Déploiement de navires de guerre américains en mer Noire, la Russie avertit d’«hostilités à grande échelle» avec l’Ukraine

Les États-Unis envoient deux navires de guerre en mer Noire dans un contexte d’escalade rapide de la crise en Ukraine orientale. Vendredi, le gouvernement turc a confirmé que le Pentagone avait présenté, il y a 15 jours, une demande officielle pour que la Turquie autorise deux de ses navires de guerre à passer par les détroits turcs, afin d’être déployés en mer Noire jusqu’au 4 mai.

L’envoi de navires de guerre américains en mer Noire est la dernière d’une série de mesures extraordinairement provocatrices prises par l’Ukraine, soutenue par l’OTAN, et les États-Unis dans crise. En mars, peu après l’entrée en fonction de Joe Biden, qui a réaffirmé que «la Crimée est l’Ukraine», le gouvernement ukrainien de Volodymyr Zelensky a annoncé une stratégie visant à «récupérer la Crimée» et le Donbass.

La Crimée, péninsule hautement stratégique de la mer Noire a été rattachée à la Russie suite au coup d’État d’extrême droite de 2014 en Ukraine, financé et soutenu par les États-Unis et L’UE. Elle avait voté à 93 pour cent (et une participation de 80 pour cent) pour faire sécession de l’Ukraine et réintégrer la Russie. Le Donbass est le théâtre d’une guerre civile depuis près de sept ans, il est contrôlé en grande partie par des séparatistes soutenus par la Russie. L’annonce d’une offensive pour reprendre ces territoires revient à déclarer que l’Ukraine se prépare à la guerre.

Photo du lundi 15 février 2021 d’un navire de guerre américain (AP Photo/Mohammad Farooq)

C’était le contexte immédiat des combats croissants entre séparatistes et armée ukrainienne. Depuis, Zelensky a exhorté l’OTAN à accélérer l’admission de l’Ukraine dans l’Alliance atlantique, et l’Ukraine et l’OTAN ont annoncé des exercices militaires conjoints. Vendredi dernier, Zelensky a rencontré le président américain Biden, qui l’a assuré du soutien total des États-Unis contre la Russie. En réponse à ces provocations, la Russie a rassemblé des troupes aux frontières de l’Ukraine, annoncé des exercices militaires et renforcé sa marine en mer Noire.

Comme les États-Unis, l’Allemagne et la France ont dénoncé «l’agression russe». La chancelière allemande Angela Merkel a demandé jeudi à Poutine de retirer ses troupes de la frontière de l’Ukraine orientale. Zelensky doit se rendre à Paris la semaine prochaine afin de rencontrer le président français Emmanuel Macron pour des négociations. Le gouvernement français a également exigé que la Russie «explique» ses mouvements de troupes dans la région.

Jeudi, Zelensky s’est rendu auprès des troupes ukrainiennes dans l’est de l’Ukraine, qu’il a félicitées pour être «un véritable exemple d’héroïsme et de dévouement». Un nombre important de troupes et de milices qui combattent encore dans ce qui est une guerre profondément impopulaire en Ukraine, sont affiliées au Bataillon Azov néonazi et à des formations d’extrême droite similaires qui ont été systématiquement construites par l’État ukrainien et les États-Unis, en particulier depuis le coup d’État de 2014.

En parlant d’«agression russe», les puissances impérialistes, Kiev et leurs laquais dans les médias présentent le monde à l’envers. C’est l’Ukraine, soutenue par l’OTAN et les États-Unis, et non la Russie, qui a systématiquement envenimé la situation et poussé la région au bord de la guerre totale.

Vendredi, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré que la Russie prenait des précautions compte tenu de la «région dangereuse et explosive à ses frontières». Il a averti que la situation était si instable que «la dynamique.... créait le danger d’une reprise des hostilités à grande échelle.» Lors d’un appel avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, le président russe Vladimir Poutine a accusé l’Ukraine de reprendre des «actions provocatrices et dangereuses.» La veille, le chef adjoint de l’administration présidentielle russe, Dmitry Korzak, a déclaré que les forces russes pourraient intervenir pour défendre les citoyens russes dans la région. Le Kremlin a également offert des passeports russes aux résidents du Donbass et à tous les Ukrainiens qui le souhaitaient. Il a déclaré qu’une guerre pourrait marquer le «début de la fin» de l’Ukraine.

Dans un article publié par le groupe de réflexion de droite National Interest, Ted Galen Carpenter a noté que la situation actuelle rappelait celle qui a précédé la guerre russo-géorgienne de 2008. Les États-Unis avaient délibérément encouragé la Géorgie à prendre des mesures agressives contre la Russie. Il écrit: «Les parallèles entre les encouragements excessifs de Washington à l’égard de l’Ukraine et la gaffe de Bush à l’égard de la Géorgie [en 2008] sont sinistres et alarmants. Le gouvernement de Vladimir Poutine a donné à l’Occident de nombreux avertissements au cours des années. Selon ces avertissements, la tentative de faire de l’Ukraine un client militaire de l’OTAN franchit une ligne rouge vif en termes de sécurité pour la Russie.» Carpenter a prévenu que la situation pourrait dégénérer en confrontation nucléaire entre la Russie et les États-Unis.

