La débâcle du programme canadien de vaccination est un facteur contributif clé de la troisième vague de COVID-19

Le dysfonctionnement persistant de la campagne canadienne de vaccination contre la COVID-19 menace de contribuer à une augmentation du nombre de décès, alors qu’une troisième vague de la pandémie, alimentée par de nouveaux variants plus contagieux et plus mortels, déferle sur le pays.

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, s’oppose catégoriquement à la fermeture des écoles et des lieux de travail non essentiels. (Source: gouvernement de l’Ontario)

L’absence d’inoculation à grande échelle contre le virus associée au rejet par l’élite dirigeante des mesures de santé publique nécessaires pour stopper sa propagation font que la troisième vague se propage beaucoup plus rapidement que les deux précédentes. En conséquence, le système de santé canadien, en particulier en Ontario, est au bord de l’effondrement.

Les unités de soins intensifs des hôpitaux de l’Ontario sont déjà soumises à de fortes pressions, les patients qui ont besoin d’un respirateur étant déplacés vers des villes situées en dehors des foyers épidémiques afin de réduire la pression. Les chiffres présentés au gouvernement de l’Ontario prévoient, dans le pire des cas, jusqu’à 18.000 infections par jour et 1800 patients dans les unités de soins intensifs d’ici la fin du mois prochain.

Les réserves de tocilizumab, un anti-inflammatoire qui réduit le taux de mortalité chez les patients gravement malades atteints de la maladie de COVID-19, sont si faibles que la Table consultative scientifique sur la maladie de COVID-19 a recommandé à la province de se préparer à utiliser une loterie pour déterminer qui l’obtiendra, c’est-à-dire qui aura une chance de vivre et qui sera laissé pour mort.

La médecin en chef du Canada, Theresa Tam, a admis que la propagation de la maladie va plus vite que le déploiement du vaccin. En fait, la campagne de vaccination fonctionne à peine à la moitié de sa capacité, selon un reportage de Ipolitics. Seulement 1,8 million de personnes ont été vaccinées au cours des sept jours précédant le 20 avril, soit 58 % des 3,1 millions de vaccins hebdomadaires qui auraient pu être administrés.

Mardi, moins de 25 % des Canadiens avaient reçu une première dose, et seulement 2,13 % étaient complètement vaccinés au 16 avril, date la plus récente pour laquelle des statistiques officielles sont disponibles.

Ayant dû abandonner leur calendrier initial de dosage du vaccin, les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada ont opté pour une stratégie consistant à porter à quatre mois le délai entre la première et la deuxième dose requises, dans l’espoir de fournir à chaque Canadien une dose unique plus rapidement et de réduire ainsi le taux de cas graves et d’hospitalisations.

Selon les lignes directrices publiées par le Comité consultatif national de l’immunisation, le long délai dans l’administration de la deuxième dose devrait s’appliquer à tous, sauf à ceux qui présentent des conditions particulières, comme un diagnostic de cancer, qui les rendraient plus vulnérables.

Au début du mois, la ministre des Services publics et de l’approvisionnement, Anita Anand, a promis une augmentation de l’approvisionnement en vaccins qui aiderait à augmenter les taux de vaccination. Cette annonce a subi un coup dur lorsque Moderna a réduit de moitié son approvisionnement au Canada pour le mois d’avril et a déclaré que certaines des doses qu’elle avait l’intention de livrer au deuxième trimestre de 2021 ne seront disponibles qu’au troisième trimestre.

Bien que Pfizer ait pu couvrir une partie de ce déficit en augmentant les approvisionnements au cours des prochaines semaines, à partir d’un niveau initialement annoncé d’un million de doses par semaine jusqu’à la fin du mois de mai, l’afflux de vaccins tant annoncé ne se produit manifestement pas. La décision de la Food and Drug Administration américaine de suspendre l’approbation du vaccin à dose unique de Johnson & Johnson a ajouté un nouvel obstacle au programme de vaccination du Canada.

Le premier ministre Justin Trudeau a affirmé que tous les Canadiens qui souhaitent se faire vacciner auront pu recevoir une première dose d’ici la fin de l’été. Selon l’Agence de la santé publique du Canada, 60 % des personnes de 60 ans et plus ont reçu à ce jour au moins une dose.

La mise en place désordonnée du vaccin a donné lieu à d’âpres récriminations entre les différents niveaux de gouvernement. Cherchant à détourner l’attention de leur propre rôle dans la réouverture prématurée et meurtrière de l’économie et des écoles, les premiers ministres Ford, Moe et Kenney, respectivement de l’Ontario, de la Saskatchewan et de l’Alberta, ont tous critiqué Ottawa pour ne pas avoir fourni suffisamment de vaccins aux provinces et ne pas avoir respecté son calendrier d’approvisionnement. Le gouvernement libéral a répondu en soulignant l’incapacité des provinces à administrer aux gens les doses dont elles disposent.

