Une campagne sur la «culture du viol» visant à semer la division est lancée contre les écoles britanniques.

Si l’on en croit le gouvernement conservateur, les médias et les syndicats d’enseignants, le principal problème auquel sont confrontées les écoles britanniques est... la «culture du viol». Cette culture est tellement répandue que le gouvernement a ordonné une enquête, la police a commencé à recueillir des «preuves » et l’Office for Standards in Education (Ofsted) a été habilité à mener des «inspections de précaution».

Sur la base de témoignages anonymes publiés sur le site web Everyone’s Invited, fondé en juin dernier par une ancienne élève d’une école privée, Soma Sara, les écoles seraient en proie à la misogynie, au harcèlement sexuel et aux prédateurs masculins, et seraient même accusées de permettre et de dissimuler les violences sexuelles.

Capture d’écran du site web «Everyone’s Invited» (Tout le monde est invité)

Les allégations d’une «culture du viol» endémique sont formulées alors que seule une infime minorité des «témoignages» recueillis font état de viols. La plupart d’entre eux font état d’une attention non désirée, de l’échange d’images de nudité ou de divers degrés d’«attouchements», le plus souvent anciens. Et bien que les écoles soient citées comme coupables, peu des incidents allégués ont eu lieu à l’école, mais plutôt lors de fêtes privées ou dans d’autres lieux.

Les plaintes sont anonymes et ne peuvent être vérifiées, ce qui va de pair avec l’accusation de «culture du viol» elle-même, qui se définit comme «toutes les façons dont différentes formes de comportement sexuel agressif et violent sont normalisées, encouragées et même admirées par la société».

Contrairement à la couverture médiatique de «Tout le monde est invité», la véritable crise de l’éducation est largement passée sous silence. La politique d’«immunité collective» adoptée par les gouvernements du monde entier en réponse à la pandémie mondiale de Covid-19 a coûté la vie à plus de 2,95 millions de personnes, dont 150.000 en Grande-Bretagne. Malgré cela, le premier ministre Boris Johnson insiste sur le fait que ce n’est «pas le bon moment» pour convoquer une enquête sur la catastrophe du Covid.

Les écoles ont été en première ligne de cette indifférence irréfléchie à l’égard de la vie, car les efforts déployés pour maintenir les établissements scolaires ouverts – afin de contraindre les parents à se rendre sur des lieux de travail peu sûrs – ont directement facilité la propagation des infections. Entre mars de l’année dernière et janvier 2020, rien qu’en Angleterre, au moins 540 membres du personnel éducatif sont morts de la Covid. Dix millions d’enfants et de jeunes ont vu leur éducation perturbée, et un nombre incalculable d’entre eux ont dû s’isoler, tandis que l’aide promise à ceux qui n’avaient pas accès à l’internet ou à des ordinateurs portables ne s’est pas matérialisée. En conséquence, 95 % des éducateurs interrogés craignent pour leur bien-être, et plus d’un tiers déclarent avoir l’intention de quitter la profession. Quant à ceux à qui ils enseignent, les jeunes sont confrontés à une urgence de santé publique apparemment sans fin, accompagnée d’une hausse du chômage, du nombre de sans-abri, de la pauvreté et d’une explosion du militarisme.

Comment se fait-il alors qu’une élite dirigeante si mortellement indifférente à une pandémie fatale soit si émue par une supposée «culture du viol»?

La description de ces événements comme un moment #MeToo pour les écoles doit tirer la sonnette d’alarme. Depuis des années, une guerre interne entre les sexes est en cours dans les hautes sphères de la société pour évincer les hommes (principalement blancs) des postes les plus élevés dans les médias, l’industrie du divertissement et le monde universitaire. Bafouant la présomption d’innocence, des allégations généralement infondées ont suffi à détruire des vies, des carrières et des réputations.

Malgré tous les discours sur la «culture du viol», le succès de cette campagne repose sur le dégoût généralisé du public pour la violence sexuelle. La désorientation et la confusion qu’elle a créées, ainsi qu’une fracture (voulue) dans les relations entre les sexes, sont particulièrement pernicieuses.

Il n’est guère surprenant que les écoles, où les jeunes font la plupart de leurs expériences formatrices en matière de relations et de limites sexuelles tout en naviguant entre la puberté et l’âge adulte, aient été touchées. Mais cette campagne n’a absolument rien à voir avec le fait d’aider les jeunes à traverser ce champ de mines, ni les filles au nom desquelles elle est menée et surtout pas les garçons qui en sont la cible.

Comme le note le WSWS, aucun des partisans petits-bourgeois de la politique identitaire n’était de quelque façon préparé à la pandémie et à ses conséquences. «Par intérêt personnel, ce qui a sensiblement rétréci leurs perspectives, et dans leur état d’autodérision, aucun d’entre eux ne pouvait imaginer de loin un cataclysme des dimensions de la crise du coronavirus se développant dans un système qu’ils considéraient comme exempt de contradictions aiguës et, à toutes fins utiles, éternel.»

