Un ministre sri-lankais exhorte le président Rajapakse à agir comme Hitler

Dans des remarques extraordinaires lors d’une conférence de presse tenue le 12 avril à Colombo, le ministre d’État des Transports du Sri Lanka, Dilum Amunugama, a déclaré: «Si le public reproche au gouvernement son manque de progrès, alors il le fait parce que les gens ont porté [le président] Gotabhaya Rajapakse au pouvoir en s’attendant à ce qu’il joue le rôle du dictateur et fasse avancer les choses.»

Capture d’écran de la vidéo du ministre d’État Dilum Amunugama (YouTube)

Amunugama a déclaré que les moines bouddhistes voulaient également que Rajapakse agisse comme Hitler. «S’il est poussé à devenir comme Hitler par l’action de divers groupes, s’il se transforme en Hitler, alors personne ne lui en voudra. Tout ira bien.»

De manière significative, Rajapakse n’a pas pris ses distances avec les sinistres remarques de son ministre d’État. Le porte-parole du gouvernement, Keheliya Rambukwella, a tenté de passer sous silence ces commentaires, affirmant qu’il ne s’agissait que de «l’opinion personnelle» d’Amunugama, et non de la «position collective» du gouvernement.

Le dictateur nazi, Adolf Hitler, a été porté au pouvoir en 1933 par l’impérialisme allemand dans un contexte de profonde crise économique et sociale. Aidés par les politiques désastreuses du régime stalinien soviétique, les nazis ont écrasé la classe ouvrière et ses organisations, ont assassiné systématiquement six millions de Juifs et d’autres minorités, et ont ouvert la voie à la catastrophique Seconde Guerre mondiale entre l’Allemagne et les autres puissances impérialistes.

Le Sri Lanka n’est pas un pays impérialiste. Cependant, les déclarations d’Amunugama exhortant Rajapakse à devenir un Hitler font partie d’une campagne menée par des sections de l’élite dirigeante en faveur d’une dictature présidentielle impitoyable dans un contexte de crise politique profonde intensifiée par la pandémie mondiale.

L’affirmation d’Amunugama selon laquelle 6,9 millions de personnes ont voté pour Rajapakse parce qu’elles voulaient qu’il agisse comme un dictateur est totalement fausse. En l’absence d’alternative, beaucoup ont voté pour lui afin d’exprimer leur opposition au précédent gouvernement d’«unité nationale» du président Maithripala Sirisena et du premier ministre Ranil Wickremesinghe, qui a appliqué des mesures d’austérité draconiennes dictées par le Fonds monétaire international (FMI).

Rajapakse et son parti, le Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP), ont exploité cette opposition en faisant de fausses promesses d’amélioration des conditions de vie. Dans le même souffle, il s’est engagé auprès de la classe dirigeante à mettre en place un gouvernement «stable et fort». Il a rallié les groupes extrémistes cinghalais, le clergé bouddhiste et une partie de l’armée en attisant le chauvinisme anti-tamoul et anti-musulman et en promouvant le suprémacisme bouddhiste cinghalais.

C’est au nom de ces couches chauvines d’extrême droite qu’Amunugama parle. Lors d’une cérémonie pour le 69e anniversaire de Rajapakse en juin 2018, Vendaruvey Upali, un prélat en chef de l’une des principales sectes bouddhistes, lui a conseillé: «S’ils vous traitent d’Hitler, alors soyez un Hitler et construisez le pays». Loin de condamner Vendaruvey Upali, Rajapakse a dénoncé ceux qui ont critiqué le prélat pour ses commentaires. Après son arrivée au pouvoir, Rajapakse a rapidement commencé à installer d’anciens et d’actuels officiers supérieurs de l’armée à des postes administratifs clés, notamment le général de division à la retraite Kamal Gunaratne comme secrétaire à la Défense. Utilisant la pandémie comme prétexte, il a accéléré la militarisation, nommant deux douzaines ou plus d’officiers à des postes de haut niveau.

