Les ministres allemand et américain de la Défense annoncent plus de troupes américaines en Allemagne

Les États-Unis et l'Allemagne veulent revenir à une coopération militaire étroite. C'est l'engagement pris par le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin et la ministre allemande de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer lors de leur rencontre à Berlin. Austin a promis d'augmenter le nombre de soldats déployés en Allemagne de 500 au lieu de réduire leur nombre de 12000, comme le gouvernement Trump l'avait prévu.

Austin est le premier responsable du gouvernement Biden à visiter Berlin. Il a voyagé depuis Israël et devait se rendre à Bruxelles et Londres pour consulter les dirigeants de l'OTAN et ceux du gouvernement britannique après une brève escale chez les troupes américaines en Allemagne.

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken, à droite, attend le début d'une réunion avec le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kuleba à Bruxelles, le mardi 13 avril 2021 (Johanna Geron, Pool via AP)

Lors d'une conférence de presse conjointe, Austin et Kramp-Karrenbauer ont cherché à se surpasser l’un et l’autre en déclarations d'amitié. Ils ont soigneusement évité de discuter de sujets controversés.

Austin a rappelé son service militaire en tant que jeune lieutenant en Allemagne et a invoqué les «valeurs communes de liberté, de démocratie, de droits de l'homme et d'État de droit».

Le stationnement de 500 soldats supplémentaires dans la région de Wiesbaden renforcerait selon l'ancien général la défense et la dissuasion en Allemagne, rendrait disponible plus de capacité pour faire la guerre dans l'espace, le cyberespace et par voie électronique, et «augmenterait la préparation au combat et pour gagner ».

L'Allemagne continuera d'être un partenaire économique et sécuritaire important pour les années à venir, a promis Austin. Le renforcement des relations avec l'Allemagne est une priorité élevée pour le gouvernement Biden-Harris, a-t-il poursuivi. «Nous élargissons encore les relations transatlantiques et les partenariats avec les alliés de l'OTAN», a-t-il déclaré.

Kramp-Karrenbauer a retourné les compliments d'Austin et a salué le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, qui, selon elle, est basé sur les valeurs et la liberté. La contribution des États-Unis à la sécurité de l'Allemagne et de l'Europe était un «pilier décisif de notre paix et de notre liberté». Elle ajouta qu'elle était convaincue qu'une alliance forte de l'OTAN pouvait surmonter ensemble tous les défis. «Nous avons besoin d'une OTAN capable d'agir avec une contribution allemande correspondante», a-t-elle fait remarquer.

Kramp-Karrenbauer a souligné que l'Allemagne dépenserait 2,5 milliards d'euros de plus pour son armée cette année et s'en tiendrait à l'objectif d'augmenter les dépenses de défense à 2 pour cent du PIB. Elle s'est engagée à collaborer avec les États-Unis pour mettre fin à l'opération en Afghanistan.

Kramp-Karrenbauer a fait grand cas de la décision de l'Allemagne d'envoyer une frégate dans la région Inde-Pacifique afin de montrer sa présence dans la région. Par la surveillance des sanctions contre la Corée du Nord et la sécurisation de la libre navigation à travers la mer de Chine méridionale, elle envoyait un signal. Austin a explicitement félicité de cette démarche. Interrogé par un journaliste sur les tensions croissantes dans l'est de l'Ukraine, Kramp-Karrenbauer a salué la «retenue du côté ukrainien» et s'est dite préoccupée par la « mobilisation russe ».

La réalité est que le rapprochement explicite entre Austin et Kramp-Karrenbauer n'a rien à voir avec la liberté, la démocratie, les droits de l'homme ni avec aucune des valeurs évoquées. Cela fait plutôt partie des préparatifs de guerre contre la Chine et la Russie, que l'administration Biden fait avancer à grand pas depuis son arrivée au pouvoir.

En ce qui concerne l'amitié souvent jurée entre Berlin et Washington, elle a le caractère d'une alliance entre des chefs de la mafia contre un ennemi commun, tandis que les armes pour le futur règlement mutuel des comptes sont préparées à l’arrière-plan.

Le gouvernement Biden n'a pas eu à modifier la poursuite impitoyable par Trump des intérêts impérialistes sous le slogan de «l’Amérique d’abord», mais simplement la manière subjective et erratique avec laquelle il avait poursuivi cet objectif.

Alors que les démocrates convenaient avec Trump que la montée en puissance de la Chine posait le plus grand défi stratégique pour les États-Unis et devait être stoppée par tous les moyens, ils considéraient la position de Trump à l'égard de la Russie comme beaucoup trop molle. Au lieu d'intensifier la pression contre la Russie, Trump avait éloigné les alliés de l'OTAN comme l'Allemagne, utiles aux États-Unis au moins à court terme.

La revue Foreign Affairs, une voix importante dans l'establishment de la politique étrangère américaine, a récemment publié une série d'articles appelant à une ligne plus dure contre la Russie.

«De nombreux analystes supposent à tort que la Russie est une puissance en déclin», écrit Michael McFaul, qui a été ambassadeur des États-Unis en Russie pendant deux ans sous Obama. Mais la Russie reste «l'un des pays les plus puissants du monde – avec beaucoup plus de puissance militaire, cyber, économique et idéologique que la plupart des Américains ne le pensent», et «l'une des deux seules superpuissances nucléaires».

«Biden et son équipe de sécurité nationale », a poursuivi McFaul, « doivent abandonner les perceptions dépassées de la menace russe et formuler une nouvelle politique pour contenir l'influence économique, militaire et politique du Kremlin ». Cela nécessitait un renforcement militaire de l'OTAN et une augmentation du «soutien militaire, politique et économique des États-Unis à l'Ukraine».