Pendant un temps, le mouvement #MeToo s’est tu. Aujourd’hui, il revient en force, et dans le même but égoïste et cupide. Tout comme les gouvernements utilisent la pandémie pour restructurer les relations économiques toujours plus directement dans l’intérêt des super-riches, le mythe de la «culture du viol» est utilisé pour légitimer une lutte pour les positions, principalement au sein de la classe moyenne supérieure, et pour renforcer les pouvoirs répressifs de l’État.

Ce n’est pas un hasard si la plupart des témoignages de Everyone’s Invited portent sur les écoles privées, notamment les plus prestigieuses. Seuls 6 % des élèves fréquentent des écoles privées, qui sont en grande majorité l’apanage des riches. Les fonds considérables dont elles disposent ne garantissent pas seulement un niveau d’éducation inaccessible aux 93 % restants; elles sont aussi la porte d’entrée des meilleures universités, des conseils d’administration des entreprises et du pouvoir d’État. La concurrence à l’entrée et au sein de ces institutions est immense, ce qui peut expliquer la demande de certaines «survivantes» d’augmenter le ratio des classes de sixième pour admettre plus de filles.

Les écoles publiques ont néanmoins été entraînées dans cette campagne répugnante. La nouvelle directive du gouvernement demandant à toutes les écoles d’intégrer l’éducation sexuelle et relationnelle dans le programme scolaire de la 7e à la 13e année constitue au moins une impulsion. C’est la première fois que l’éducation sexuelle sera obligatoire dans toutes les écoles, et que les relations LGBTQ seront enseignées. Quelque 6 millions de livres sterling avaient déjà été réservées aux «fournisseurs de formation et de soutien». Il est intéressant de noter que dans son modèle de lettre de protestation, Everyone’s Invited désigne ses fournisseurs préférés comme étant «l’école d’éducation sexuelle et Bold Voices» en raison de leur approche «intersectionnelle, féministe, non binaire et sexuellement positive».

Une autre impulsion est de légitimer une plus grande discipline, une réglementation et des punitions dans les écoles de la classe ouvrière. C’est pourquoi la campagne bénéficie du soutien de groupes de réflexion de droite tels que le Centre for Social Justice, l’ancien ministre de l’intérieur conservateur et thatchérien, Savid Javid, et Katharine Birbalsingh, qui prône le retour des «valeurs traditionnelles» dans l’éducation.

Ajoutez au mélange le soutien aux écoles unisexes qui unit la «militante» féministe Natasha Walter et la chroniqueuse du Telegraph Annabel Heseltine, fille de Lord Heseltine, et le cercle réactionnaire est presque complet.

Le dernier maillon est fourni par les syndicats et les groupes de la pseudo-gauche, qui se sont tous rangés derrière la provocation de la «culture du viol». La semaine dernière, la conférence annuelle du syndicat de l’éducation nationale (NEU) a déclaré que le sexisme «rôde dans les couloirs et les salles de classe» et a demandé au gouvernement de mettre en place «des politiques solides en matière de harcèlement et de violences sexuels». Rien n’a été dit quant au besoin désespéré de mesures de sécurité liées à la Covid-19.

Le stalinien Morning Star, faisant la promotion d’une réunion du Parti travailliste sur «la réponse socialiste à la violence contre les femmes», a présenté tous les hommes comme des violeurs potentiels, affirmant que «la peur de la violence des hommes est une présence quotidienne pour la plupart des femmes».

Le parti socialiste affirme que ce qu’il faut de toute urgence, c’est une «enquête menée par les syndicats et les étudiants sur l’étendue réelle du harcèlement et de la violence sexuels» dans l’éducation, qui pourrait transformer les «procédures de signalement», examiner la mise en œuvre et garantir qu’elles «sont correctement appliquées dans la pratique».

À l’appui, l’un de ses membres explique de manière révélatrice que «les cas les plus insidieux [de harcèlement sexuel] sont généralement le fait de personnes pour lesquelles vous éprouvez une attirance initiale. Ce type d’abus sexuel a des effets à long terme sur la santé mentale. Je me suis personnellement retrouvée dans cette situation lors d’une fête. Je ne suis toujours pas sûre que cet incident puisse être qualifié d’abus sexuel, puisque j’y ai participé de plein gré...»

La campagne sur la «culture du viol» est antidémocratique et misanthrope. Son injection dans les écoles s’avérera immensément dommageable. Les appels lancés par les syndicats et la pseudo-gauche pour qu’elle soit «correctement appliquée» montrent clairement leur soutien à une intervention punitive de l’État, y compris à des mesures ouvertement autoritaires, au nom de valeurs «progressistes».

(Article paru en anglais le 13 avril 2021)

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