Les travailleurs de Deliveroo exigent de meilleurs salaires alors que l'entreprise fait son entrée en bourse à Londres

Des centaines de livreurs de Deliveroo ont fait grève mercredi en Grande-Bretagne. Le syndicat organisateur de la grève, le Syndicat indépendant des travailleurs de Grande-Bretagne (IWGB), a déclaré que ses membres réclamaient «un salaire équitable, des protections en matière de sécurité et le respect des droits fondamentaux des travailleurs».

Environ 200 des travailleurs précaires ont manifesté devant le siège de Deliveroo à Londres, tandis que des manifestations respectant la distanciation sociale avaient lieu à Reading, Newcastle, York et Leicester. Pendant la journée, des livreurs, dont beaucoup portaient leurs sacs à dos Deliveroo, roulaient en vélo et scooters à travers le centre de Londres en klaxonnant pour publiciser leurs revendications.

Les livreurs de l'économie de petit boulot pour la plate-forme de livraison de repas Deliveroo manifestent près du siège de la société à Londres, le mercredi 7 avril 2021. La grève coïncide avec le premier jour d’échange inconditionnel des actions de Deliveroo, qui furent introduites en bourse la semaine dernière. (Photo AP / Alastair Grant)

Les livreurs de l'économie de petit boulot pour la plate-forme de livraison de repas Deliveroo manifestent près du siège de la société à Londres, le mercredi 7 avril 2021. La grève coïncide avec le premier jour de négociation inconditionnelle des actions Deliveroo, qui était introduite en bourse la semaine dernière. (Photo AP / Alastair Grant)

La journée d'action a été organisée pour coïncider avec le premier jour de transaction sans restriction des actions de Deliveroo, qui a été introduite en bourse dans le cadre d'une opération de plusieurs milliards de livres la semaine dernière.

L'introduction en bourse a vu le directeur général Will Shu vendre 26,2 millions de livres d'actions au prix final de 390 pence, conservant 115,2 millions d'actions d'une valeur d'un peu moins de 450 millions de livres sterling. Shu a également renforcé son contrôle sur l'entreprise, s'assurant que ses actions ne pourraient pas faire l'objet d'une prise de contrôle hostile avant leur expiration dans trois ans. La société était évaluée à environ 8,8 milliards de livres sterling lors de l’introduction, mais le cours de son action a chuté de plus de 30 pour cent lors des transactions. Malgré le fait qu'il compte plus de 100.000 livreurs dans le monde et que l'entreprise travaille avec plus de 115.000 restaurants dans 12 pays, Deliveroo n'a pas encore réalisé de profit.

Les manifestations contre les conditions de travail chez Deliveroo se sont intensifiées. Le dernier en date a eu lieu juste après que le Bureau of Investigative Journalism (BIJ) a constaté que les livreurs de Deliveroo touchaient moins que le salaire minimum en Grande-Bretagne.

Selon une analyse par BIJ des factures des livreurs, un livreur sur trois gagnait en moyenne moins de 8,72 £ de l’heure, le salaire minimum national, par quart de travail. Beaucoup gagnaient beaucoup moins. Un livreur du Yorkshire connecté pendant 180 heures a été payé l'équivalent de 2 £ de l’heure. Le BIJ a collecté des données de rémunération à partir de plus de 300 factures couvrant 1.812 courses de livraison depuis mars 2020 – un échantillon suffisamment important pour en tirer des conclusions sur les salaires en général. L'enquête a porté sur des livreurs à Londres, Cardiff, Reading, Newcastle, York et Leicester.

Les livreurs de Deliveroo sont payés selon une formule complexe basée sur des facteurs tels que l'heure de la journée et la distance jusqu'à une livraison. Les livreurs de Deliveroo ne comprennent pas complètement comment leur salaire est calculé car le système est conçu de manière délibérément ésotérique. La BIJ a décrit ses recherches comme le premier ensemble de données fiables sur les salaires dans l'économie britannique des petits boulots.

D'autres organisations médiatiques ont également rendu compte des conditions des livreurs. «Deliveroo a réduit sans relâche les rémunérations et s'en vante même auprès des investisseurs. Ils nous envoient des courriels nous disant à quel point nous sommes précieux tout en réduisant constamment notre salaire en arrière-plan », a déclaré au Guardian un livreur de Deliveroo à Kent.

