À Toronto et Calgary, les syndicats isolent et trahissent les luttes de renouvellement de conventions collectives des travailleurs du secteur des boissons

Dans deux conflits de travail récents dans l’industrie canadienne des boissons, les travailleurs de la brasserie Molson-Coors de Toronto et de l’usine d’embouteillage de Coca-Cola à Calgary, en Alberta, ont voté pour accepter des contrats de travail remplis de concessions et sont retournés au travail après que leurs syndicats aient saboté leurs luttes déterminées.

À Toronto, environ 300 travailleurs, en lock-out depuis six semaines, ont ratifié un nouveau contrat le 3 avril par une mince avance de 149 à 117. L’entente, recommandée par l’équipe de négociation du syndicat «Union of Brewery and General Workers» a été dénoncée par une majorité de travailleurs de la base. Ultimement toutefois, les travailleurs ont voté pour accepter l’entente, similaire à celle qu’ils avaient pourtant déjà rejetée de façon décisive avant d’être mis en lock-out, parce qu’ils ont compris que leur syndicat était peu disposé à mener une lutte contre l’entreprise et incapable de le faire.

Travailleurs de Molson-Coors en lock-out (Source: CUBGW 325)

De même, à Calgary, 270 manutentionnaires, travailleurs de la production, de l’entretien et de la livraison de Coca-Cola, membres du syndicat des Teamsters, ont voté à 73 % le 31 mars pour mettre fin à leur grève de 16 jours et accepter un contrat de trahison.

Les conflits de Toronto et de Calgary mettent en lumière le refus catégorique et l’incapacité organique des syndicats corporatistes de mener une lutte sérieuse pour défendre, et encore moins pour faire avancer, les intérêts des travailleurs qu’ils sont censés représenter. Les revendications soulevées par les travailleurs, notamment la protection de l’emploi contre l’externalisation, l’opposition à la réduction des régimes de retraite, le rejet des quarts de travail obligatoires de 12 heures et le rejet des structures salariales à plusieurs niveaux, sont des problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs de toutes les industries en Amérique du Nord et dans le monde.

De plus, comme des millions de travailleurs au Canada et à l’étranger, les travailleurs de l’industrie des boissons ont connu plus d’un an de travail dans des conditions dangereuses pendant la pandémie, au cours de laquelle leurs employeurs les ont cyniquement qualifiés de «travailleurs essentiels» pour permettre à leurs usines de continuer à fonctionner pendant les fermetures. Cette désignation de «travailleurs essentiels» n’a toutefois pas empêché Coca-Cola et Molson-Coors de continuer leur impitoyable campagne d’exploitation.

Dans ces conditions, l’isolement et la défaite de ces deux luttes n’avaient rien d’inévitable. Un appel lancé par les travailleurs en grève de Coca-Cola en faveur d’une lutte politique unifiée contre l’austérité et les concessions aurait rencontré une réponse puissante de la part des travailleurs du secteur public, des travailleurs de l’automobile et d’autres travailleurs du secteur industriel, qui ont tous fait l’expérience directe de l’impact dévastateur de l’externalisation et de la réduction des salaires.

De même, la lutte des travailleurs de Molson pour la protection de leurs pensions et leur opposition à des quarts de travail longs et épuisants aurait touché une corde sensible chez les débardeurs de Montréal, qui sont empêchés depuis plus de deux ans par des lois du travail réactionnaires de mener une grève totale contre l’affaiblissement des règles de travail et l’imposition de cadences accélérées par les opérateurs du port. Les enseignants, les travailleurs en garderie, les professionnels de la santé et les travailleurs de pratiquement tous les secteurs de l’économie au Canada auraient reconnu leurs intérêts communs avec les travailleurs de Coca-Cola et de Molson, qui, comme eux, ont été désignés comme «essentiels» tout en ne recevant pratiquement aucune protection contre la COVID-19 mortelle dans leurs lieux de travail.

