Allemagne: le modèle d’entreprise de WISAG – cession d’activités, licenciements et baisse des salaires

Depuis trois mois, des centaines de travailleurs au sol de l'aéroport de Francfort, en Allemagne, mènent une action revendicative contre la société WISAG. Leur lutte a mis en lumière comment les entreprises, avec l'aide des partis politiques de l'establishment et des syndicats, utilisent la pandémie pour tailler dans les emplois et les salaires et attaquer les acquis sociaux des travailleurs.

WISAG licencia quelque 200 travailleurs au sol et 31 chauffeurs de bus d'aéroport peu avant Noël et a depuis licencié 30 travailleurs de plus, dont certains sont gravement handicapés. La société a cité pour les licenciements des «raisons opérationnelles».

Les travailleurs concernés sont des personnels aéroportuaires chevronnés, qui ont effectué un travail intensif et mal payé pendant des décennies, accomplissant des tâches éreintantes sous la pression constante des délais chronométrés et du bruit permanent des moteurs, au détriment de leur santé.

Les travailleurs de WISAG en grève de la faim à l'aéroport de Francfort, terminal 1, 24 février 2021

Ce n'est pas la première fois que WISAG cherche à détruire les droits des travailleurs et l'entreprise n'est pas la seule à profiter de la pandémie de coronavirus pour mener des attaques planifiées de longue date contre ses employés.

Au contraire, la politique du ‘recruter et licencier à volonté’ de WISAG devient de plus en plus le modèle standard d’entreprise. Pendant des années, l'entreprise a utilisé diverses astuces juridiques pour réduire ses coûts de main- d'œuvre.

La société opère dans de nombreux secteurs d'activité comme le nettoyage de bâtiments, la gestion d’installations, la sécurité et les services au sol des aéroports. Elle a créé toutes sortes de sociétés écrans pour faciliter les licenciements de salariés et l'embauche de nouveaux avec moins d'avantages et de protections contre la réduction des salaires et l'accélération des cadences. Tout ouvrier qui résiste est licencié.

Lorsqu'en 2008 WISAG reprit les activités des services au sol de l'aéroport de Berlin, qui jusque-là étaient gérés par Lufthansa et la société aéroportuaire publique de Berlin-Brandebourg, le premier ministre du Land de Brandebourg, Matthias Platzeck, du Parti social-démocrate (SPD), félicita le propriétaire Claus Wisser: «WISAG est une entreprise qui traite bien ses employés et de manière responsable.»

C’est le contraire qui se passa. Wisser céda la gestion des services au sol à trois sous-traitants. En 2014 déjà, l'opération d'enregistrement de vols (220 employés) avait été fermée. Qui ne voulait pas perdre son emploi fut forcé de se reclasser dans une nouvelle entreprise encore plus exploiteuse.

À l'été 2020, les activités de WISAG à Berlin furent mises en faillite afin de lancer une nouvelle entreprise aux conditions inférieures pour les salariés, dans le nouvel aéroport BER. Au moins 350 travailleurs y ont perdu leur emploi, beaucoup remplacés par des travailleurs temporaires.

Une attaque similaire est maintenant menée à Francfort. Là, ce sont les travailleurs au sol sous contrat à durée indéterminée de WISAG Ground Service Frankfurt qui ont été licenciés avec nouvelle offre de contrat de WISAG Ground Service Hambourg. L'entreprise exige qu'ils signent la déclaration qu’«il n'y avait eu aucune relation de travail antérieure avec WISAG» et que WISAG pouvait les affecter «de façon permanente à un autre lieu de travail en Allemagne». À l'instar des chauffeurs de bus persécutés de WISAG, tous les travailleurs de Francfort qui résistent sont punis par l’arrêt de leur salaire.

Dans tout cela, WISAG s'appuie sur l'absence de représentation effective des intérêts des travailleurs. Il peut compter sans réserve sur Verdi, le plus grand syndicat de services de l'aéroport, qui siège à tous les conseils de surveillance de l'entreprise et s'implique dans ses projets de type mafieux.

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https://www.wsws.org/asset/b0e0aa9a-2af6-401b-8186-a0e6e0322566?rendition=image1280

Légende: Extrait d'une fiche de paie montrant un paiement net de 0,00 €

Le personnel dirigeant de Verdi est recruté dans les partis politiques – le SPD, les Verts et le Parti de gauche – qui sont responsables de la déréglementation (article en anglais) des dernières décennies. À l'aéroport, Verdi place explicitement les intérêts économiques des sociétés aéronautiques allemandes au-dessus des besoins vitaux des travailleurs et s'oppose à l'action collective en défense des travailleurs.

«Verdi est une perte de temps» est la conclusion du travailleur licencié de WISAG Aptoulkasim Terzi, qui a décrit sa situation dans une interview avec le World Socialist Web Site. Il fait partie des chauffeurs de bus qui n'ont pas reçu de salaire depuis octobre, il y a plus de cinq mois, parce qu'il avait refusé d’intégrer la nouvelle société écran.

Terzi a décrit ainsi la pression exercée par l'entreprise sur les chauffeurs de bus pour qu'ils entrent dans la nouvelle agence de travail temporaire: «Le directeur général Michael Dietrich a menacé de cesser de payer nos salaires si nous ne passions pas à la nouvelle entreprise.»

La nouvelle société contractante, Sky City Bus GmbH, n'a été fondée qu'en mars 2020, apparemment par WISAG même. «Le directeur général de Sky City Bus est quelqu’un qui avait également travaillé pour WISAG jusque-là», a déclaré Terzi.

