Le gouvernement libéral du Canada se prépare à criminaliser la grève imminente des débardeurs du port de Montréal

Le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau prépare en coulisse une loi antigrève pour criminaliser la grève imminente de plus de 1100 débardeurs au port de Montréal. La nouvelle survient après que les débardeurs, les contremaîtres et les travailleurs d’entretien ont voté à une écrasante majorité de 99,7 %, dimanche dernier, pour rejeter la dernière offre de contrat remplie de reculs de l’Association des employeurs maritimes (AEM). Les travailleurs sont sans contrat depuis décembre 2018.

Selon le quotidien montréalais La Presse, le cabinet Trudeau s’est vu présenter l’ébauche d’un projet de loi de retour au travail «d’urgence» lors de sa réunion de lundi, quelques heures seulement après le rejet décisif par les travailleurs de ce que les employeurs ont appelé leur «offre finale».

Travailleurs du port de Montréal faisant du piquetage pendant la grève de 12 jours d’août dernier. (Source: SCFP)

Les préparatifs avancés pour rendre illégale la grève des débardeurs de Montréal avant même son déclenchement soulignent l’extrême nervosité avec laquelle le gouvernement fédéral et les élites dirigeantes du Québec et de tout le Canada suivent le conflit. Ils craignent que les travailleurs, qui sont représentés par le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), perturbent considérablement l’activité économique en cas de grève. Deuxième port en importance au Canada, le port de Montréal est responsable de la manutention d’environ 100 milliards de dollars de marchandises chaque année.

Plus fondamentalement, le gouvernement et les sociétés canadiennes craignent que la lutte militante des débardeurs pour une meilleure sécurité d’emploi, la fin de l’accélération de la cadence de travail et de meilleurs horaires de travail déclenche un soulèvement plus large de la classe ouvrière. La colère populaire monte face à la mauvaise gestion par l’élite dirigeante de la pandémie de COVID-19, qui a tué plus de 22.500 personnes au Canada, supprimé des centaines de milliers d’emplois et exacerbé les inégalités sociales.

Les débardeurs mènent une lutte déterminée depuis près de deux ans et demi pour obtenir un contrat face aux provocations continues des deux grands opérateurs maritimes, Termont Montréal et Montreal Gateway Terminal. Par trois fois, ils ont voté massivement pour la grève entre la fin 2018 et l’été 2020. Mais aucun arrêt de travail n’a eu lieu jusqu’en juillet dernier, en raison d’une combinaison d’interférences de l’AEM, d’obstacles juridiques imposés par le Conseil canadien des relations industrielles et des atermoiements du SCFP.

Une série de brefs arrêts de travail débutant au début de juillet a abouti à une grève de 12 jours qui a finalement été sabotée par le SCFP à la mi-août. L’arrêt de travail général a été déclenché par la décision unilatérale de la direction de réduire de 50 % les salaires des équipes de fin de semaine et de nuit, et de réacheminer certaines cargaisons vers d’autres ports, notamment Halifax et New York. Dans le cadre de sa trahison de la grève, qui a démontré le pouvoir social des débardeurs en provoquant un arrêt brutal des chaînes d’approvisionnement, le SCFP a accepté une «trêve» de sept mois avec l’AEM, au cours de laquelle aucun moyen de pression ou grève ne pouvait avoir lieu. Cette période de trêve a pris fin dimanche.

Les plans du gouvernement Trudeau visant à criminaliser de manière préventive une grève au port de Montréal ne font que démontrer que la démobilisation des débardeurs par le SCFP a enhardi l’élite dirigeante, et que lorsque les intérêts essentiels des grandes entreprises sont en jeu, le gouvernement libéral, soi-disant progressiste et soutenu par les syndicats, les appliquera impitoyablement.

Au cœur du conflit actuel, l’AEM réclame des modifications régressives du régime de travail actuel, qui oblige les débardeurs à travailler 19 jours sur 21. L’AEM demande que la quantité de travail effectuée le week-end soit multipliée par trois et que des emplois soient supprimés, alors même que le rythme de travail augmente.