Le problème fondamental qui mine le programme de vaccination est le système capitaliste mondial anarchique et le nationalisme des vaccins qu’il engendre. Tous les approvisionnements en vaccins du Canada sont importés de l’étranger, des États-Unis, de l’Europe et de l’Inde. Les contrats signés avec les fabricants ont permis à ces derniers de retarder les expéditions, car les livraisons étaient prévues pour certains trimestres financiers et non pour des dates précises. Les fabricants ont eu du mal à suivre le rythme des commandes car ils ont refusé d’investir suffisamment tôt dans l’expansion des installations de production, et l’UE et l’Inde ont imposé ou menacé d’imposer des restrictions à l’exportation.

Le ministre des Services publics et de l’approvisionnement, Anand, a affirmé que le gouvernement allait diversifier ses sources d’approvisionnement, et Ottawa a maintenant lancé à la hâte un projet visant à établir une capacité de fabrication nationale, la construction d’une installation de production de vaccins à ARNm au Québec étant en cours. Cependant, il faudra de nombreux mois avant que cette installation ne commence à produire en masse des vaccins contre la COVID-19.

Ottawa s’est tourné vers le programme de partage de vaccins COVAX de l’Organisation mondiale de la santé, en acceptant ses premières livraisons de lots du vaccin d’AstraZeneca fabriqué en Corée du Sud. Cette décision a suscité de nombreuses critiques à l’encontre du gouvernement canadien pour avoir eu recours à un programme conçu pour atténuer la disparité en matière de vaccins entre les pays riches et les pays pauvres. Le Canada est le seul pays du G7 à avoir reçu des fournitures de COVAX à ce jour. En même temps, le Canada s’est joint aux États-Unis et aux puissances impérialistes européennes pour refuser la levée des brevets des géants pharmaceutiques qui permettrait la fabrication en masse de vaccins génériques pour l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine.

Le recours du gouvernement Trudeau à COVAX est un aveu tacite qu’après des années d’austérité brutale et de négligence délibérée de la part de tous les partis politiques, le système de soins de santé délabré du Canada ne vaut guère mieux que ceux des pays moins développés. L’infrastructure de santé publique nécessaire pour coordonner un déploiement massif de vaccins, sans parler des laboratoires financés par l’État pour développer, tester et produire des vaccins, est inexistante. Même les commentateurs de la presse bourgeoise ont été forcés de constater les conséquences dévastatrices de la décision de privatiser des ressources de santé inestimables financées par l’État, comme les laboratoires Connaught, qui étaient autrefois un leader mondial dans la recherche et le développement de vaccins.

Malgré les appels lancés en faveur de programmes nationaux de surveillance numérique à la suite de l’épidémie de SRAS en 2003, peu de choses sont en place pour permettre la communication entre les différents niveaux de gouvernement et avec les pharmacies locales qui administrent bon nombre des vaccins. Il ne s’agit là que de la conséquence la plus directe, pour le déploiement des vaccins, du refus conscient de l’élite dirigeante canadienne de tirer les leçons de l’épidémie de SRAS de 2003, qui a donné lieu à une série de recommandations politiques exhaustives visant à se préparer à une pandémie de type coronavirus, qui était à la fois prévisible et prévue.

Au lieu de cela, l’ensemble de l’establishment politique, des néo-démocrates aux conservateurs, a donné la priorité à l’équilibre budgétaire, à l’austérité des dépenses publiques et aux allégements fiscaux pour les banques et les super-riches. (Voir: L'épidémie de SRAS de 2003: comment l'élite canadienne a gâché une occasion de se préparer à la pandémie de COVID-19)

Les résultats désastreux de décennies de sous-financement des soins de santé et des services sociaux trouvent une expression particulièrement grotesque dans la négligence des communautés à faible revenu et de la classe ouvrière dans le déploiement du vaccin, même si ces communautés sont touchées de manière disproportionnée par la COVID-19.

Une étude de l’Institut de recherche en services de santé (Institute for Clinical Evaluative Sciences) a révélé que les quartiers à revenu élevé ont reçu le vaccin à des taux beaucoup plus élevés que les quartiers à faible revenu dans les régions de Toronto et de Peel, malgré la plus grande proportion de cas et de décès dans les zones à faible revenu. Les pharmacies qui administrent les vaccins sont plus susceptibles d’être situées dans les communautés plus riches.

Les populations immigrées plus âgées, confrontées à des barrières linguistiques et ne maîtrisant pas l’informatique, sont également désavantagées pour s’inscrire au vaccin. Une enquête de la CBC a révélé que si 43 % des pharmacies de détail dans les 10 quartiers où les taux d’infection par la COVID-19 sont les plus faibles en Ontario administrent les vaccins, seulement 19 % des pharmacies dans les 10 zones où les taux d’infection sont les plus élevés le font. Deux quartiers très pauvres du nord-ouest de Toronto, Maple Leaf et Humbermede, n’ont pas une seule pharmacie qui administre des vaccins.