Piquet de grève devant l’usine d’embouteillage de Coca-Cola à Calgary (Source: Facebook)

Si les travailleurs de Molson-Coors en lock-out et les travailleurs en grève de Coca-Cola ont été laissés seuls pour lutter contre ce qui est respectivement le cinquième fabricant de bière et le deuxième producteur de boissons gazeuses au monde, c’est parce que leurs syndicats et les fédérations syndicales auxquelles ils sont affiliés ont systématiquement isolé et saboté leurs luttes.

Fait extraordinaire, en pleine pandémie mortelle qui a fait plus de 23.000 morts au Canada et qui sévit dans les usines et autres lieux de travail, aucun des deux syndicats n’a soulevé publiquement une seule revendication liée à la sécurité au travail et à la protection contre l’infection par la COVID-19 pendant les négociations de convention collective.

Soulignant leur militantisme et leur détermination à mener une lutte contre leur employeur très rentable, les travailleurs de Coca-Cola ont voté à 94 % pour la grève après avoir rejeté à deux reprises une entente pourrie qui leur avait été présentée par la direction de leur section locale. Presque immédiatement après le début de la grève, la société a commencé à faire appel à des briseurs de grève pour effectuer le travail des grévistes. Les livraisons de boissons, bien que retardées par les piqueteurs, ont fini par sortir de l’usine.

Les grévistes exigeaient que tout nouveau contrat contienne une clause de protection de l’emploi après que l’entreprise ait commencé à sous-traiter le travail à des entrepreneurs tiers, réduisant ainsi les heures de travail des chauffeurs et des travailleurs d’usine. Tout au long de la pandémie, l’entreprise n’a cessé de réduire leur salaire net par le biais de l’externalisation, tout en insistant sur le fait que ces mêmes travailleurs devaient être considérés comme «essentiels».

Après le début de la grève, le négociateur syndical de la Section 987 du syndicat des Teamsters, Brock Penner, a publié une déclaration dénonçant les attaques de l’entreprise contre les salaires et la sécurité d’emploi. Penner a commodément oublié d’expliquer que son syndicat avait recommandé à deux reprises aux travailleurs d’accepter des contrats qui ne contenaient aucune protection contre une nouvelle externalisation.

Au bout du compte, l’entente ratifiée prévoit une maigre augmentation de salaire de 9 % répartie sur six ans, une réduction réelle des salaires si l’on tient compte de l’inflation, et un nouveau libellé de contrat qui ne fera rien pour contrer la volonté de l’entreprise de réduire ses coûts de main-d’œuvre. En vertu du nouveau contrat, les chauffeurs qui ne cumulent pas le nombre d’heures de travail prévu pour effectuer leurs itinéraires peuvent occuper un poste temporaire en usine si disponible ou, s’ils ont moins de 20 heures de travail par semaine, ils peuvent opter pour une mise à pied en attendant que les livraisons reprennent.

L’industrie des boissons gazeuses de tout le continent déploie un effort concerté pour réduire ses coûts de main-d’œuvre. La semaine même où la grève prenait fin à Calgary, une grève de trois semaines d’une centaine de travailleurs de Dr. Pepper/7-Up/Keurig organisée par les Teamsters à Detroit se soldait par la consolidation d’une structure de salaires et d’avantages sociaux à plusieurs niveaux et l’imposition de quarts de travail obligatoires de 12 heures.

Lors du lock-out de Molson-Coors à Toronto, la compagnie a insisté pour que la plupart des travailleurs passent d’un régime de retraite à prestations déterminées à un régime à cotisations déterminées de qualité inférieure basé sur les aléas du marché boursier, acceptent l’institutionnalisation d’un système de salaires à deux niveaux et passent à des quarts de travail obligatoires de 12 heures. En imposant son lock-out, l’entreprise a annoncé qu’elle poursuivrait la production sans sa main-d’œuvre syndiquée et n’a pas exclu le recours à des briseurs de grève.

