La cheffe du FMI met en garde contre la crise de la dette des pays en développement

Le Fonds monétaire international a averti que les pays à faible revenu sont confrontés à une crise de viabilité de la dette alors que les taux d’intérêt sur les obligations commencent à augmenter.

La cheffe du FMI, Kristalina Georgieva, a prononcé un discours cette semaine lors d’une réunion virtuelle, avant les réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale. Elle a déclaré que le resserrement des conditions financières résultant d’une croissance économique plus forte aux États-Unis «pourrait entraîner une hausse rapide des taux d’intérêt […] et d’importantes sorties de capitaux des économies émergentes et en développement».

Kristalina Georgieva du Fonds monétaire international (Source: imp.org)

Une telle évolution «poserait des problèmes majeurs, en particulier pour les pays à revenu intermédiaire ayant d’importants besoins de financement extérieur et des niveaux d’endettement élevés».

L’avertissement du FMI fait suite à des déclarations similaires du secrétaire général de l’ONU, António Guterres. Dans une interview accordée au Financial Times cette semaine, il a déclaré que le monde était confronté à de graves problèmes de viabilité de la dette à la suite de la crise du coronavirus qui n’avaient pas été correctement compris ou traités.

Il a déclaré que la réponse au COVID-19 et aux aspects financiers de la crise «a été fragmentée et que les divisions géopolitiques n’aident pas. Elle a été trop limitée dans sa portée et est venue trop tard».

Guterres a déclaré que le fait que seulement six pays – l’Argentine, le Belize, l’Équateur, le Liban, le Suriname et la Zambie – avaient jusqu’à présent fait défaut sur leurs dettes a créé «l’illusion» de la stabilité et une «perception erronée de la gravité de la situation».

En ne s’attaquant pas à la viabilité de la dette, «le risque est que nous compromettions la reprise des économies du monde en développement avec des conséquences catastrophiques pour la vie des gens, avec une augmentation de la faim et de la pauvreté et des problèmes dramatiques avec les systèmes de santé et d’éducation, conduisant dans de nombreux cas à l’instabilité, aux troubles civils, et finalement aux conflits. Tout est maintenant lié».

Dans ses remarques, Georgieva a déclaré que le FMI actualiserait ses prévisions de croissance mondiale du niveau de 5,5 pour cent qu’il avait prédit en janvier à la suite des mesures de relance aux États-Unis et des mesures fiscales prises par d’autres gouvernements. Mais elle a déclaré que si les perspectives générales s’étaient améliorées, «les perspectives divergent dangereusement non seulement au sein des nations, mais aussi entre les pays et les régions».

Par rapport aux projections pré-COVID, la perte cumulée de revenu par habitant pour les économies avancées sera de 11 pour cent d’ici l’année prochaine. Mais pour les économies émergentes et en développement, à l’exclusion de la Chine, la perte sera bien pire, s’élevant à 20 pour cent.

«Cette perte de revenus signifie que des millions de personnes seront confrontées à la misère, à la faim et se retrouverons sans-abri», a-t-elle déclaré.

«Il pourrait également y avoir beaucoup plus de pression sur les États de marchés émergents à faible revenu, vulnérables, et fragiles. Ils ont déjà un pouvoir budgétaire beaucoup plus limité pour lutter contre la crise. Et beaucoup sont très exposés à des secteurs durement touchés, comme le tourisme.»

La cheffe du FMI a également mis en garde contre l’impact du retrait des mesures de soutien des gouvernements sur les petites et moyennes entreprises (PME).

Les PME sont le plus grand employeur du monde, a-t-elle déclaré, et «nos recherches montrent que la part des PME insolvables pourrait augmenter fortement cette année à mesure que le soutien est réduit, ce qui menace un emploi sur dix dans ce secteur vital».

Les avertissements sur la viabilité de la dette des pays à faible revenu surviennent alors que le rendement des bons du Trésor américain a fortement augmenté au cours des trois premiers mois de cette année. Plus tôt cette semaine, le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans, la référence des taux d’intérêt mondiaux, est passé à 1,77 pour cent: le niveau le plus élevé depuis janvier 2020 avant que la pandémie ne frappe.

Une hausse continue signifiera que le capital sera aspiré hors des économies en développement.

La baisse des prix des obligations américaines et la hausse consécutive des rendements et des taux d’intérêt sont alimentées par deux processus interdépendants: la crainte que l’inflation ne commence à augmenter et l’offre accrue d’obligations pour financer la dette publique américaine ne conduise à de nouvelles baisses de leur le prix.

Comme l’a déclaré un analyste financier au Financial Times, l’ampleur «massive» de la relance aux États-Unis et dans le monde – estimée par le FMI à environ 1600 milliards de dollars – avait provoqué «une nervosité considérable face à l’inflation et est à l’origine de la récente liquidation en obligations d’État».

Le potentiel d’évolution rapide du marché des bons du Trésor a été perçu dans ce qui avait été décrit comme une vente aux enchères «désastreuse» de nouvelles obligations à sept ans le 25 février. Quelque 40 pour cent de l’émission de 68 milliards de dollars ont dû être achetés par les preneurs fermes parce qu’il n’y avait pas d’acheteurs. Une certaine stabilité est revenue au cours du mois dernier, mais la menace d’un autre blocage du marché est omniprésente.

Le président de la Fed, Jerome Powell, a insisté sur le fait que la banque centrale ne craignait pas une hausse de l’inflation à long terme et que toute hausse des prix au cours de l’année prochaine ne serait pas structurelle.

Mais les marchés financiers craignent que l’inflation ne décolle et que l’ampleur des mesures de relance américaines n’entraîne une hausse des taux d’intérêt, malgré l’engagement de la Fed de maintenir son taux de base proche de zéro au moins jusqu’en 2024.

Dans un commentaire récent intitulé «Le retour du spectre de l’inflation», le chroniqueur du Financial Times Martin Wolf a averti qu’un dépassement de l’inflation pourrait déclencher une réponse déflationniste de la part des banques centrales, conduisant à des taux beaucoup plus élevés. Et ses effets iraient bien au-delà des pays à faible revenu.

«Cela pourrait conduire à des vagues de défauts de paiement beaucoup plus répandues qu’au début des années 80, lorsque l’histoire qui défrayait la chronique était la crise de la dette dans les pays en développement. Cette fois, la crise de la dette pourrait être presque partout, car il y a tellement plus de dette.»

C’est une mesure de la crise profonde au sein du système capitaliste que la perspective d’une croissance plus élevée aux États-Unis – normalement considérée comme un facteur positif pour l’économie mondiale – a fait craindre une hausse des taux d’intérêt, entraînant une dévastation économique pour les pays à faible revenu. Et pas seulement chez ces derniers, mais cela pourrait également toucher les pays avancés, car la machine à produire des profits centrée à Wall Street et sur d’autres grands marchés financiers est devenue tellement dépendante de l’offre infinie d’argent bon marché.

(Article paru en anglais le 1er avril 2021)

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