La direction a repris la gestion des avions à l'aéroport en 2018. Terzi a déclaré à propos de l’opération: «Ils nous ont incorporé de la société Acciona à l’époque, avec tous nos droits. Maintenant, tout d'un coup, ils ont un prétexte pour nous licencier à cause du coronavirus. »

Il a mis en doute la légalité de la manœuvre, mais a noté: «Le directeur général dit: 'Je suis autorisé à le faire et je le ferai.' Et c'est ce qu'il a fait. »

Terzi a travaillé à l'aéroport pendant 21 ans. Il a finalement pris part à la grève de la faim avec d'autres travailleurs touchés, qui a duré du 24 février au 3 mars. «Jusqu'à présent, rien ne bouge, personne ne fait rien», a-t-il déclaré au World Socialist Web Site.

Il a dit qu'il avait «vieilli à l'aéroport», ajoutant: «Vingt et un ans – c'est la moitié de ma vie. Et maintenant, soudain, nous sommes face aux licenciements. »

Dans l'interview, enregistrée lors d'un rassemblement devant l'Assemblée du Land de Hesse à Wiesbaden, Terzi a noté que les travailleurs s'étaient déjà tournés vers les prud’hommes, sans aucun résultat. «Nous essayons d'obtenir nos droits quelque part, y compris chez les politiciens d'ici», a-t-il déclaré. Mais « aucun des politiciens ne nous a aidés jusqu'à présent. »

Les deux fils de Terzi ont assisté au rassemblement pour montrer leur soutien à leur père et à ses collègues. Hasan et Emre ont déclaré qu'ils pensaient que les licenciements arbitraires n'étaient « pas acceptables, en particulier au milieu du coronavirus, alors que tout le monde devrait rester uni ».

Ils ont poursuivi: «Les gens sont mis au ban de la société sans qu’on se demande s'ils ont des familles et des enfants et comment ils sont censés les nourrir. Et cela après tout le temps qu'ils ont investi dans l'entreprise – non seulement notre père, mais beaucoup d'autres qui sont également là depuis plus de 20 ans. C’est eux qui ont développé l'entreprise à l'aéroport, et maintenant on leur dit qu'ils sont bons à jeter. »

Hasan a souligné que WISAG avait accepté l'aide de pandémie de l'État, «mais il licencie maintenant des travailleurs. Les gens sont mis à la rue. »

Les deux frères ont parlé à leurs collègues de la situation. Emre est en formation pour devenir technicien d’automobile.

Hasan, qui est développeur d'applications, a déclaré: «Au début, mes collègues pensaient que ce qui se passait ici était impossible. C'est un affront, disent-ils. J'ai des collègues qui ne m'ont pas cru au début. Ils ont demandé: «N'avez-vous pas de syndicat? Ils ne peuvent pas faire ça après plus de 20 ans. Mais les syndicats n'ont pas aidé. Les travailleurs étaient seuls. »

«Quand j'ai dit à mes collègues que mon père et ses collègues n'avaient pas été payés depuis des mois, cela a été un choc pour beaucoup. ‘On ne peut pas faire ça, surtout en période de coronavirus’, ont-ils dit,» a rapporté Emre.

La grève de la faim avait été une expérience extrême pour la famille. «Nous avions peur pour notre père. Ce n'est pas amusant de ne pas manger pendant des jours et de ne boire que de l'eau. Nous n'avons jamais pensé qu’on en viendrait là, qu'il faudrait une grève de la faim et que mon père devrait mettre sa vie en danger. »

Leur mère en particulier était «extrêmement inquiète». Il a dit: «Mais c'était aussi difficile pour moi. J'étais là tous les jours pour vérifier comment ils allaient. »

Ce qui était rassurant pour les deux frères, c'est le fait que «de nombreux collègues y étaient allés et qu’ils n'étaient pas seuls». Les deux frères ont souligné que les travailleurs de WISAG n'avaient pas reculé.

Emre a déclaré: «Ces travailleurs ont montré que si vous restez unis et ne cédez pas, vous pouvez accomplir quelque chose. … Les gens doivent sortir de leurs grottes. Au début de la grève de la faim, je pensais que mon père était tout seul, mais ces travailleurs ont vraiment grandi ».

Depuis la manifestation de Wiesbaden, cependant, la lutte est à la croisée des chemins. Comme le WSWS a insisté (article en anglais), la lutte ne doit pas être confiée au syndicat sectionnel IGL.

À Wiesbaden, l'IGL a prouvé qu'il plaçait le sort des travailleurs au sol entre les mains des politiciens de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), du Parti libéral-démocrate (FDP), des Verts, du SPD et du Parti de gauche. Il a permis aux représentants de tous ces partis, responsables des conditions scandaleuses à l'aéroport, de dominer complètement la discussion.

L'IGL ne représente pas une perspective différente de celle de Verdi et cherche à coopérer avec ce dernier. C'est pourquoi il prépare actuellement un nouveau rassemblement devant le siège de Verdi à Francfort pour engager celui-ci une nouvelle fois à agir ; ce même syndicat dont la plupart des travailleurs de WISAG viennent de démissionner.

Les travailleurs doivent s’organiser eux-mêmes, indépendamment des syndicats, dans des comités d'action de la base (article en anglais). Des comités qui ne se tournent pas vers les partis bourgeois mais vers les travailleurs d'autres lieux de travail et qui sont confrontés aux mêmes problèmes. Dans ce but, le WSWS appelle tous les travailleurs à prendre contact avec le réseau de comités d'action en train d’être développés pour la lutte pour des emplois sûrs.

(Article paru en anglais le 22 mars 2021)

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