La BCE va accélérer son offre d’argent ultra bon marché

Il semble que quel que soit l’état de l’économie, la réponse des banques centrales est la même: déverser davantage d’argent dans le système financier. Ceci, afin que les investisseurs et les spéculateurs puissent continuer à réaliser de vastes profits sur la base de taux d’intérêt ultra-bas.

Lorsque l’économie est en baisse, il faut plus d’argent pour la stimuler. Si elle commence à croître, il faut fournir davantage d’argent pour éviter que les taux d’intérêt n’augmentent et ne nuisent à la reprise.

Le 11 mars on a observé un exemple de ce modus operandi avec la décision de la Banque centrale européenne d’augmenter significativement son taux d’achat d’obligations, dans le cadre de son programme d’urgence pandémique (PEPP) de 1,85 mille milliards d’euros.

Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne [Crédit: Bernd Hartung/Banque centrale européenne].

Dans sa dernière déclaration de politique générale, prononcée par sa présidente, Christine Lagarde, lors d’une conférence de presse, la BCE a déclaré que «le conseil des gouverneurs s’attend à ce que les achats dans le cadre du PEPP au cours du prochain trimestre vont s’effectuer à un rythme nettement plus élevé que durant les premiers mois de l’année».

Lagarde a répété cette phrase à plusieurs reprises lorsque les journalistes l’ont interrogée. Elle a déclaré que la décision avait fait l’objet d’«un consensus total». Elle a ainsi cherché à atténuer toute spéculation selon laquelle l’Allemagne ou d’autres détracteurs se seraient opposés à l’assouplissement de la politique monétaire.

Lagarde n’a pas voulu s’étendre sur le montant réel du programme d’achat accéléré. Mais elle a précisé qu’il serait mis en œuvre. «Quand je vous dis que nous passons à l’action dès demain, je pense que cela correspond à la réalité», a-t-elle déclaré, en réponse à une question sur la nécessité pour la BCE d’en faire plus.

Lagarde a également précisé que ce qu’elle a appelé l’enveloppe de 1,85 mille milliards d’euros de la BCE, dont il reste environ mille milliards d’euros, serait élargie si on le jugeait nécessaire. Elle a déclaré qu’il était «très clair» dans la déclaration de la BCE que si une partie de l’enveloppe n’était pas nécessaire, elle serait utilisée, mais «si, également, pour préserver des conditions de financement favorables, nous devons recalibrer l’ensemble de l’enveloppe, nous le ferons».

Comme aux États-Unis, où l’on s’inquiète de l’impact de l’inflation et de la hausse des taux d’intérêt sur le marché obligataire, la décision de la BCE a été motivée par la hausse des rendements sur les marchés obligataires européens.

Dans son communiqué, la BCE a déclaré qu’il était essentiel de «préserver des conditions de financement favorables». Elle a noté que «les taux d’intérêt du marché ont augmenté depuis le début de l’année, ce qui fait peser un risque sur les conditions de financement au sens large.»

Les banques avaient utilisé le taux sans risque sur les obligations comme référence pour fixer les taux et «des augmentations importantes et persistantes de ces taux de marché», si elles n’étaient pas contrôlées, «pouvaient se traduire par un durcissement prématuré des conditions financières pour tous les secteurs de l’économie».

Le même problème s’est posé aux États-Unis où le mois dernier le fait que le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, n’ait pas abordé spécifiquement la réponse de celle-ci à une flambée des rendements a entraîné une liquidation du marché. Wall Street a depuis repris sa trajectoire ascendante après que les turbulences sur le marché obligataire — résultant d’une adjudication de 68 milliards de dollars d’obligations du Trésor à sept ans sous-souscrites à hauteur de 40 pour cent — se furent calmées au cours de la semaine précédente.

L’impact des rendements du marché obligataire sur le marché boursier et, découlant de cela, sur la politique monétaire des grandes banques centrales, souligne la manière dont la politique économique a été complètement transformée.

