Deuxième jour du procès de Derek Chauvin: les témoins du meurtre de George Floyd par la police décrivent des expériences bouleversantes

Le procès de l’ancien policier de Minneapolis Derek Chauvin pour le meurtre de George Floyd, a repris mardi matin après qu’une interruption du flux vidéo en direct eut obligé le juge Peter Cahill à mettre fin à la session plus tôt que prévu.

Sur cette image tirée d’une vidéo, le juge Peter Cahill discute des motions devant la cour, mardi 30 mars 2021, lors du procès de l’ex-policier de Minneapolis Derek Chauvin, au palais de justice du comté de Hennepin, à Minneapolis, Minnesota (Court TV via AP, Pool).

Chauvin est accusé de meurtre au second degré, d’homicide involontaire au second degré et de meurtre au troisième degré pour avoir pressé son genou sur le cou de Floyd pendant plus de neuf minutes alors que deux autres policiers le maintenaient au sol. Chauvin risque jusqu’à 15 ans de prison.

George Floyd est mort le 25 mai 2020. Sa mort a déclenché des manifestations multiraciales massives à travers les États-Unis et sur tous les continents, réclamant justice et la fin de la brutalité policière. La vidéo de son meurtre en plein jour, devant une foule de témoins, est devenue virale et a incité les protestations.

Le procès est suivi de près aux États-Unis et dans le monde entier ; il est retransmis en direct par tous les grands réseaux d’information et journaux en ligne. Le juge Cahill a invoqué les limitations dues au COVID-19 pour prendre la décision extraordinaire de diffuser un procès pour la première fois dans l’État du Minnesota.

Donald Williams, un témoin qui a vu les policiers plaquer Floyd contre le trottoir, a repris son récit après avoir été interrompu par une faute technique lundi. Il a déclaré qu’après qu’on ait chargé le corps sans réaction de Floyd dans une ambulance, il a appelé le 911 pour signaler un crime — ce qu’il a dit être un meurtre commis par Chauvin et les autres policiers.

Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait fait cet appel, Williams a répondu: «Parce que je crois que j’ai été témoin d’un meurtre». Il a ajouté qu’il avait «ressenti le besoin d’appeler la police contre la police».

Williams a encore dit à la cour que Chauvin avait acquiescé quand il avait dit que ce dernier pratiquait un «étranglement sanguin» contre Floyd. Lundi, Williams, un combattant d’arts martiaux mixtes, a expliqué qu’un étranglement sanguin est une forme de strangulation qui perturbe le flux sanguin vers le cerveau.

Matthew Frank, assistant du procureur général du Minnesota, a montré à Williams l’image tristement célèbre de Chauvin qui enfonce son genou dans le cou de Floyd. Sur la photo, Chauvin regarde dans la direction de la caméra.

«C’est ce que j’ai vu», a dit Williams à Frank. «S’il me regarde maintenant, c’est parce que je lui ai dit que c’était un “étranglement sanguin”.»

Le témoin a dit qu’il était inquiet pour sa propre sécurité et celle de ceux qui l’entouraient. Il a dit qu’il était devenu émotif pendant l’altercation parce que la police ne répondait pas à ses objections et à celles d’autres passants.

L’avocat de la défense Eric Nelson qui a soutenu que les éléments de preuves n’étaient pas limités aux plus de neuf minutes où Chauvin s’est agenouillé sur Floyd, a cherché à dépeindre la perspective de Williams comme limitée. Nelson a déclaré que Williams était arrivé sur les lieux après que les officiers aient déjà appelé une ambulance et qu’ils soient passés à un code plus urgent.

Nelson a déclaré que Williams n’avait aucune connaissance des 15 minutes pendant lesquelles les officiers ont interagi avec Floyd avant qu’il ne vienne voir l’incident. Il a ajouté que Williams n’avait pas vu les deux autres policiers sur les lieux et n’avait pu entendre ce qu’ils se disaient.

