France : le Sénat modifie la loi anti-séparatiste pour interdire le hijab aux jeunes de moins de 18 ans

La semaine dernière, lors du premier jour de lecture de la loi «anti-séparatiste» du président Macron, le Sénat français a voté en faveur d’un amendement interdisant aux femmes musulmanes de moins de 18 ans de porter un hijab en public. Un deuxième amendement interdirait aux parents de participer aux sorties et activités scolaires avec leurs enfants s'ils portent des vêtements religieux.

Les deux amendements doivent encore passer l’Assemblée nationale avant d’entrer en vigueur. Ces amendements ont été déposés par un groupe de sénateurs du parti conservateur Les Républicains (LR) et un groupe du Rassemblement démocratique et social européen.

Un policier surveillant une femme à Paris, lundi 5 octobre 2020. (AP Photo/Francois Mori)

L’amendement visant les moins de 18 ans fut adopté par 177 voix contre 141 ; les sénateurs du Parti socialiste, du Parti communiste et une majorité du parti La République en marche de Macron ont voté contre. Il empêcherait les mineurs de porter dans l’espace public des «signes ou tenues» qui «manifestent ostensiblement une appartenance religieuse» ou «signifient l’infériorisation de la femme sur l’homme.»

Bien que les auteurs aient consciemment évité de mentionner le hijab par son nom, la cible principale de l’amendement sont clairement les 5,4 millions de musulmans de France. La police aurait effectivement le droit de harceler et d’arrêter les jeunes musulmans, et pratiquement toute personne portant des vêtements qu’elle juge inappropriés, selon les termes très généraux du projet de loi. Il sera appliqué par le biais d’un renforcement de la police dans les zones défavorisées et minoritaires, et de mesures invasives à l’encontre des musulmans.

Une enquête réalisée en 2019 avait révélé qu’environ 20 pour cent des femmes d’origine musulmane portent régulièrement le hijab ou un autre voile; 20 pour cent supplémentaires le portent dans certains contextes. La plupart des femmes musulmanes qui portent un voile ou un foulard commencent à l’âge de la puberté, au début de l’adolescence. La législation rendrait cette pratique illégale. Les jeunes filles et les jeunes femmes musulmanes seraient contraintes de s’habiller selon les diktats de l’État si elles souhaitent participer à la vie publique.

L’amendement souligne le caractère réactionnaire et d’extrême droite de la loi «anti-séparatisme» du gouvernement Macron. Entre autres mesures, elle établit une «Charte des principes» que les associations musulmanes sont juridiquement obligées de signer, en prêtant allégeance à l’État, et accorde à l’État de vastes pouvoirs sur les associations religieuses ou autres. Les discussions politiques à l’intérieur des mosquées sont interdites et les déclarations dénonçant l’État français comme raciste prononcées diffamatoires.

Comme pour l’ensemble de la loi, le dernier amendement renverse le principe de «laïcité». Le principe démocratique de la séparation de l’Église et de l’État vise à empêcher l’intervention de l’État dans la vie privée des citoyens. Le gouvernement Macron et l’extrême droite utilisent les références à la «laïcité» pour justifier les atteintes de l’État aux droits démocratiques de la population musulmane.

Les votes contre l’amendement d’une majorité de sénateurs du gouvernement – ainsi que des représentants du Parti socialiste, de la France insoumise et du Parti communiste – sont hypocrites et cyniques à l’extrême.

Une préoccupation majeure les motivant est que l’amendement exprime encore plus ouvertement le caractère franchement discriminatoire de la loi «anti-séparatisme» et menace de provoquer une éruption d’opposition contre elle dans la classe ouvrière et la jeunesse.

Deuxièmement, on craint que l’amendement lui-même ne soit inconstitutionnel. C’est ce qu’a déclaré le ministre de l’Intérieur Darmanin en expliquant les raisons de son opposition à l’amendement. De façon similaire, la sénatrice du Parti communiste Marie-Noëlle Lienemann a expliqué son vote contre l’amendement en déclarant qu’elle voulait «trouver une législation qui interdise le voilement des mineurs», mais il ne fallait «pas se tromper dans le choix de la méthode à utiliser» pour y parvenir. «Si la mesure était retoquée [comme étant inconstitutionnelle], il y aurait un effet d’annonce contraire à notre volonté.», a-t-elle déclaré.

