Les émeutes d’Irlande du Nord manipulées par Stormont et Westminster

Huit jours d'émeutes sectaires à Belfast et dans d'autres régions d'Irlande du Nord ont déclenché une vague de condamnations hypocrites de l'Assemblée d'Irlande du Nord à Stormont et du gouvernement conservateur de Boris Johnson à Londres.

La police anti-émeute bloque une route près du Mur de la paix dans l’ouest de Belfast, en Irlande du Nord, le jeudi 8 avril 2021 (AP Photo / Peter Morrison)

Jeudi soir, le Service de police d'Irlande du Nord (PSNI) a utilisé des canons à eau – pour la première fois en six ans – et des chiens pour réprimer les émeutes dans l'ouest de Belfast. La police anti-émeute a été déployée, appuyée par des Land Rover blindés au point de démarcation de Lanark Way, séparant la Springfield Road, nationaliste républicaine irlandaise, de la Shankill Road, loyaliste britannique.

D'autres régions d'Irlande du Nord – Londonderry, Derry et Tyrone – ont également été le théâtre de scènes violentes au cours de la semaine dernière.

Jeudi, à la suite de discussions entre le Taoiseach (Premier ministre irlandais) Micheál Martin et le Premier ministre Boris Johnson, les cinq partis de l'Assemblée d'Irlande du Nord à Stormont ont condamné les émeutes.

Après que les ministres, lors d'une réunion spéciale de l'exécutif d'Irlande du Nord, aient été informés de la situation par le chef du PSNI Simon Byrne, une déclaration conjointe du gouvernement décentralisé d'Irlande du Nord sur «la violence et les troubles» disait: «Les attaques contre les policiers et les services publics et les communautés sont déplorables et doivent cesser. » Ceux qui «chercheraient à utiliser et à manipuler nos enfants et nos jeunes pour mener à bien ces attaques n’ont pas leur place dans notre société». Et de conclu: « Bien que nos positions politiques soient très différentes sur de nombreuses questions, nous sommes tous unis dans notre soutien à la loi et à l'ordre et nous déclarons collectivement notre soutien au maintien de l’ordre et aux policiers qui se sont mis en danger pour protéger les autres. »

L'exécutif d’Irlande du Nord est dirigé, sur la base d'un accord de partage du pouvoir, par la Première ministre Arlene Foster du Parti unioniste démocrate (DUP) et la vice-première ministre Michelle O'Neill, représentant le mouvement républicain, Sinn Féin. Les autres partis signataires de la déclaration étaient le Parti unioniste d'Ulster, le Parti social-démocrate et travailliste et le Parti de l'Alliance d'Irlande du Nord.

Jen Psaki, attachée de presse du gouvernement Biden aux États-Unis, a déclaré jeudi: «Nous sommes préoccupés par la violence en Irlande du Nord et nous nous joignons aux dirigeants britanniques, irlandais et nord-irlandais dans leur appel au calme.»

Ces déclarations sont d’une hypocrisie éhontée. Les conflits de la semaine dernière sont le résultat délibéré d'une campagne menée par le DUP avec le soutien actif d’une bonne partie du gouvernement conservateur.

Deux questions sont régulièrement citées comme cause des derniers troubles: la sortie (Brexit) de la Grande-Bretagne de l'Union européenne (UE) et les retombées des funérailles de l'année dernière de l'ancien chef du renseignement de l'Armée républicaine irlandaise (IRA), Bobby Storey.

Les relations entre l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne ont été au cœur des conflits dans les négociations mouvementées avec l'UE sur le Brexit. Les deux parties tenaient à empêcher le retour d'une «frontière dure» entre les six comtés d'Irlande du Nord – qui fait partie du Royaume-Uni – et la République d'Irlande, qui reste membre de l'UE.

Mais ce résultat était inévitable étant donné la séparation de la Grande-Bretagne du marché unique de l'UE. Après deux ans de négociations, un accord a été conclu pour que la Grande-Bretagne quitte l'UE, comprenant un arrangement connu sous le nom de Protocole d'Irlande du Nord. Ce protocole déplace les contrôles douaniers externes de l'UE sur le commerce de la frontière nord/sud entre les deux Irlande vers la mer d'Irlande, les ports d'Irlande du Nord et du Royaume-Uni faisant office de frontière du commerce extérieur de l'UE. Johnson, puis le Taoiseach Leo Varadkar, ont ignoré l'Assemblée d'Irlande du Nord (Stormont), ne lui donnant la possibilité d'inverser le protocole qu'après une période de quatre ans.

Pour parvenir à un accord avec l'UE, Johnson avait dû passer outre l'opposition au protocole du DUP, qui était le partenaire du gouvernement de coalition conservateur suite aux élections générales de 2017, après que le prédécesseur de Johnson, Theresa May, eut perdu la majorité parlementaire des conservateurs. Le protocole fut dénoncé par les conservateurs pro-Brexit jusqu’au-boutistes et le DUP comme établissant une frontière dans la mer d'Irlande.