Il a ensuite tenté d’accuser les témoins d’avoir distrait les officiers et de s’être énervés alors qu’ils assistaient à la mort par étouffement de Floyd. Nelson a décrit Williams comme étant de plus en plus en colère au fur et à mesure qu’il s’opposait aux policiers. Il a cité une interview du FBI dans laquelle Williams avait dit aux agents qu’il «voulait vraiment casser la gueule aux agents de police».

Williams a admis avoir dit cela aux agents fédéraux, mais a insisté sur le fait qu’il n’était pas en colère parce qu’il sentait que la situation exigeait qu’il pratique un «professionnalisme contrôlé». Il est devenu frustré avec l’avocat de la défense parce qu’il s’est concentré sur l’utilisation de blasphèmes par Williams envers les officiers. Il a demandé à Williams de confirmer qu’il avait appelé Chauvin et l’officier Tou Thao «durs à cuire», «vrais hommes», «bidon» et «clodos». Williams a insisté sur le fait qu’il avait gardé son calme, «Je suis resté dans mon corps. Vous ne pouvez pas me faire passer pour être en colère.»

Le témoin suivant était Darnella Frazier, 18 ans, qui n’a pas été filmée car elle était mineure lorsqu’elle fut témoin de ce qui s’est passé entre Floyd et les policiers. Frazier est l’un des nombreux passants qui ont enregistré ce qui s’est passé en mai dernier. C’est sa vidéo qui est devenue virale sur les médias sociaux.

Frazier a déclaré à la Cour qu’elle se rendait à la supérette Cup Foods avec sa cousine de neuf ans lorsqu’elle a vu un officier s’agenouiller sur un homme. Après avoir vu cela, Frazier a fait entrer sa cousine à l’intérieur du magasin.

Elle a expliqué qu’elle était restée debout certaines nuits «à s’excuser et à demander pardon à George Floyd pour ne pas avoir fait plus; et ne pas avoir interagi physiquement et ne pas lui avoir sauvé la vie». Frazier a ajouté que Chauvin était celui qui avait la capacité de sauver la vie de Floyd et aurait dû le faire.

Lorsque le procureur Jerry Blackwell a interrogé Frazier sur le caractère de la foule, elle a répondu qu'elle ne pensait pas qu'elle était indisciplinée. Elle a déclaré que personne n'avait menacé les policiers ou n'était devenu violent envers eux. Frazier a dit que la seule violence dont elle avait été témoin venait des policiers présents sur les lieux. Elle a dit s'être sentie menacée lorsque Chauvin a pris son gaz au poivre à plusieurs reprises alors que d'autres essayaient de se rapprocher pour aider Floyd.

La jeune cousine de Frazier a également témoigné mardi matin hors caméra. «J’ai vu un officier mettre le genou sur le cou de George Floyd», a-t-elle dit, en faisant référence à Chauvin. «L’ambulance a dû le pousser pour qu’il le lâche. (…) Ils ont demandé à des gars de l’éloigner de lui.»

Le procureur Jerry Blackwell a demandé à la jeune fille ce qu’elle pensait de ce qu’elle avait vu. Elle a répondu qu’elle était «triste et en colère» parce qu’elle avait l’impression que Chauvin empêchait Floyd de respirer et lui faisait mal.

Alyssa Funari, qui a enregistré trois vidéos de la rencontre avec le téléphone de son amie, a également pris la parole. Funari a dit au procureur, Erin Eldridge, qu’elle s’était arrêtée pour enregistrer l’incident parce que ce qui se passait semblait sérieux. Elle a dit que Floyd semblait ne pas arriver à respirer et qu’elle savait qu’il ne vivrait pas si les policiers continuaient à le plaquer au sol.

Funari a déclaré qu’elle avait vu Chauvin fixer Floyd pendant qu’il s’agenouillait sur lui. «Je l’ai vu mettre de plus en plus de poids sur lui. J’ai vu sa jambe se soulever du sol, et ses mains aller à sa poche», a-t-elle dit.

Eldridge a fait écouter à la cour une vidéo prise par Funari où on l’entend crier à Chauvin «Pourquoi vous appuyez encore plus le genou?» et «il est sur le point de s’évanouir». Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer cela, Funari a dit qu’elle pouvait voir Floyd perdre connaissance, ses yeux rouler en arrière.