Les conditions d’exploitation brutale au port de Montréal sont appliquées par un régime disciplinaire impitoyable. Depuis la négociation du dernier contrat en 2013, les travailleurs qui ont tenté de résister au régime de travail des opérateurs portuaires ont fait l’objet de plus de 30 licenciements et de plus de 1000 jours de suspension de travail.

Soulignant que le conflit va bien au-delà des quais de Montréal, la préparation par le gouvernement Trudeau d’une loi antigrève intervient en réponse à une campagne de plusieurs mois menée par des groupes de pression du monde des affaires de tout le pays, qui demandent la répression par l’État de la lutte des débardeurs. La principale association patronale du Québec, le Conseil du patronat, ainsi que la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, l’Association des manufacturiers et exportateurs du Québec et la Fédération des chambres de commerce du Québec ont toutes appelé le gouvernement à régler le conflit, c’est-à-dire à adopter une loi de retour au travail afin que les demandes des employeurs puissent être imposées. Le 10 mars, seize groupes d’affaires, dont l’Association canadienne des constructeurs de véhicules et l’Association canadienne de la distribution de fruits et légumes, ont envoyé une lettre à la ministre fédérale du Travail, Filomena Tassi, et au ministre des Transports, Omar Alghabra, demandant au gouvernement Trudeau d’utiliser «tous les outils à sa disposition» pour empêcher une grève et parvenir à une «entente».

Les groupes patronaux se sont plaints que les arrêts de travail de l’été dernier ont coûté aux grossistes jusqu’à 600 millions de dollars en perte de revenus. Ils ont également cherché à calomnier les débardeurs, les accusant de mettre en danger les fournitures médicales nécessaires à la lutte contre le COVID-19, alors que c’est l’intransigeance et les exigences provocatrices de la direction qui ont conduit au conflit en premier lieu.

Il n’est maintenant que trop clair que le gouvernement fédéral et les employeurs ont utilisé la capitulation du SCFP lors de la grève de l’été dernier pour se préparer à écraser une grève potentielle des débardeurs. En plus de la préparation par le gouvernement d’une loi de retour au travail, les entreprises ont commencé à rediriger les expéditions vers d’autres ports il y a plus de deux semaines en prévision du mouvement de revendication des travailleurs. Selon le Globe and Mail, des dizaines d’entreprises de l’Ontario et du Québec participent à cette opération. «C’est un meilleur pari pour elles que le risque d’avoir des conteneurs paralysés sur le quai en cas d’arrêt de travail», a commenté Sophie Roux, vice-présidente des affaires publiques à l’Administration portuaire de Montréal.

La seule façon pour les débardeurs de résister à cette offensive unifiée de la classe dirigeante est de faire de leur lutte le fer de lance d’une contre-offensive de la classe ouvrière pour des emplois décents et sûrs, des conditions de travail sécuritaires pendant la pandémie, et la fin des horaires de travail éreintant et de l’intimidation par la direction. Une telle lutte recevrait le soutien enthousiaste des travailleurs de tout le pays, qui sont tous confrontés à des conditions dangereuses en raison de la réouverture insouciante de l’économie par l’élite dirigeante et de son refus d’adopter des mesures de santé publique qui entraveraient les activités des grandes entreprises.

Le plus grand obstacle à une telle lutte est le SCFP, qui a tout fait pendant ce long conflit contractuel pour confiner la lutte au cadre anti-travailleur de négociation collective et empêcher qu’une grève ne se transforme en une rébellion ouverte contre la course incessante à l’augmentation des profits des sociétés. Après le vote quasi unanime de dimanche contre l’offre de l’AEM, le SCFP a refusé de fixer une date de grève, affirmant de manière fallacieuse que les travailleurs n’avaient pas demandé à faire la grève.