La livreuse à vélo de York, Djamila, a déclaré à Yorkshirelive qu'elle travaillait souvent 14 heures par jour pour s’en sortir: «En ce moment, c'est se réveiller, prendre une douche, manger, aller travailler, rentrer à la maison, manger, se doucher, se coucher». Voilà la journée de travail d'une livreuse, a-t-elle expliqué: «Nous payons nos propres réparations, nous déclarons nos propres impôts. Il était possible avant de gagner 100 £ de 17h à 23h. Mais maintenant, oubliez ça. C’est fini. Un jour typique commence vers 12 heures et je serai sur la rotule jusqu'à environ 22 heures ou 23 heures, et je gagnerai environ 80 £. Pour gagner 100 £ en une journée, cela peut prendre environ 14 heures. J'ai l'impression d'être coincée dans une roue, c'est juste du travail, du travail, du travail. Je ne veux pas faire ça pendant 70 ans.»

Les livreurs britanniques de Deliveroo ont également organisé des manifestations et une grève pour marquer l’introduction en bourse de Deliveroo le 26 mars. Des collègues de Deliveroo à Sydney, en Australie, y ont également participé. Les membres de l'IWGB ont été encouragés à se déconnecter de l'application Deliveroo grâce à laquelle les livraisons sont organisées.

La surexploitation des livreurs de Deliveroo et d'autres travailleurs des entreprises de livraison de repas, ainsi que les chauffeurs de conglomérats comme Amazon, est considérée comme tout à fait légale car les livreurs et les chauffeurs sont considérés comme des travailleurs indépendants. Ce statut soulage les employeurs de toute obligation juridique de fournir des prestations ou même de payer le salaire minimum dérisoire.

En février, la Cour suprême du Royaume-Uni a condamné Uber, qui exploite un modèle d'entreprise similaire à Deliveroo, comme étant totalement dépendant d'un surmenage et d'une sous-rémunération des travailleurs.

La Cour suprême a confirmé que les livreurs d'Uber devraient être traités comme des employés et non comme des travailleurs indépendants. En tant que tels, les livreurs ont droit au salaire national minimum et tout le temps que les conducteurs sont connectés et disponibles pour travailler doit être pris en compte dans le calcul du salaire brut. La décision n'est pas directement applicable en droit aux travailleurs autres que les chauffeurs Uber, mais les experts en droit du travail estiment qu'elle aura des implications pour d'autres entreprises du secteur des petits boulots qui dépendent également de marges bénéficiaires minces générées uniquement par la surexploitation de la main-d'œuvre.

Tandis qu'Uber a officiellement accepté la décision de la Cour, dans la pratique, elle la bafoue et cherche à tirer encore plus de profit de sa main-d'œuvre. L'entreprise a déclaré qu'elle calculerait le temps de travail à partir du début du trajet, plutôt que lorsque les chauffeurs se connecteront à l'application. Ses chauffeurs recevraient le salaire minimum après avoir accepté une demande de livraison et après tout frais encouru, a déclaré Uber dans un communiqué.

L'IWGB a perdu un recours juridique similaire contre Deliveroo en 2018. L'affaire visait à garantir des droits tels que le salaire minimum britannique pour les livreurs, mais le tribunal a jugé que les livreurs étaient des travailleurs indépendants. Dans son prospectus d’introduction en bourse, Deliveroo a déclaré: «Notre activité serait affectée de manière négative si notre modèle de livreur ou notre approche du statut de livreur et nos pratiques d'exploitation étaient remis en cause avec succès ou si des modifications de la loi nous obligent à reclasser nos livreurs en tant qu'employés». La société a mis de côté 112 millions de livres sterling pour couvrir d'éventuels frais juridiques.

Deliveroo pense qu'une décision de révision judiciaire à leur encontre est peu probable au Royaume-Uni et que seuls des changements législatifs auraient un impact fondamental sur leur modèle d'entreprise. La législation sur les droits des travailleurs examinée par le gouvernement Johnson – dont le programme post-Brexit est motivé par la déréglementation autant que possible de l'économie – ne fait aucune mention des changements apportés aux contrats des emplois précaires.

