Dans l’océan Indien, la France rejoint les exercices navals du «quadrilatère asiatique» menaçant la Chine

Du 5 au 7 avril, pour la première fois, des navires de guerre indiens, japonais et australiens ont participé à un exercice naval français portant le nom de code «La Pérouse», dans le golfe du Bengale.

Cet exercice provocateur a eu lieu après un sommet et des exercices navals organisés en mars par l’alliance anti-chinoise du «quadrilatère asiatique» (composé des États-Unis, de l’Inde, du Japon et de l’Australie) et après la visite en Inde du secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin et du ministre sud-coréen de la Défense Suh Wook. Au cours des manœuvres «La Pérouse», les navires de guerre ont effectué 90 exercices, notamment des opérations d’héliportage et de ravitaillement. Un autre jeu de guerre navale franco-indien, l’exercice Varuna, est prévu du 25 au 27 avril.

Le PHA Tonnerre et le FLF Surcouf déployés dans le cadre de la mission JDA 21 dans le golfe du Bengale (Crédit image: Twitter/MarineNationale)

Arnaud Tranchant, le capitaine du navire d’assaut amphibie français Tonnerre, qui a dirigé l’exercice «La Pérouse», a déclaré aux médias indiens qu’il visait à renforcer l’interopérabilité entre les deux marines.

Le commandant Vivek Madhwal, porte-parole de la marine indienne, a déclaré: «La participation de la marine indienne à l’exercice témoigne des valeurs partagées avec les marines amies. Ces derniers garantissent la liberté des mers et l’engagement en faveur d’une région Inde-Pacifique ouverte et inclusive et d’un ordre international fondé sur des règles».

Ces exercices soulignent les tensions de guerre accrues alors que le gouvernement Biden commence son mandat et appelle l’Union européenne (UE) à «collaborer» avec Washington contre des politiques chinoises traitées d’«expansionnistes» en Asie. L’année dernière déjà, les pays du «Quadrilatère» avaient effectué les exercices navals «Malabar» dans le golfe du Bengale. Aujourd’hui, les puissances de l’UE, tout en continuant d’augmenter leurs dépenses militaires collectives dans le contexte de la pandémie – elles avaient déjà atteint 300 milliards de dollars en 2019 – développent également une politique agressive en Asie.

Ces exercices sont conformes à un nouveau document stratégique récemment rendu public par le chef des forces armées françaises, le général Thierry Burkhard. Ce document signale un tournant de l’impérialisme français vers la préparation de guerres à grande échelle «d’État à État».

«Le monde évolue assez vite et assez mal», a-t-il déclaré, pointant la multiplication des conflits et la «remilitarisation effrénée». L’armée «a imaginé une situation en 2035… Mais en 2020, un certain nombre de cases à cocher se trouvent déjà cochées.» La France fait face désormais à «la fin d’une étape de conflits» qui impliquait des guerres au Sahel et en Afghanistan. Dans ces guerres les forces françaises ont bénéficié d’une supériorité militaire écrasante face aux populations visées. Selon Burkhard, l’armée s’attend à de nouveaux conflits «symétriques», «État contre État», c’est-à-dire entre grandes puissances dotées de l’arme nucléaire.

Cela intervient après que la France a dépensé 49,7 milliards d’euros pour son budget de défense pour 2021, comme prévu dans la loi de programmation militaire 2019-2025, avec le projet de porter ce montant à 54 milliards d’euros d’ici 2024.

En mars, quelques semaines seulement avant le début des exercices navals franco-indiens, le Parlement européen a publié un rapport intitulé «le Quadrilatère: un cadre de sécurité multilatéral émergent des démocraties dans la région inde-pacifique». Ce rapport note que l’adoption de documents stratégiques sur la région inde-pacifique par la France, l’Allemagne et les Pays-Bas «a renforcé les attentes concernant la stratégie à venir pour la région par l’UE dans son ensemble».

Les puissances de l’UE, si elles ne s’alignent pas entièrement sur Washington contre Pékin, font néanmoins preuve d’une hostilité croissante à l’égard de la Chine. Tout en qualifiant la politique américaine «d’expression d’une rivalité stratégique entre les États-Unis et la Chine», le rapport du Parlement européen note: «L’UE, en revanche, considère la Chine comme un partenaire économique et un rival systémique, mais aussi comme un partenaire de négociation et de coopération sur des questions clés (notamment le changement climatique).»

Cependant, le rapport a également repris la propagande de guerre montante qui accuse faussement la Chine d’avoir prétendument déclenché la pandémie de COVID-19. Il affirme que «l’appétit pour l’engagement avec la Chine a peut-être diminué dans certaines capitales européennes». Il affirme de manière provocante que Pékin vise à «détourner l’attention de l’opinion publique de la responsabilité de la Chine dans la pandémie».

