciste du Brésil, Jair Bolsonaro. Il poursuit la politique meurtrière d’immunité collective de son gouvernement jusqu’à ses ultimes conséquences, exigeant que les Brésiliens cessent de «pleurnicher» sur la mort de masse et se remettent au travail.

Bolsonaro se bat pour qu’aucune mesure qui vise à freiner la propagation du virus n’entre en conflit avec l’intérêt économique du capitalisme brésilien. Réaffirmant ses menaces dictatoriales, il a prévenu que son gouvernement et son armée préparent des «mesures sévères» contre tout décret de confinement, afin de garantir le «droit du peuple au travail.»

Pour forcer les travailleurs à se rendre sur des lieux de travail très infectés, il s’appuie avant tout sur les immenses pressions économiques exercées sur les masses. L’explosion du chômage, la hausse des prix des denrées alimentaires et la suppression de l’aide d’urgence par le gouvernement imposent à chaque section de la classe ouvrière des niveaux de désespoir social sans précédent.

Selon Daniel Duque, chercheur à la Fondation Getúlio Vargas (FGV), au cours de l’année dernière, 22 millions de Brésiliens supplémentaires sont tombés dans la pauvreté. Trois Brésiliens sur dix vivent dans un certain degré d’insécurité alimentaire. Dans les favelas, les quartiers pauvres de la classe ouvrière des centres urbains du Brésil, 68 pour cent des résidents n’ont pas d’argent pour se nourrir, comme l’indique un sondage du Centre uni des favelas (CUFA).

La combinaison des difficultés économiques insupportables et des souffrances incommensurables causées par la pandémie alimente une croissance explosive de l’opposition sociale au Brésil. Ces derniers jours, des grèves et des protestations ont éclaté parmi les enseignants, les travailleurs du pétrole, les chauffeurs de bus, les livreurs et d’autres sections de la classe ouvrière. Les travailleurs exigent la sécurité sur les lieux de travail, des salaires décents et un changement politique.

Sensibles à cette menace venue d’en bas, des sections de l’élite capitaliste craignent que les politiques de Bolsonaro ne provoquent une explosion sociale et économique qui remette en cause leur domination de classe sur la société.

Cette position a été exposée dans une «lettre ouverte» d’économistes et d’hommes d’affaires critiquant la gestion de la pandémie par Bolsonaro. Parmi les signataires figurent d’anciens ministres et présidents de la Banque centrale; le dirigeant de la plus grande entreprise brésilienne d’emballage de viande; et le président du conseil d’administration de la banque Itaú – le plus grand conglomérat financier de l’hémisphère sud. L’auteur du programme économique du Parti de socialisme et liberté (PSOL) de la pseudogauche s’est joint à eux.

La lettre affirmait que «tant qu’on ne contrôle pas la pandémie par une action compétente du gouvernement fédéral, on ne surmonterait pas la récession économique». Sa recommandation, répétée à l’envi, est que le gouvernement dépense le minimum nécessaire pour éviter une explosion sociale.

Sa première et principale demande est l’accélération de l’achat et de la distribution de vaccins. Jusqu’à présent, seuls 6 pour cent de la population ont reçu une première dose. La lettre affirme que «le rapport coût-bénéfice des vaccins est de l’ordre de six fois pour chaque réal [devise brésilienne] dépensé pour les achats et les commandes». Ensuite, elle exhorte le gouvernement à distribuer gratuitement des masques et à encourager leur utilisation, affirmant que cela aurait «un faible coût par rapport à une aide financière en cas de confinement pour cause de COVID-19».

Tout en proclamant «la nécessité d’évaluer un confinement», la lettre exprime une inquiétude extrême quant à «l’étendue des activités qu’il couvrirait» et à sa durée. Elle affirme que «la meilleure combinaison est celle qui maximise les avantages en termes de réduction de la transmission du virus et minimise les effets économiques». La même norme est appliquée à l’aide financière, qui doit être allégée et axée sur les secteurs les plus touchés de la population.

La lettre s’attaque également avec virulence aux fermetures d’écoles. Elle affirme que l’expérience criminelle de la réouverture des écoles de São Paulo – qui, en réalité, a provoqué des milliers d’infections d’éducateurs et d’élèves et des dizaines de décès – est la preuve du «niveau relativement faible d’infection dans les écoles».

Cette prétendue opposition au sein de la classe dirigeante à Bolsonaro est une fraude totale. Rien de ce qui est proposé ne garantit un endiguement efficace de la pandémie. Tout en présentant des différences superficielles avec les politiques de Bolsonaro, ce programme est fondé sur la même hostilité aux conclusions de la science et à l’objectif de préservation des vies humaines.

Ce même programme essentiel trouve son expression politique dans l’alliance pourrie, largement saluée dans les médias bourgeois, entre le Parti des travailleurs (PT) et le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), le parti traditionnel de la droite brésilienne. Cette alliance se trouve matérialisée par le Forum national des gouverneurs. Les gouverneurs représentés dans cet organe ont maintenu ouvertes toutes les activités économiques dans leurs États et ont encouragé la réouverture meurtrière des écoles. À la seule différence qu’ils n’attaquent pas l’utilisation de masques et de vaccins, comme le fait Bolsonaro, ils portent la même responsabilité criminelle dans le désastre du COVID-19 au Brésil.

C’est aussi, fondamentalement, le programme des syndicats, qui ont agi comme des agences des entreprises pour les maintenir en activité sans tenir compte des risques pour les travailleurs et la société dans son ensemble. Les syndicats ont systématiquement saboté les luttes des travailleurs pour la fermeture des entreprises et des écoles. Ces organisations ont également réagi avec nervosité à l’agitation dans leurs rangs. À l’instar du secteur bourgeois à l’origine de la «lettre ouverte», les syndicats ont exigé l’accélération des vaccinations pour leurs travailleurs afin que l’exploitation capitaliste puisse reprendre son cours normal.

Combattre la catastrophe créée par la pandémie exige un programme indépendant de la classe ouvrière, qui pointe dans une direction radicalement différente.

Au lieu d’un confinement partiel, basé sur une analyse coût-bénéfice qui met en balance les profits et les vies humaines, la classe ouvrière doit se battre pour arrêter toutes les activités qui ne sont pas essentielles à la société. Les activités qui sont maintenues doivent fonctionner sous le contrôle des travailleurs. Ces derniers doivent avoir l’aide de scientifiques et de professionnels de la santé pour assurer leur sécurité. Un revenu complet – et non des primes de famine – doit être assuré à toutes les familles de travailleurs.

La mise en œuvre de ce programme est nécessaire pour sauver les vies non seulement des travailleurs brésiliens, mais aussi de leurs frères et sœurs de classe sur toute la planète.

La nature mondiale de la pandémie de COVID-19 prouve la nécessité de l’abolition du système capitaliste des États-nations. Les luttes des travailleurs brésiliens doivent être unies à celles de la classe ouvrière internationale pour arrêter la propagation du coronavirus. Elles doivent mettre en œuvre des mesures socialistes, notamment l’expropriation de l’oligarchie financière et la fin de la propriété privée des moyens de production. C’est ce qui ouvrirait la voie à une économie socialiste mondiale, scientifiquement organisée et démocratiquement contrôlée par les travailleurs, et accordant la priorité à la vie humaine au lieu du profit.

(Article paru en anglais le 26 mars 2021)

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