La campagne antiscientifique selon laquelle il faudrait accepter de «vivre avec le virus»

Le médecin grec de l'Antiquité Hippocrate utilisait les termes «endémique» et «épidémique» pour faire la distinction entre les maladies qui étaient toujours présentes dans une population et celles qui ne se manifestaient que pendant certaines parties de l'année ou à des intervalles annuels, ou encore plus grands.

En termes épidémiologiques, endémique signifie la présence constante et la prévalence d'une maladie au sein d'une population dans une certaine zone géographique. Il s'agit d'un état où une maladie atteint un niveau tel que la majorité de la population a développé une immunité. Ils peuvent développer des infections secondaires, mais celles-ci sont souvent bénignes. Les enfants deviennent généralement les premiers cas parce qu'ils sont naïfs (n'ont jamais été exposés) au virus.

Un chercheur du laboratoire de virologie de l'Université de médecine tropicale travaille à la mise au point d'un test permettant de détecter la variante P.1 du nouveau coronavirus, à Sao Paulo, au Brésil, le jeudi 4 mars 2021. (AP Photo/Andre Penner)

Certaines grippes et certains virus à l’origine du rhume sont considérés comme endémiques. Certains virus endémiques ont été éradiqués par des vaccins et des mesures de santé publique. Deux exemples historiques sont la variole et la peste bovine.

Cependant, l’utilisation récente du terme d’endémicité par la classe dirigeante et les scientifiques bourgeois a peu à voir avec sa compréhension épidémiologique et tout à voir avec une réponse fataliste à la pandémie de COVID-19. De la même manière que les fermetures et réouvertures répétées ont habitué certaines personnes à accepter la permanence du virus, le fait de parler d’endémicité du virus est utilisé contre tout autre effort d’atténuation qui empiète sur l’accumulation du profit.

Indépendamment de ces conceptions défaitistes, la pandémie reste dans sa phase initiale et aiguë, avec un potentiel significatif d’infection d’une vaste partie de la population mondiale qui n’a pas encore été exposée au coronavirus. Une stratégie internationale cohérente utilisant les outils de santé publique à notre portée pourrait permettre de maîtriser la contagion avant qu’elle ne devienne endémique, au prix de millions de vies.

Ces conceptions nihilistes promues par la presse bourgeoise et certains scientifiques pour justifier l’abandon de tous les efforts d’atténuation et laisser libre cours à la pandémie sont dangereuses pour la classe ouvrière. Ils tentent d’utiliser le déploiement des vaccins COVID-19 pour rendre le public insensible à la catastrophe imminente, bien que cela ne soit possible que dans une poignée de pays riches où les réserves de vaccins sont abondantes.

Lors de la conférence de presse sur la COVID-19 organisée par l’Organisation mondiale de la santé le 22 mars, le directeur général Tedros Adhanom Ghebreyesus a prévenu: «La distribution inéquitable des vaccins n’est pas seulement un scandale moral, elle est aussi économiquement et épidémiologiquement vouée à l’échec. Certains pays se précipitent pour vacciner toute leur population alors que d’autres n’ont rien. Cela peut apporter une sécurité à court terme, mais c’est un faux sentiment de sécurité».

Le Dr Mike Ryan, directeur général du programme d’urgences sanitaires de l’OMS, a réaffirmé les avertissements du directeur général: «La formule est peut-être ennuyeuse, elle n’est peut-être pas attrayante; il n’y a pas de solution miracle, mais nous devons revenir à des approches solides, globales et stratégiques de la lutte contre la COVID, dont l’une des stratégies est la vaccination. Je crains que nous ne soyons tous en train de nous accrocher désespérément à certaines idées. On va trouver les solutions idéales; se contenter d’administrer suffisamment de vaccins aux gens, et cela va régler le problème. Je suis désolé: ce n’est pas le cas! Il n’y a pas assez de vaccins dans le monde, et ils sont distribués de manière terriblement inéquitable. En fait, nous avons raté une énorme occasion d’intégrer les vaccins comme une mesure globale. Elle n’est pas mise en œuvre de manière systématique. C’est une occasion manquée et, comme le dit le DG, ce n’est pas seulement un échec moral catastrophique, mais c’est un échec épidémiologique et c’est un échec dans la pratique de la santé publique.»

Il est possible d’éradiquer le virus

L’absence de mesures significatives pour éradiquer le virus, combinée à la dévastation économique d’une grande partie de la classe ouvrière, encourage une perspective pessimiste contre laquelle même les scientifiques de principes ne sont pas immunisés. Alors que le virus ravage la population mondiale, avec des taux d’infection sur sept jours qui ont augmenté de 400 % entre le 28 février et le 5 mars, la classe dirigeante utilise la fatigue ressentie par la population à cause des fermetures et réouvertures répétées pour justifier le fait qu’il faut vivre avec le virus. C’est délibéré.