Cette politique agressive est liée à une crise profonde du système capitaliste liée à l’émergence de l’Asie comme centre de l’économie mondiale, qui représentera bientôt 62 pour cent du produit intérieur brut mondial et achètera 35 pour cent des exportations de l’UE. La France et l’UE dans son ensemble réagissent en déversant des dizaines de milliards d’euros dans leurs machines militaires. Financés par l’austérité contre la classe ouvrière et les politiques d’«immunité collective» face au COVID-19 qui ont fait plus d’un million de morts en Europe, ces fonds préparent des guerres catastrophiques.

Paris et New Delhi intensifient des liens stratégiques de longue date. Après la dissolution stalinienne de l’URSS en 1991, tant l’impérialisme français que l’Inde ont cherché à promouvoir la notion d’un ordre mondial «multipolaire». Le ministre français des Affaires étrangères de l’époque, Hubert Védrine, a critiqué les États-Unis comme étant une «hyperpuissance». Les gouvernements indiens ont répondu positivement aux tentatives de Paris de se présenter comme un partenaire un peu plus fiable, moins imprévisible et moins menaçant que Washington.

La France a soutenu les essais nucléaires de l’Inde en 1998, lorsque la plupart des puissances impérialistes ont réagi en imposant des sanctions. La coopération franco-indienne s’est développée au cours des deux dernières décennies pour couvrir le nucléaire, l’espace, la défense, la cybersécurité, le partage de renseignements et la coopération antiterroriste. Les exercices militaires bilatéraux, qui ont commencé avec les marines de guerre en 2001, suivis par les forces aériennes en 2004 et les armées de terre en 2011, sont maintenant devenus une occurrence régulière.

Cette histoire montre qu’aucune des puissances impérialistes, y compris les alliés européens de Washington, supposés moins agressifs, n’a d’alternative à l’accélération de la guerre et de l’État policier.

La France a intensifié son engagement lorsqu’elle est devenue de plus en plus préoccupée par l’influence économique croissante de la Chine à l’étranger. La Chine a installé sa première base militaire à l’étranger à Djibouti, dans la Corne de l’Afrique, en 2017 et a investi dans le développement, la gestion ou l’acquisition de ports stratégiquement situés dans des pays entourant l’Inde, notamment le Pakistan, le Sri Lanka et le Myanmar. Cela empiète sur les intérêts non seulement américains, mais aussi européens et français, notamment celui de Paris à maintenir sa domination déclinante dans son ancien empire colonial d’Afrique.

Paris et New Delhi se sont rapprochés d'une alliance militaire à plusieurs reprises, la France ayant signé un accord d'implantation lui donnant accès à des installations en Inde en 2018. En février 2020, les marines française et indienne ont, pour la première fois, effectué des patrouilles conjointes depuis l'île de la Réunion, dans l'océan Indien.

«The Hindu» a rapporté en novembre dernier que le chef de la marine française, l’amiral Christophe Prazuck, avait visité l’Inde et qu’il avait déclaré que Paris était «impatient d’organiser des patrouilles conjointes avec la marine indienne» en 2020, et qu’il travaillait sur les objectifs précis. S’exprimant lors d’un événement, il a déclaré que la région des patrouilles pourrait être le nord-ouest ou le sud de l’océan Indien «autour des îles qui font partie de la France».

En même temps, Paris et New Delhi se sont rapprochés sur la base des politiques antimusulmanes du président français Emmanuel Macron et du premier ministre indien, suprémaciste hindou, Narendra Modi. Des médias et des responsables indiens ont tweeté leur soutien à la loi «anti-séparatiste» de la France, qui vise à restreindre la liberté de religion et d’expression des musulmans en affirmant que certaines pratiques islamiques équivalent à du séparatisme contre la République française.

La France a également soutenu l’Inde au Cachemire, une région à majorité musulmane que Modi a dépouillée de son autonomie et soumise à un violent régime d’État policier. L’Inde a arrêté des milliers de Cachemiriens et d’hommes politiques de premier plan. Le gouvernement indien a coupé toute communication par internet ou téléphone et a sévèrement limité la mobilité dans la vallée du Cachemire avec le déploiement de dizaines de milliers de soldats indiens supplémentaires dans l’une des zones déjà les plus militarisées du monde.

En janvier, Emmanuel Bonne, conseiller diplomatique du président français, s’est rendu en Inde pour un dialogue stratégique annuel. Il a insisté pour dire que la France soutenait l’Inde sur le Cachemire: «Même s’il s’agit du Cachemire, nous avons été un fervent partisan de l’Inde au Conseil de sécurité, nous n’avons pas laissé la Chine jouer un quelconque jeu de procédure. En ce qui concerne les régions himalayennes, vous devriez vérifier nos déclarations, nous avons été tout à fait clairs. Aucune ambiguïté n’existe dans ce que nous disons en public».

(Article paru d’abord en anglais le 19 avril 2021)

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