Cela reste le cas malgré les preuves que ces quartiers sont peuplés de travailleurs essentiels et de familles multigénérationnelles qui sont décimés par le coronavirus. Un médecin d’un hôpital de Toronto a récemment décrit ses patients de l’unité de soins intensifs en ces termes: «Ce ne sont pas des gens qui désobéissent aux règles. Ce sont des gens qui essaient de gagner leur vie et qui n’ont pas bénéficié de la protection nécessaire pour minimiser leur risque d’exposition.»

Le fait que la COVID-19 soit devenue une «maladie du pauvre» est le résultat d’une politique délibérée de la classe dirigeante qui permet au virus de se propager librement, dans l’intérêt du maintien des profits des grandes entreprises. De leur point de vue, la politique de réouverture meurtrière a été un succès car elle a permis aux profits de continuer à affluer alors que les cadavres s’empilaient. Statistique Canada a récemment indiqué que l’économie avait créé 300.000 emplois en mars et qu’elle était en passe de récupérer toutes les pertes subies lors de l’épidémie initiale. Les récentes «fermetures» inadéquates sont des tentatives de prévenir tardivement l’effondrement du système de soins de santé et, surtout, une explosion de résistance aux politiques de la classe dirigeante parmi les travailleurs.

Pour leur part, les sociétés pharmaceutiques transnationales ont utilisé la pénurie de vaccins pour critiquer les réglementations qui limitent les prix des médicaments au Canada et qui, selon elles, ont réduit leurs profits et incité à délocaliser la production à l’étranger.

Les États-Unis, motivés par leur désir de rouvrir leur frontière avec le Canada, pourraient bientôt exporter des vaccins vers leur voisin du nord. Malgré d’énormes problèmes dans leur propre campagne de vaccination, les taux de vaccination américains sont bien plus élevés que ceux du Canada – un tiers de tous les adultes sont entièrement vaccinés – et les États-Unis devraient bientôt avoir un excédent de vaccins. Pour la première fois depuis le début de la pandémie, le taux d’infection à la COVID-19 au Canada a dépassé celui des États-Unis, qui ont longtemps été l’épicentre mondial de la pandémie.

Les questions entourant le vaccin Oxford-AstraZeneca, qui ont été exacerbées par les rivalités géopolitiques et la concurrence impitoyable pour contrôler le marché des vaccins contre le coronavirus, ont aggravé la débâcle vaccinale du Canada. Les nouvelles directives du gouvernement demandent aux Canadiens de moins de 55 ans de ne pas prendre le vaccin en raison de son lien potentiel avec des cas de coagulation sanguine, malgré l’extrême rareté de ces cas. Cependant, face à une augmentation spectaculaire des infections et des rapports de doses AstraZeneca inutilisées, l’Ontario, l’Alberta, la Colombie-Britannique et le Manitoba ont abaissé le seuil d’utilisation du vaccin à 40 ans. Les inquiétudes suscitées par le vaccin AstraZeneca contribuent maintenant à sa faible adoption par les personnes qui ne font pas partie du groupe d’âge à risque.

Dans le même temps, les personnes âgées de moins de 55 ans ou de 40 ans dans certaines provinces qui ont reçu le vaccin avant le changement de directive doivent maintenant passer à un autre vaccin pour leur deuxième dose, ce qui réduit encore les stocks et soulève la question de l’efficacité des dosages mixtes, pour laquelle il n’y a pas encore eu suffisamment de recherches. L’Agence européenne du médicament a déclaré que les effets secondaires associés au vaccin sont extrêmement rares et que ses avantages l’emportent sur ses risques.

Le déploiement désastreux du vaccin témoigne de l’impossibilité d’organiser une réponse rationnelle à la pandémie sur la base du système de profit capitaliste, qui donne la priorité aux profits des géants pharmaceutiques et aux intérêts géopolitiques et économiques des élites nationales rivales sur la protection des vies humaines.

Plutôt que d’utiliser les formidables avancées scientifiques que représentent les vaccins pour freiner la propagation de la pandémie et sauver des vies, l’élite dirigeante du Canada, comme ses homologues du monde entier, utilise les vaccins comme argument pour démanteler toutes les mesures de santé publique restantes.

Pour vaincre la pandémie, il faut une intervention unie de la classe ouvrière pour défendre les vies plutôt que les profits, et pour obtenir une réponse scientifiquement informée à la production et à la distribution des vaccins. Seule une perspective socialiste internationaliste peut fournir la base d’un tel mouvement politique.

(Article paru en anglais le 21 avril 2021)

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