Le président de la section locale, Gaurav Sharma, a immédiatement fait savoir aux membres qu’il n’entrevoyait aucune solution, soulignant que la direction disposait de six à huit semaines de stocks et qu’elle pouvait augmenter la production dans ses autres brasseries pour combler tout déficit de production. L’idée même de faire appel aux travailleurs des autres sites de production de Molson pour soutenir la lutte des travailleurs de Toronto était apparemment trop difficile à articuler pour le syndicat, même si celui-ci a utilisé la menace de la direction de puiser dans ces mêmes installations de production comme une matraque pour intimider les travailleurs et leur faire accepter la défaite de leur lutte.

Lors du dernier conflit de travail en 2017, les travailleurs ont fait grève pendant six semaines contre les demandes de l’entreprise de faire des concessions générales sur les salaires, les règles de travail et les avantages sociaux, des réductions qui ont été en grande partie imposées dans le règlement négocié final. Dans le conflit qui vient de s’achever, le syndicat a recommandé l’acceptation d’une nouvelle entente de quatre ans qui cédait à l’entreprise pratiquement tout ce qu’elle avait exigé.

Les concessions cédées chez Coke et Molson ne sont que les dernières d’une longue liste de compromis misérables imposés aux travailleurs au cours de la dernière année en dépit d’âpres luttes. À la raffinerie de pétrole FCL de Regina, dans les magasins Dominion de Terre-Neuve, dans les sociétés d’État de la Saskatchewan, dans les services d’autobus scolaires de Winnipeg et chez Western Forest sur l’île de Vancouver, les syndicats ont administré une défaite après l’autre, poursuivant ainsi le rôle qu’ils jouent au Canada et à l’étranger depuis des décennies.

Cette situation n’est pas simplement due à de mauvais dirigeants ou à des décisions erronées. Elle découle plutôt de la nature des syndicats en tant qu’organisations nationalistes et procapitalistes. Comme le démontrent les luttes des travailleurs chez Coke et Molson, les syndicats sont principalement préoccupés par la préservation de leurs liens avec les directions d’entreprise et par le maintien d’un système de relations de travail anti-ouvrier, établi par l’élite dirigeante pour réglementer la lutte des classes dans l’intérêt des grandes entreprises, et modifié avec le soutien de l’ensemble de l’establishment politique depuis les dernières décennies pour rendre illégale toute grève, sauf si parmi les plus inefficaces possible. Dans des conditions où la classe dirigeante procède à un transfert massif de richesses du bas vers le haut au moyen des plans de sauvetage d’urgence de la COVID-19, le tout en intensifiant massivement l’exploitation des travailleurs dans tous les secteurs de l’économie en maintenant les lieux de travail ouverts alors que le virus se répand, les syndicats se concentrent sur le renforcement de leur partenariat corporatiste avec l’État et les grandes entreprises aux dépens des travailleurs qu’ils prétendent représenter.

Les conditions d’une puissante contre-offensive de la classe ouvrière contre l’austérité et les concessions sont plus favorables qu’elles ne l’ont jamais été depuis des décennies. Mais ce potentiel ne peut être réalisé que si les travailleurs prennent en main la conduite de leurs luttes en formant des comités d’action de la base, indépendants de la bureaucratie syndicale et en opposition à celle-ci. Ces comités doivent être fondés sur une perspective politique entièrement nouvelle: un programme socialiste qui insiste pour que les intérêts des travailleurs passent avant les profits des entreprises. Ils doivent étendre toutes les luttes aux travailleurs de tout le Canada – fonctionnaires, enseignants, infirmières et travailleurs du secteur manufacturier – de façon à briser le carcan imposé par les systèmes provinciaux de négociation collective et de relations de travail qui sont favorables aux employeurs, et mettre de l’avant des revendications pour des emplois décents, sûrs et sécurisés et le libre accès à une éducation et à des soins de santé de qualité pour tous les travailleurs, en opposition à l’impératif capitaliste du profit à tout prix.

(Article paru en anglais le 13 avril 2021)

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