Le projet de loi de Macron sur la « sécurité globale » adopté en France

Jeudi dernier, le 15 avril, l’Assemblée nationale a approuvé le projet de loi sur la «sécurité globale» du gouvernement Macron, qui étend considérablement les pouvoirs de la police. Le Sénat avait déjà approuvé cette loi en février; avec le vote de jeudi, elle entre maintenant en vigueur.

La loi déclenche des manifestations de masse depuis sa première présentation à l’Assemblée nationale en novembre de l’année dernière. Sa pièce maîtresse, l’article 24, restreint le droit de la population à filmer la police. Le gouvernement présente la loi au nom de la défense des policiers contre des attaques ciblées, mais son vrai objectif est clair: donner aux policiers – régulièrement filmés en train de commettre des attaques violentes contre des manifestants et des travailleurs – l’impunité pour agresser violemment la population en empêchant celle-ci de les filmer.

Face aux protestations de dizaines de milliers de gens, le gouvernement Macron s’était engagé à «réécrire» l’article 24. La nouvelle version ne mentionne plus explicitement le «partage d’images» d’agents de police. Au lieu de cela, elle criminalise tout acte qui «provoque, dans le but évident que leur sécurité physique et mentale fasse l’objet d’une atteinte, l’identification d’un agent de la police, de l’armée ou de la gendarmerie nationale alors qu’il agit dans le cadre d’une opération de police». La personne est passible d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.

Des manifestants tiennent des pancartes où l’on peut lire «Police floue, justice aveugle», contre la loi sur la sécurité globale nouvellement votée alors que le président Emmanuel Macron visite le siège de la police à Montpellier, lundi 19 avril 2021. (Guillaume Horcajuelo/pool photo via AP) [AP Photo/Guillaume Horcajuelo/pool]

En pratique, toute personne qui publie une vidéo identifiant un agent de police risque d’être poursuivie pénalement et c’est à elle qu’il incombera de démontrer qu’elle n’avait pas un «but évident» de provoquer une attaque contre un agent.

Les travailleurs et les jeunes, en France et à l’international, ont été indignés par les vidéos de la violence et de la brutalité de l’État français envers des manifestations pacifiques. En 2018, des millions de personnes ont vu les vidéos de la police antiémeute traînant des manifestants en travers de la route, tirant des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes, se servant de chiens d’attaque et de matraques contre les «gilets jaunes» qui s’opposaient aux inégalités sociales.

En novembre dernier, des centaines de milliers de personnes ont participé à des manifestations dans tout le pays en réponse à des incidents de brutalité policière filmés. Le 26 novembre, Loopsider a publié la vidéo d’une attaque policière brutale contre le producteur de musique Michel Zecler dans son studio d’enregistrement à Paris, où il a été tabassé pendant plus de 20 minutes. Ensuite on l’a jeté en prison pendant 48 heures et accusé à tort d’agression ; on ne l’a libéré qu’après qu’il ait présenté à la police les images de vidéosurveillance qui prouvaient ce qui s’était réellement passé.

La semaine suivante, la police a été filmée en plein déchaînement de violence sur la place de la République, dans le centre de Paris, tabassant les réfugiés qui y campaient pour protester contre le manque de logements et d’aides gouvernementales.

Le gouvernement Macron veut arrêter la diffusion de vidéos filmant la police car il est conscient de l’opposition explosive face à la répression exercée par son gouvernement contre la population travailleuse.

La loi de «sécurité globale» comprend d’autres mesures encore qui renforcent la police. Pour la première fois, elle autorise dans la législation l’utilisation de drones pour la surveillance policière, ce qui était déjà le cas dans la pratique. L’usage de drones est à présent autorisé pour surveiller toutes les manifestations. Les policiers doivent être équipés de caméras corporelles qui diffusent des vidéos en direct directement au quartier général.

La loi ne prévoit aucune restriction à l’utilisation des images de caméras corporelles par les technologies de reconnaissance faciale automatisée. En décembre dernier, le gouvernement Macron a promulgué une série de décrets exécutifs élargissant les conditions où la police pouvait collecter des fichiers détaillés sur la population, entre autre sur les opinions et activités politiques des citoyens. Il a supprimé une clause du règlement de police existant qui interdisait explicitement l’utilisation des fichiers de police par la technologie de reconnaissance faciale à grande échelle.

L’association de défense des libertés Quadrature du Net, notait à l’époque: «Si, via la loi de sécurité globale, tous les manifestants peuvent être filmés lors d’une manifestation, et […] qu’une grande partie d’entre eux peuvent être identifiés par la technologie de reconnaissance faciale, les [fichiers de police] ont déjà préparé pour eux un système complet de centralisation de toutes les informations les concernant ». Un juge n’aurait la possibilité ni d’autoriser ni de peser une telle surveillance.

En vertu de la loi sur la «sécurité globale», les policiers sont également autorisés à porter une arme sur eux à tout moment dans les lieux publics, comme les restaurants et les cinémas, y compris lorsqu’ils ne sont pas en service.

Dans une interview accordée au quotidien de droite Le Figaro dimanche, Emmanuel Macron a déclaré qu’il tiendrait sa promesse électorale de créer 10.000 nouveaux postes dans la police avant la fin de son quinquennat l’année prochaine. «Chaque Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu’en 2017», a-t-il déclaré.

Le vote de l’Assemblée nationale approuvant la loi d’État policier de Macron est intervenu alors que le décompte officiel, sous-estimé, des décès dus au coronavirus en France dépassait les 100.000. Ces morts en masse sont le résultat de la politique menée par Macron. Celui-ci a refusé toute politique scientifique de confinement nécessitant la fermeture de la production non essentielle. On a gardé ouverts écoles et lieux de travail non essentiels pour que les travailleurs puissent rester au travail et que les profits continuent de monter pour les grandes sociétés françaises.

Parallèlement à cette mort à grande échelle, l’année a vu s’enrichir une minuscule élite patronale. Ses 42 milliardaires possèdent désormais une richesse combinée de 512,2 milliards de dollars, après une augmentation de plus de 66 pour cent en une seule année. La classe dirigeante française voit avec crainte l’éruption de la colère sociale face à sa politique consistant à profiter de la mort en masse et elle développe contre elle les forces répressives de l’État.

Le Parti socialiste, les Verts et la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon se sont tous posés frauduleusement en opposants de la loi policière de Macron. Le Parti socialiste a annoncé qu’il allait lancer un recours juridique contre l’ensemble du projet de loi.

Lorsqu’il était au pouvoir sous François Hollande, le Parti socialiste a considérablement étendu les pouvoirs de la police, notamment en promulguant sous Hollande un état d’urgence de deux ans et la suspension des libertés civiles, votés à l’époque par La France Insoumise de Mélenchon. La loi de «sécurité globale» de Macron étend les pouvoirs de la police dans la ligne déjà suivie sous Hollande, avec le soutien de La France Insoumise.

(Article paru d’abord en anglais le 20 avril 2021)

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