En novembre dernier, le Parlement a adopté le 20e amendement à la Constitution, conférant des pouvoirs autocratiques au président de l’exécutif, notamment celui de nommer les hauts fonctionnaires et les juges, de dissoudre le Parlement et d’imposer des lois d’urgence. Ces pouvoirs vont même au-delà de la constitution antidémocratique de 1978.

L’adoption de mesures dictatoriales survient alors que les cercles dirigeants craignent une crise qui s’aggrave. Le 11 avril, le chroniqueur politique du Sunday Times écrivait que le gouvernement, «en place depuis maintenant 17 mois, plonge de façon catastrophique d’une crise à l’autre... L’économie a reçu un coup dévastateur de la part de la COVID-19. Les entreprises, grandes et petites, ont été touchées, ce qui a provoqué un chômage massif. Les plus grandes ont reçu du financement d’urgence mais pas les autres...»

L’article a noté l’émergence d’une opposition massive au gouvernement en raison de la montée en flèche des prix des produits de première nécessité, de la pénurie de vaccins, de la corruption endémique et de la destruction de l’environnement. Elle ne mentionnait pas le principal facteur intensifiant la crise du gouvernement – l’éruption des luttes de classe dans le cadre d’une poussée mondiale de la classe ouvrière au milieu de la dévastation causée par la pandémie de COVID-19.

Depuis 2018, le précédent gouvernement Sirisena-Wickremesinghe a été confronté à un mouvement croissant de la classe ouvrière contre ses mesures d’austérité. Aujourd’hui, les luttes de la classe ouvrière réapparaissent. Au cours des deux premières semaines d’avril, des milliers d’employés du secteur public, notamment dans l’éducation, la santé, l’eau, l’électricité et les banques, ont organisé des grèves ou des manifestations d’une journée pour réclamer des salaires plus élevés et de meilleures conditions.

En réponse, le régime Rajapakse intensifie sa campagne anti-tamoule et anti-musulmane pour diviser l’opposition. Vendredi, la police a arrêté cinq jeunes Tamouls, les accusant de chercher à «faire revivre le terrorisme», c’est-à-dire les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, mouvement séparatiste vaincu militairement en mai 2009. Plusieurs dirigeants musulmans ont été arrêtés en vertu de la loi draconienne sur la prévention du terrorisme.

Rajapakse a introduit au Parlement les recommandations de la commission présidentielle sur la persécution politique. Si elles sont adoptées, de nombreux membres du parti au pouvoir qui ont été condamnés ou qui font l’objet de poursuites judiciaires seront épargnés. Dans le même temps, ceux qui ont porté plainte contre les personnes dites «victimes», y compris les opposants politiques, seront poursuivis.

La semaine dernière, le ministre de la Justice a déclaré à Aruna qu’il soumettrait bientôt au cabinet un document sur de nouvelles lois de censure de grande envergure visant à limiter les «fausses nouvelles», notamment celles liées à la sécurité nationale, à la santé publique, à l’ordre public, aux finances de l’État et aux relations avec d’autres pays. Seront également interdites toutes les «fausses nouvelles» qui viseraient à saper la confiance dans les actions du gouvernement.

Les remarques d’Amunugama sont un avertissement que la classe dirigeante fait pression pour augmenter considérablement les mesures dictatoriales afin d’écraser l’opposition, en particulier dans la classe ouvrière. Cela fait partie de la promotion des forces d’extrême droite au niveau international, notamment le parti fasciste Alternative pour l’Allemagne et les groupes néonazis en Allemagne. Aux États-Unis, centre du capitalisme mondial, l’ancien président Donald Trump a fomenté un coup d’État fasciste le 6 janvier dans le but d’empêcher l’investiture de Joe Biden à la présidence.

(Article paru en anglais le 20 avril 2021)

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