Un article des Foreign Affairs du 6 avril intitulé «Les relations américano-russes ne feront qu'empirer» rappelle que l'OTAN a été maintenue et étendue vers l'est après la dissolution de l'Union soviétique afin de garder l'Europe sous contrôle. «Pour les États-Unis, l'OTAN était le bon instrument pour parvenir à la stabilité et à la sécurité européennes, car elle permettait aux États-Unis de rester aux commandes», déclare cet article.

La visite d'Austin à Berlin se déroule dans des conditions où le conflit avec la Russie menace d'éclater en guerre ouverte. Au cours de ses trois premiers mois de pouvoir, le gouvernement Biden a systématiquement intensifié la pression sur la Russie en poussant le régime ukrainien de Zelensky qui menace de s'emparer de la Crimée, en intensifiant la guerre en Syrie et en soutenant les provocations d'Israël contre l'Iran. La situation en Ukraine est sur le point de devenir hors de contrôle.

Berlin a soutenu le coup d'État droitier de Kiev en 2014, qui a porté au pouvoir un régime corrompu et pro-occidental d'oligarques, et il soutient à nouveau le régime Zelensky. Le renouvellement de l'alliance de l'OTAN par Austin et Kramp-Karrenbauer vise ainsi à ouvrir la voie à une guerre qui aurait des conséquences dévastatrices pour l'ensemble de l'Europe. En même temps, il contient les germes de futures guerres inter-impérialistes, puisque les intérêts de l'impérialisme allemand et américain, qui ont mené deux guerres mondiales l'un contre l'autre, ne sont en rien identiques.

L'Allemagne veut certainement repousser la Russie afin de renforcer sa propre position en Europe de l'Est, en Ukraine et dans le Caucase. Mais contrairement aux États-Unis, Berlin ne veut pas isoler totalement la Russie sur le plan économique ; celle-ci compte parmi les plus importants fournisseurs d'énergie de l'Allemagne depuis les années 1970. C'est là le contexte du conflit non résolu sur Nord Stream 2, le gazoduc que les États-Unis veulent arrêter, tandis que l'Allemagne insiste pour que sa construction se poursuive.

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a récemment mis en garde: «Un isolement économique de la Russie entraînerait un rapprochement de la Russie et de la Chine. Et cela ne peut pas faire partie de nos intérêts stratégiques. »

Berlin et Washington poursuivent également des intérêts divergents vis-à-vis de la Chine. Le gouvernement allemand et l'Union européenne ne considèrent plus la Chine comme un «partenaire», mais comme un «rival stratégique» et soutiennent la campagne contre l'oppression de la minorité ouïghoure dans la province du Xinjiang. Mais en dépit du conflit sino-américain, ils ne veulent pas être exclus des lucratifs marchés de la Chine et de l’Extrême-Orient.

La chancelière allemande Angela Merkel a personnellement assuré qu'avant le changement de gouvernement aux États-Unis, l'UE avait conclu un traité d'investissement avec la Chine auquel Washington s'opposait. Elle l’a justifié en disant que sur cette question, il était «absolument clair» qu'il n'y avait «aucune identité» avec l'Amérique.

Il est à noter que la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le porte-parole du capital allemand, s’interroge pour savoir sur quel camp l'Allemagne devrait s’aligner dans une guerre entre les États-Unis et la Chine.

«Tout cela n’a à voir avec le sort à plaindre de la minorité musulmane du nord-ouest de la Chine que du point de vue de la fourniture du prétexte», écrivait le F.A.Z avec une remarquable franchise le 29 mars. «Au fond, il s’agit d’une lutte stratégique qui s’empare progressivement de toute la politique mondiale. »

«L'Amérique a déjà décidé où elle se situera dans ce conflit majeur», écrit-il. «L'ancienne puissance mondiale veut entraver la montée de nouveaux pays et empêcher qu’ils ne deviennent les égaux des États-Unis.» Pour l'Allemagne, le calcul n'est pas si tranché. «Les exportations sont le pilier le plus important de la prospérité allemande, elles jouent un rôle beaucoup plus important pour nous que pour l'Amérique.»

Selon l'agence de statistiques de l'UE, la Chine a dépassé les États-Unis l'année dernière en tant que partenaire commercial le plus important de l'UE. «Alors qu'au cours de la première année de la pandémie de coronavirus, le commerce avec le ‘reste’ du monde a chuté, les exportations et les importations vers et depuis la Chine ont augmenté. En cela, l'Allemagne est l'acteur dominant: elle représente 48% des marchandises de l'UE échangées avec la Chine ».

Si l'Allemagne envoie maintenant une frégate en mer de Chine méridionale, c'est pour poursuivre ses propres intérêts impérialistes. C'est pourquoi Kramp-Karrenbauer a noté à plusieurs reprises que l'augmentation des dépenses de défense visait «notre propre sécurité et nos propres intérêts», et non «à rendre service aux États-Unis».

Au bout du compte, la raison de la croissance du militarisme et de la menace d'une troisième guerre mondiale réside dans la faillite du système capitaliste. Comme en 1914 et en 1939, les élites dirigeantes en Allemagne, aux États-Unis et dans toutes les autres puissances impérialistes répondent aux contradictions sociales et internationales croissantes en poussant l'humanité dans son ensemble vers l'abîme. Seul un mouvement international de la classe ouvrière reliant la lutte contre l'exploitation et la guerre à la lutte contre le capitalisme, peut arrêter le danger de guerre.

(Article paru en anglais le 14 avril 2021)

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