Certains des plus grands gestionnaires de fonds spéculatifs du Royaume-Uni, dont Aberdeen Standard, Aviva Investors, BMO Global, le gestionnaire de fonds de bienfaisance CCLA, Legal and General Investment Management et M&G, ont déclaré qu'ils n'achèteraient pas d'actions de Deliveroo, invoquant le manque d'opportunités pour les investisseurs de prendre des décisions sur la direction de l'entreprise et, cyniquement, des inquiétudes quant à certaines conditions de travail.

Le président de l'IWGB, Alex Marshall, a clairement indiqué que le syndicat fonde sa campagne sur l'appel à la conscience sociale de ces investisseurs. Marshall a déclaré au New York Times que son syndicat «demandait simplement» de meilleurs taux de rémunération et de meilleures conditions pour les travailleurs de Deliveroo. Il a exhorté les investisseurs à ne pas acheter des actions de la société, déclarant: «Investir dans Deliveroo signifie vous associer au modèle économique exploiteur et instable qu'elle défend, à coût de millions de dollars [...] cela signifie se ranger du mauvais côté de l'histoire avec rien d'autre comme perspective que de la mauvaise presse, des litiges et des actions revendicatives ».

Dans le même ordre d'idées, la secrétaire générale de la Confédération syndicale (TUC), Frances O'Grady, a déclaré: «C'est une condamnation accablante du modèle économique de l'entreprise, basé sur l'exploitation, que tant de grands fonds aient publiquement boudé cette introduction en bourse. Au lieu de mettre de côté des centaines de millions de livres pour mener des batailles juridiques contre les droits des travailleurs, Deliveroo devrait simplement traiter ses livreurs équitablement et les payer correctement [...] Elle doit commencer par traiter ses travailleurs décemment ».

Le dirigeant travailliste Sir Keir Starmer a offert quelques platitudes tout en déclarant que lui non plus n'achèterait pas d'actions de l'entreprise à ce stade.

L'IWGB a été fondé en août dernier après une scission avec les deux plus grands syndicats, Unite et UNISON, et compte environ 4.600 membres, dont beaucoup sont employés dans l'économie des petits boulots. Il se présente comme plus radical que les syndicats établis de longue date, mais il partage la même perspective nationaliste et pro-capitaliste qui a fait faillite.

S'adressant au site Web Medium en août dernier, le secrétaire général de l'IWGB, Henry Chango Lopez, a affirmé, contrairement à toute réalité, que les syndicats pro-capitalistes ont travaillé pour protéger les travailleurs pendant la pandémie. Il a déclaré à propos des organisations qui ont travaillé main dans la main avec les conservateurs au pouvoir pour imposer un retour au travail massif et dangereux: «Les syndicats ont exercé beaucoup de pression afin d'améliorer les conditions que le gouvernement a mises en place pour aider les travailleurs. Notamment sur la question du chômage partiel et des EPI de protection.» Les syndicats, y compris l'IWGB, a déclaré Lopez, «ont un grand rôle à jouer pour s'assurer que les entreprises font le nécessaire et ne profitent pas de la situation actuelle pour se débarrasser des travailleurs et prioriser leurs propres intérêts».

L'expansion et l'unification des luttes de la classe ouvrière nécessitent la formation de comités de la base sur les lieux de travail qui fonctionnent indépendamment des syndicats de la grande entreprise. Un réseau de comités de base dans le secteur de la livraison, au Royaume-Uni et à l'étranger, coordonnant ses actions avec des comités d'autres secteurs, est le seul moyen de combattre la baisse sans fin des salaires et des conditions générales par les multinationales.

Le samedi 10 avril, le Parti de l'égalité socialiste au Royaume-Uni tient une réunion publique en ligne à 14 heures (GMT) visant à établir un réseau de comités d'action de la base. Nous encourageons vivement les travailleurs de Deliveroo et toutes les autres personnes employées dans l'économie des petits boulots précaires à s'inscrire ici pour assister à cet événement vital.

(Article paru en anglais le 9 avril 2021)

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