Carte de la région de la mer Noire [Photo by User:NormanEinstein / CC BY-NC-SA 4.0]

La situation extraordinairement dangereuse dans la région de la mer Noire ne peut être comprise que dans un contexte international et historique plus large. Depuis la dissolution de l’Union soviétique par la bureaucratie stalinienne en 1991, point culminant de décennies de trahison nationaliste de la Révolution d’octobre, les États-Unis ont cherché à compenser leur déclin économique en plaçant militairement toute la région sous leur contrôle. L’OTAN, en dépit d’assurances contraires antérieures, a rapidement encerclé la Russie. Les États-Unis, avec le soutien massif de l’UE, ont également orchestré plusieurs coups d’État dans l’ancienne Union soviétique, installant des régimes pro-occidentaux, notamment en Géorgie (2003), en Ukraine (2004, 2014) et au Kirghizstan (2010).

Zbigniew Brzezinski, l’un des principaux architectes de la politique étrangère américaine pendant plusieurs décennies, a résumé ainsi en 1997 l’importance de l’«Eurasie», qui englobe l’ensemble de l’Europe et de l’Asie : «L’Eurasie est désormais l’échiquier géopolitique décisif, il ne suffit plus d’élaborer une politique pour l’Europe et une autre pour l’Asie. Ce qui advient de la répartition du pouvoir sur la masse continentale eurasienne sera d’une importance décisive pour la primauté mondiale et l’héritage historique de l’Amérique… Dans une Eurasie volatile, la tâche immédiate est de s’assurer qu’aucun État ou combinaison d’États ne gagne la capacité d’expulser les États-Unis ou même de diminuer leur rôle décisif».

Au sein de l’Eurasie, la région de la mer Noire revêt une importance géostratégique particulière, car elle relie l’Europe, le Caucase riche en énergie et le Moyen-Orient.

En 2018, le Pentagone a ouvertement déclaré que les États-Unis se recentraient désormais sur le «conflit entre grandes puissances», c’est-à-dire des préparatifs de guerre contre la Russie et la Chine dotées de l’arme nucléaire. L’Europe de l’Est et la région de la mer Noire sont au cœur de ces efforts.

La pandémie de COVID-19 n’a fait qu’accélérer une campagne de guerre, surtout de la part des États-Unis, derrière laquelle il y a les tensions politiques et de classe croissantes aux États-Unis mêmes. L’administration Biden, dans le sillage de l’administration Trump, a adopté une attitude extraordinairement agressive envers la Chine et elle a délibérément intensifié les tensions avec la Russie. Il y a juste quelques semaines, Biden a qualifié le président russe de «tueur», déclenchant une crise diplomatique.

Il y a des indications que la politique américaine dans la région de la mer Noire vise non seulement la Russie, mais aussi la Chine. Dans la dernière décennie, la Chine est devenue un partenaire économique majeur de nombreux pays de la région, notamment de l’Ukraine. Si l’UE reste le premier partenaire commercial de celle-ci, la Chine est devenue la plus grande nation commerçant avec le pays, dépassant la Russie. Début 2019, elle est devenue le 2e partenaire d’importation de l’Ukraine, avec près de 14 pour cent de ses importations, plus que la Russie. Elle est également devenue la 3e partenaire d’exportation de l’Ukraine, avec 6,2 pour cent de ses exportations.

Aux États-Unis, le partenariat économique croissant de l’Ukraine avec la Chine a provoqué beaucoup d’irritation. Alors qu’en mars, le gouvernement ukrainien annonçait sa stratégie de «reprise de la Crimée», il déclara aussi qu’il annulerait un accord prévu de 3,6 milliards de dollars pour la vente du fabricant ukrainien de moteurs d’hélicoptères et d’avions «Motor Sich» à des investisseurs chinois, après des années de pression de Washington.

La nationalisation de cette entreprise représente un coût économique énorme pour une Ukraine très endettée et appauvrie. Oleksiy Danilov, secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense du gouvernement ukrainien, a déclaré que la décision avait été prise au nom de la «sécurité nationale du pays». Anders Aslund, spécialiste de longue date de la politique étrangère américaine dans la région, a déclaré que la décision montrait que l’Ukraine se tenait « aux côtés des États-Unis même à un coût considérable» et l’a qualifiée d’«excellente mesure que les États-Unis devraient grandement apprécier.»

La campagne de guerre impérialiste comporte d’immenses dangers pour les travailleurs à l’international. L’oligarchie russe n’a rien à opposer à cette campagne si ce n’est un mélange d’appels aux puissances impérialistes et de promotion de nationalisme et de militarisme. Le danger de guerre ne peut être écarté que par la construction d’un mouvement socialiste anti-guerre dans la classe ouvrière et par une lutte pour mettre fin à la cause première de la guerre impérialiste: le capitalisme.

(Article paru d’abord en anglais le 10 avril 2021)

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