Dans le passé, une hausse du rendement des obligations était considérée comme une indication de la croissance économique et de l’inflation. Étant donné que la politique déclarée de la BCE et de la Réserve fédérale est d’encourager la croissance et de porter l’inflation à plus de 2 pour cent, on pourrait penser qu’on allait saluer un tel mouvement.

Mais les conditions antérieures où ce scénario pouvait s’appliquer n’existent plus. L’afflux d’argent sur les marchés financiers en provenance des banques centrales, qui a commencé dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008, s’est accéléré en réponse à la pandémie. Cet afflux a fini par créer une montagne de capital fictif, de sorte qu’une augmentation rapide des taux du marché est susceptible de déclencher une crise financière.

C’est pourquoi des voix se sont élevées pour dire que, même si les conditions économiques s’améliorent, les banques centrales doivent intervenir et acheter encore plus d’obligations pour maintenir les rendements et les taux d’intérêt à un niveau bas.

Dans un discours prononcé avant la réunion de la BCE, rapporté par le Financial Times, un membre du conseil d’administration de la BCE, Fabio Panetta, a lancé cet avertissement: «Nous assistons déjà à une contagion indésirable de la hausse des rendements américains… qui est incompatible avec nos perspectives nationales et qui nuit à notre reprise». Les taux du marché s’étaient effectivement resserrés depuis décembre, ce qui est «malvenu et doit être combattu», a-t-il déclaré.

On a largement interprété les remarques de Panetta comme un appel à la BCE pour qu’elle s’engage dans ce que l’on appelle le ciblage de la courbe des taux, où la banque centrale intervient par des achats sur le marché obligataire pour maintenir les taux sur des obligations spécifiques à un niveau donné. Cette pratique est déjà mise en œuvre au Japon et dans une certaine mesure par la Banque centrale australienne. La Réserve fédérale discute ces mesures et déclare étudier l’expérience australienne.

Lagarde cependant, consciente qu’elle susciterait l’opposition de l’Allemagne et probablement d’autres membres de la BCE d’Europe du Nord, l’a exclu lors de sa conférence de presse.

Interrogée pour savoir si l’objectif de la BCE était de revenir aux taux du marché qui avaient prévalu en décembre, elle a répondu: «aucune référence n’est faite à un quelconque contrôle de la courbe des taux, si c’est la question que vous posez. Nous ne faisons pas de contrôle de la courbe des taux».

Lagarde a insisté sur le fait que la BCE préservait des conditions favorables en ce qui concernait «les perspectives d’inflation que nous avons».

La référence à l’inflation est l’une des fictions qui entourent la justification des politiques de la BCE. Celles-ci sont toujours présentées comme si elles visaient à atteindre l’objectif officiel d’une inflation constante à ou autour de 2 pour cent.

En fait, comme le savent les milieux financiers et les médias, la politique de la BCE n’a rien ou presque à voir avec un objectif d’inflation, mais visent à maintenir l’offre d’argent très bon marché sur les marchés financiers.

Une question d’un journaliste du Monde a cherché à briser cette fiction. «Le problème bien sûr, a-t-il dit, c’est que vous justifiez votre intervention en disant que vous aviez besoin d’augmenter l’inflation dans le passé. Si l’inflation globale atteint deux pour cent, quels arguments allez-vous utiliser pour justifier votre intervention?»

La réponse de Lagarde a été révélatrice. «Il est tout à fait possible que cette année, en particulier à la fin de 2021, l’inflation atteigne effectivement deux pour cent. Mais je vais vous dire une chose: nous passerons outre pour une raison très claire, à savoir que l’inflation remontera très probablement éventuellement à deux pour cent pour certaines raisons techniques et temporaires.»

En d’autres termes, si l’inflation devait atteindre l’objectif déclaré de la BCE, celle-ci l’ignorerait complètement, en conformité avec son véritable objectif qui est de continuer à mettre des masses d’argent dans les mains des oligarques financiers qu’elle sert avec d’autres banques centrales.

(Article paru d’abord en anglais le 13 mars 2021)

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