L’amendement est également une extension des restrictions sur le port de vêtements islamiques qui ont été adoptées avec le soutien de l’ensemble de l’establishment politique depuis des décennies. En 2004, le Parti socialiste a voté en faveur de l’interdiction pour les élèves de porter des vêtements religieux dans les écoles. En 2010, le gouvernement Sarkozy a invoqué les mesures anti-terroristes pour justifier l’interdiction du niqab et de tout autre vêtement qui couvre le visage en public.

Les députés de la France insoumise et du Parti communiste ont voté pour ou se sont abstenus sur plus de 40 pour cent des articles de la loi «anti-séparatiste» à l’Assemblée nationale.

L’affirmation absurde de Darmanin qu’il craint que l’amendement ne porte atteinte à la «pluralité religieuse» en France ne trompe personne. Darmanin est connu pour avoir soutenu l’Action française royaliste et d’extrême droite. En octobre dernier, il s’est déclaré choqué à la vue des aliments halal et casher dans les supermarchés et a déclaré que ces allées alimentaires séparées étaient le premier pas vers le «communautarisme.»

Lors d’un débat avec Marine Le Pen, la leader du Rassemblement national d’extrême droite, en février, il l’a attaquée depuis la droite, la qualifiant de «molle» et lui reprochant de ne pas avoir voté pour certaines des lois anti-terroristes du gouvernement.

En novembre dernier, des dizaines de mosquées, ainsi que BarakaCity, la plus grande association caritative musulmane de France, ont fait l’objet d’une enquête et ont été fermées par le gouvernement au motif qu’on les soupçonnait de sympathies «séparatistes». Beaucoup parmi les personnes ciblées et arrêtées étaient des critiques des guerres et interventions impérialistes françaises au Sahel, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Pour justifier cette politique, Darmanin a déclaré en décembre dernier que «jusqu’à présent, le gouvernement s’est intéressé à la radicalisation et au terrorisme» mais que désormais il s’en prendrait aussi à ceux «qui créent l’espace intellectuel et culturel pour faire sécession et imposer leurs valeurs».

La nature fasciste de la campagne du gouvernement est rendue claire par une série de tweets du Comité interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation, le 29 mars.

Un tweet affirmait: «Le terme ‘#islamophobie’ a été imposé par les islamistes avec pour objectif d'interdire toute forme de critique à l'égard de l'islam radical.» Le terme avait été utilisé «pour justifier le massacre des dessinateurs de@Charlie_Hebdo_», une référence à l’attaque terroriste de 2015 contre le magazine. Alors qu’il insistait sur le fait que «[les musulmans] doivent pouvoir vivre leur foi et pratiquer leur culte librement», il ajoutait de façon sinistre «dans le respect des lois et valeurs de la République».

Dans ces déclarations, l’État français propage des théories complotistes d’extrême droite, affirmant que la discrimination antimusulmane est un mythe inventé par des groupes pro-islamistes non spécifiés pour justifier le terrorisme et le communautarisme. Sous la présidence de Macron, une grande partie de l’État français a adopté en bloc des attitudes et des politiques fascistes.

Les campagnes de droite contre le voile n’ont pas non plus été limitées à la France ces derniers mois. En février 2020, la Coalition Avenir Québec a présenté un projet de loi sur la «laïcité» qui visait à interdire les hijabs dans les écoles. Le mois dernier, la Suisse a rendu illégaux les voiles couvrant le visage comme le niqab et la burka en public.

À l’instar de ses homologues internationaux, le gouvernement Macron cherche désespérément à contenir la montée de l’indignation sociale suite aux décès en masse et à la dévastation économique résultant de la gestion meurtrière de la pandémie par la classe dirigeante. Cela a conduit à la construction rapide d’un appareil d’État policier ainsi qu’à des mesures visant à faciliter la répression de toute opposition aux diktats de l’impérialisme français. Si les mesures actuelles visent principalement les minorités musulmanes, elles font bien partie de préparatifs pour un assaut beaucoup plus large contre les droits démocratiques fondamentaux de la classe ouvrière, en France et dans toute l’Europe.

(Article paru d’abord en anglais le 7 avril 2021)

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