Pourtant, la réaction de certaines villes et nations au cours de la pandémie a prouvé que le SRAS-CoV-2 peut être éradiqué. Lorsque la contagion a frappé l’Italie pour la première fois en février 2020, provoquant une crise sanitaire massive et inondant les systèmes de santé, la ville de Vo, une commune de la province de Padoue, dans la région italienne de la Vénétie, à une heure à l’ouest de Venise, a été placée en quarantaine pendant 14 jours, et les 3270 personnes ont subi plusieurs tests de dépistage du virus. Les cas positifs ont été mis en quarantaine et traités. En l’espace de quelques semaines, le virus a été éradiqué de la ville.

Les tests, la recherche des contacts et la mise en quarantaine – précisément les méthodes utilisées à Vo – ont été employés dans toutes les nations qui ont réussi à contenir le virus. Au 22 mars 2021, Taïwan, pays de 24 millions d’habitants, comptait 1006 infections signalées et 10 décès. À Singapour, qui compte cinq millions d’habitants, les nouveaux cas sont restés à un chiffre ou à deux chiffres depuis octobre 2020.

La science de la santé publique et les outils pour éradiquer le virus ont toujours été disponibles, mais la décision de permettre au virus de se propager sans contrôle avec rien de plus que des vaccins mis à la disposition d’un minuscule pourcentage du monde développé fait partie d’une décision consciente qui, sans l’intervention révolutionnaire de la classe ouvrière internationale, pourrait permettre au virus de devenir endémique.

Toutefois, il ne s’agit pas d’une simple question de rhétorique. Il y a une mer de mort entre les deux termes, éradication et endémicité. Atteindre l’endémicité signifie que la majorité de la population mondiale contractera le virus, ce qui, à sa létalité actuelle, signifie des dizaines de millions de vies supplémentaires perdues. L’arithmétique est inexorable: si des milliards de personnes contractent la COVID-19, avec un taux de mortalité avoisinant les deux pour cent, alors 20 millions de personnes mourront pour chaque milliard de personnes infectées.

Et cela ne prend même pas en compte les nombreux variants plus mortels. Les horreurs actuelles au Brésil démontrent que les infections antérieures par des souches antérieures de SRAS-COV-2 ne protègent pas nécessairement la population des nouveaux variants plus virulents.

«Inévitable» et «endémique»

La volonté de qualifier la pandémie d’inévitable est un effort bipartite. Les médias sont inondés d’articles visant à faire croire aux lecteurs que la santé publique et la science elle-même sont impuissantes à prévenir la maladie. Parmi les exemples, citons un article paru le 17 février dans USA Today qui utilise des données modélisées par des scientifiques de l’université Emory et de l’université Penn State pour suggérer que «si le nouveau coronavirus continue à circuler dans la population générale et que la plupart des gens y sont exposés dès l’enfance, il pourrait être ajouté à la liste des rhumes courants».

Les chercheurs qui ont réalisé l’étude Emory/Penn State se désolent: «Un an après son émergence, le coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-CoV-2) s’est tellement répandu qu’il y a peu d’espoir de l’éliminer.»

Le 16 février, Nature a publié une enquête qu’elle a menée, dans laquelle 89 % des scientifiques interrogés ont exprimé leurs inquiétudes quant à la probabilité que le COVID-19 soit endémique dans des poches de la population mondiale. Faisant fi des efforts persistants du Dr Michael Osterholm pour informer l’administration Biden sur une politique correcte d’éradication du COVID-19, le magazine a mis en avant une des citations d’Osterholm: «Éradiquer ce virus dès maintenant dans le monde, c’est un peu comme essayer de planifier la construction d’un chemin d’accès à la Lune. C’est irréaliste.»

Il ne devrait surprendre personne qu’une partie importante des scientifiques se soit résignée à accepter la COVID-19 comme une maladie inguérissable. Cela n’indique rien de plus que leur désillusion face à l’inaction des gouvernements mondiaux, alors que les écoles et les entreprises du monde entier ont essentiellement ouvert leurs portes.

Fondamentalement, cela exprime le caractère inévitable du virus atteignant un état d’endémicité sous le capitalisme et exclut la possibilité d’un mouvement de la classe ouvrière qui pourrait arrêter le virus en quelques semaines grâce à une action mondiale coordonnée, dans le cadre d’une lutte plus large dans le combat pour le socialisme, où les vies et les intérêts des masses laborieuses du monde entier sont prioritaires.