Même aujourd’hui, le SCFP maintient un silence radio sur la menace d’une loi de retour au travail, tout en proclamant qu’il est possible de parvenir à un accord par le biais de négociations. Le syndicat a indiqué sa volonté de se soumettre à la médiation, qui, comme le montre une longue expérience, est un mécanisme par lequel le gouvernement fédéral insère une personne favorable à l’employeur dans les négociations pour faire pression en faveur d’un règlement aux conditions de la direction.

Les néo-démocrates fédéraux jouent un rôle non moins hypocrite. Alexandre Boulerice, seul député québécois du NPD et chef adjoint, a déclaré à La Presse que le NPD s’opposerait à une législation de retour au travail «sous toutes ses formes» et a accusé le gouvernement libéral de «trahir» ses liens amicaux avec les syndicats. Les commentaires de Boulerice relèvent du théâtre politique. Ils surviennent quelques semaines à peine après que le chef du NPD, Jagmeet Singh, a annoncé que son parti, qui a fourni à plusieurs reprises au gouvernement libéral minoritaire les votes dont il a besoin pour rester au pouvoir, continuera à soutenir le gouvernement pendant toute la durée de la pandémie. Si le NPD choisit de s’opposer à un projet de loi qui oblige légalement les débardeurs à retourner au travail, ce sera uniquement parce qu’il sait pertinemment que les conservateurs et le Bloc québécois fourniront au gouvernement la majorité nécessaire pour adopter rapidement sa loi briseuse de grève.

Désireux de maintenir son image publique de gouvernement «progressiste» favorable aux travailleurs et de conserver son partenariat corporatiste étroit avec les syndicats, le gouvernement Trudeau insiste publiquement sur le fait qu’il continue à avoir «foi» dans le processus de négociation collective. Pendant ce temps, dans les coulisses, il utilise ce qui était manifestement une «fuite» délibérée de ses plans pour interdire une grève afin d’amener le SCFP à conclure un accord «négocié» avec l’AEM qui accepterait la plupart, sinon la totalité, des demandes des employeurs.

La direction du SCFP a démontré à plusieurs reprises qu’elle était prête à saboter la lutte des débardeurs. Elle craint que si elle agit trop ouvertement en tant qu’exécutrice d’un contrat de reculs, elle pourrait avoir sur les bras une rébellion de la base qu’elle aurait du mal à contrôler.

Les développements de cette semaine soulignent que le gouvernement Trudeau soutient la négociation collective tant qu’elle permet d’imposer les exigences des grandes entreprises aux travailleurs avec la complicité des syndicats corporatistes. Lorsque cela échoue en raison de l’opposition déterminée des travailleurs de la base, il est prêt, tout comme ses rivaux conservateurs, à utiliser la répression sauvage de l’État pour écraser la résistance des travailleurs.

Pour mener une lutte contre cette conspiration de la classe dominante et obtenir leurs justes revendications, les travailleurs du port de Montréal doivent se préparer à une confrontation politique avec l’ensemble de l’appareil d’État. Cela doit inclure la contestation de toute loi de retour au travail du gouvernement Trudeau: une action dont le succès dépendra de la mobilisation du pouvoir social de toute la classe ouvrière.

La première étape d’une telle lutte est que les débardeurs établissent un comité de grève de la base pour prendre la direction de leur lutte en la retirant des mains des bureaucrates du SCFP et en faire le fer de lance d’une contre-offensive de la classe ouvrière contre l’austérité, la campagne meurtrière de retour au travail de l’élite dirigeante et sa criminalisation des luttes des travailleurs. Une telle action bénéficierait d’un large soutien, y compris de la part des travailleurs de la logistique et de la livraison, des postiers, des travailleurs de l’automobile et d’autres industries, et des enseignants, qui sont tous confrontés à une offensive non moins agressive contre leurs emplois et leurs conditions de travail en pleine pandémie.

(Article paru en anglais le 25 mars 2021)

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