Nelson a tenté de discréditer les souvenirs de Funari, en soulignant qu’elle avait dit aux procureurs qu’elle n’avait pas vu les officiers vérifier le pouls de Floyd, mais qu’elle avait initialement dit aux enquêteurs sur place qu’elle avait vu les officiers vérifier le pouls à maintes reprises. Nelson lui a demandé si elle était en colère, dans une autre tentative de suggérer que les passants avaient distrait les officiers.

Funari a répondu qu’elle était en colère, mais a ajouté qu’elle n’avait pas distrait ou essayé d’attaquer les officiers. «J’étais en colère parce qu’il n’y avait rien que nous puissions faire à part les regarder prendre une vie sous nos yeux».

Son amie, une lycéenne de 17 ans, a déclaré à la cour qu’elle était arrivée avec Funari alors que des passants demandaient déjà aux officiers de lever Floyd du trottoir. Elle a également déclaré avoir entendu Floyd avoir du mal à respirer et appeler sa mère.

«On pouvait voir qu’il parlait avec des respirations de plus en plus petites. Il crachait un peu quand il parlait, et il essayait de bouger sa tête parce qu’il était mal à l’aise», a-t-elle dit.

Le dernier témoin appelé mardi était Genevieve Hansen, 27 ans, pompier de Minneapolis avec des certifications EMT. Hansen a déclaré qu’elle s’était approchée de la scène parce qu’elle avait vu des lumières clignotantes et entendu des gens crier.

«J’étais inquiète de voir un homme menotté, qui ne bougeait pas, avec des policiers qui pesaient de tout leur poids sur son dos et une foule qui était stressée», a-t-elle dit.

Hansen a dit qu’elle avait reconnu Chauvin lors d’un appel auquel elle avait répondu la veille. En s’approchant, elle s’est souvenue que Chauvin «semblait très à l’aise avec son poids sur M. Floyd» et avait la main dans sa poche.

Hansen a déclaré qu’elle s’était immédiatement inquiétée pour Floyd parce qu’il ne bougeait pas et que son visage semblait enflé. Elle a déclaré qu’elle pouvait dire que Floyd n’était pas conscient parce qu’il ne répondait pas aux stimuli douloureux, tels que la pression d’un genou sur son cou. Elle n’était pas en service mais s’est immédiatement identifiée comme pompier parce qu’elle pensait que Floyd avait besoin de soins médicaux.

Dans une vidéo présentée à la cour, on entend Hansen supplier les agents de vérifier le pouls de Floyd. Elle a insisté sur le fait qu’elle était formée pour donner une assistance médicale, mais les officiers ne l’ont pas laissée intervenir sur la scène.

«Un homme était en train d’être tué», a témoigné Hansen. «J’aurais été en mesure de fournir une assistance médicale au mieux de mes capacités et on a refusé ce droit à cet être humain.»

Dans l’enregistrement d’un appel au 911 que Hansen a fait après l’incident, elle a déclaré: «J’ai littéralement regardé des policiers ne pas prendre le pouls. Ils n’ont rien fait pour sauver un homme.»

Lors du contre-interrogatoire, Nelson a demandé à Hansen si la foule de spectateurs était «en colère» et «bouleversée», développant son récit précédent selon lequel la foule était menaçante pour les policiers. Hansen est devenu visiblement troublée et a répondu, «je ne sais pas si vous avez vu quelqu’un être tué, mais c’est bouleversant.»

Nelson a essayé de discréditer son témoignage, faisant appel à son expérience de pompier pour suggérer qu’elle aurait dû supposer que la police avait déjà appelé une assistance médicale parce que c’était le protocole. Il a également passé à la loupe la déclaration de Hansen, faite aux enquêteurs après la mort de Floyd, ce qui a provoqué une dispute entre eux.

Le juge Cahill a excusé le jury et a dit à Hansen qu’elle devait répondre aux questions qui lui étaient adressées sans se disputer avec Nelson. Cahill a dit à Hansen de revenir mercredi matin, quand le procès reprendra.

(Article paru d’abord en anglais le 31 mars 2021)

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