Ce qui est invariablement omis de ces communiqués de presse, c’est la politique criminelle de la classe dirigeante à travers le monde, qui ignore les avertissements des épidémiologistes et des scientifiques car cela interférait avec leur priorité d’accumulation de profits.

Avec une remarquable clairvoyance, à la fin du printemps de l’année dernière, alors que les pays rouvraient prématurément les commerces, le Dr Mike Ryan a fustigé les gouvernements du monde entier pour avoir levé les restrictions dans des conditions de transmission persistante et galopante du virus, sans systèmes en place pour le détecter, et encore moins pour tracer et mettre en quarantaine les personnes infectées, avertissant que cela produirait «un cercle vicieux de désastre de santé publique suivi d’un désastre économique suivi d’un désastre de santé publique».

La solution du zéro COVID

Cependant, un nombre croissant de scientifiques appellent à l’éradication du coronavirus. La politique «Zéro COVID», formulée pour la première fois par Independent SAGE, un groupe qui rivalise avec le Scientific Advisory Group on Emergencies (SAGE) officiel du gouvernement britannique, plaide en faveur des mesures de santé publique éprouvées qui peuvent stopper la propagation du COVID-19. Ils demandent des mesures de confinement, avec une compensation pour les personnes économiquement touchées, une amélioration des tests et de la recherche des contacts, et soutiennent que la pandémie peut être supprimée par des mesures de santé publique.

L’un des principaux défenseurs de cette cause est la Dre Deepti Gurdasani, épidémiologiste et maître de conférences à l’université Queen Mary de Londres. Elle s’est exprimée de manière cinglante sur les plans britanniques visant à sortir si rapidement du confinement. Le premier ministre Boris Johnson, après avoir mis en place les mesures de confinement les plus strictes le 4 janvier pour endiguer la marée désastreuse d’infections et de décès pendant la vague hivernale, n’a pas tardé à exiger à nouveau la réouverture des écoles pour début mars. La Dre Gurdasani a qualifié cette stratégie de «scandaleusement négligente» et de «très clairement une politique de décès tolérable», lors d’un entretien avec Channel 5 News le 22 février.

Gurdasani a cité les prévisions de l’Imperial College selon lesquelles, même dans les meilleures conditions, avec trois à quatre millions de doses de vaccin distribuées par semaine, l’ouverture des écoles le 4 mars ferait passer le taux de reproduction effectif (Rt) au-dessus de 1, entrainant 30.000 à 60.000 décès supplémentaires. Elle a mis en garde contre les dangers d’une mutation du virus qui menacerait l’efficacité du vaccin, sous un taux de transmission élevé, comme cela s’est déjà produit avec le variant sud-africain.

Aoife McLysaght, du Laboratoire d’évolution moléculaire de Dublin, en Irlande, a parlé, sur un Tweet, de la nécessité de se battre pour un COVID zéro, qui «nous permettrait de continuer à vivre normalement». Commentant le danger de se fier uniquement aux vaccins alors que de nouveaux variants apparaissent, McLysaght a mis en garde contre «une toute nouvelle pandémie arrivant sur notre flan».

Alors que le groupe croissant de scientifiques de principe qui appellent à la stratégie «Zéro COVID» a exposé les politiques les plus importantes et plaide en faveur des efforts d’atténuation, une perspective socialiste fait totalement défaut. Fondamentalement, Zéro COVID accepte le mode de production actuel. Il plaide pour un capitalisme plus humain, pour des mesures de santé publique améliorées dans le cadre actuel d’un système qui a lui-même produit la pandémie. L’appât du gain règne en maître et l’indifférence à l’égard des vies humaines est le résultat logique d’une politique de classe au service des intérêts de l’élite mondiale. La politique du Zéro COVID est correcte sur le plan scientifique, mais il lui manque une stratégie politique pour atteindre ces objectifs nécessaires. Inévitablement, ces scientifiques sont devenus des consultants auxiliaires des agences capitalistes.

La seule force sociale capable d’empêcher le SRAS-CoV-2 de devenir endémique est la classe ouvrière internationale, qui doit s’organiser et construire sa direction afin de mener une lutte pour le socialisme et contre les politiques homicides menées par les élites dirigeantes dans le monde entier. Armée d’une perspective et d’un programme socialistes, la classe ouvrière mondiale peut non seulement éradiquer le SRAS-CoV-2, mais aussi de nombreux autres virus et horreurs que la classe dirigeante a laissé persister: de la rougeole à l’hépatite, en passant par la faim et le sans-abrisme.

(Article paru en anglais le 1er avril 2021)

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