Dès le début du retrait de la Grande-Bretagne de l'UE, des conflits ont éclaté au sujet des règles du protocole, ayant trait à tout, de l'approvisionnement en vaccins depuis l'UE jusqu’à l'impact des mesures sur les supermarchés et les chaînes d'approvisionnement.

Johnson et les conservateurs ont apporté un soutien tacite à la campagne menée par le DUP pour perturber les nouveaux arrangements frontaliers, et ont même sanctionné un retard unilatéral dans la mise en œuvre des arrangements. Bon nombre des déclarations les plus belliqueuses de Johnson critiquant l'UE ont été faites lors d'une visite en Irlande du Nord le mois dernier pour marquer le centenaire de sa fondation. Johnson avait été accueilli par Foster mais le Sinn Féin avait refusé d'y paraître.

Les pro-Unionistes irréductibles de la base du Parti conservateur (le comité 1922) ont été encore plus ouverts à soutenir le DUP. Jacob Rees-Mogg a déclaré que la Grande-Bretagne avait toujours un intérêt en Irlande du Nord – une position qui fut enterrée par le gouvernement travailliste de Blair dans sa rédaction de l'Accord du Vendredi saint de 1998, qui établit un gouvernement de partage du pouvoir à Stormont.

La volonté de Johnson et d'autres hauts responsables des partis conservateur et unioniste de remettre en question l'accord du Vendredi saint est révélatrice de la dangereuse stratégie de la corde raide dans laquelle on s’est engagé. L'Accord du Vendredi saint avait mis fin à trois décennies de conflit armé sectaire connu sous le nom de ‘Troubles’ au cours desquelles plus de 3 500 personnes sont mortes, dont plus de 1 800 civils, et près de 48 000 personnes ont été blessées.

Le Brexit alimente des divisions sectaires jamais totalement effacées, le DUP déclarant que toute concession à l'UE est une menace pour l'Acte d'Union de 1800, qui a aboli le parlement irlandais existant et cimenté le règne de la riche Domination protestante, dont les Unionistes affaiblis d'aujourd'hui sont les héritiers.

Ces divisions sont intensifiées par l'insistance de Sinn Féin pour dire que la sortie de la Grande-Bretagne de l'UE renforce son argument en faveur d'une Irlande unie. En Irlande du Nord, le vote pour rester dans l'UE a remporté une majorité significative, car beaucoup d'électeurs unionistes avaient rejeté la position pro-Brexit du DUP.

Les tensions récentes ont éclaté lorsque le DUP s’est emparé d’un rapport du 30 mars, du Procureur général d'Irlande du Nord, annonçant qu'il n’avait l’intention de poursuivre en justice aucune violation de la réglementation Covid-19 lors des funérailles de Storey. Les funérailles, qui eurent lieu le 30 juin 2020, rassemblèrent environ 2000 personnes en deuil au bord des rues, suscitant des accusations que le Sinn Fein bafouait les règles qu'il avait lui-même aidé à mettre au point. Parmi les participants figuraient la vice-première ministre O'Neill de Sinn Féin et 23 autres politiciens de ce parti.

Le DUP, par l'intermédiaire de ses agences dans les anciens groupes paramilitaires loyalistes, a organisé des manifestations dans un certain nombre de bastions loyalistes de l'ouest de Belfast, y compris Shankill Road. Rien de tout cela n’était spontané, les jeunes principalement impliqués – comme en témoigne l’arrestation d’adolescents d’à peine 13 ans – ont été abondamment approvisionnés en cocktail Molotov et pétards d’artifice.

Le Sinn Fein a organisé une contre-manifestation.

Rien n'indique qu'un tel retour au conflit sectaire soit largement désiré parmi les travailleurs catholiques ou protestants. Mais étant donné les tensions qui s'intensifient dans les cercles dirigeants, cela pourrait changer si quelqu'un venait à mourir des suites de la violence, y compris celle infligée par la police.

L'Accord du Vendredi saint n'a pas résolu des tensions sectaires qui sont le résultat de l'occupation de l'Irlande par l’impérialisme britannique pendant des siècles, mais il a fait d’elle la base d'une organisation politique basée sur de supposées «communautés» républicaines et unionistes/catholiques et protestantes.

Ces tensions ne peuvent être surmontées qu’avec une perspective d'unité de la classe ouvrière dans la lutte pour le socialisme. La lutte contre l'impérialisme britannique doit être associée à l'opposition à toutes les sections de la bourgeoisie, qui comprennent le gouvernement de la République d'Irlande, les grandes puissances de l'UE et l'administration Biden aux États-Unis. Cette lutte doit être menée par les travailleurs d'Irlande et de Grande-Bretagne dans le cadre de la lutte pour les États socialistes unis d'Europe.

(Article paru en anglais le 10 avril 2021)