Alors que la Russie et l’Ukraine, alliée aux États-Unis, sont au bord de la guerre, le président russe Vladimir Poutine a averti dans son discours annuel à la nation mercredi que «les organisateurs de quelque provocation que ce soit, menaçant les intérêts fondamentaux de notre sécurité, regretteront ce qu’ils ont fait comme ils n’ont pas regretté depuis longtemps».
Il a affirmé que jusqu’à présent, Moscou avait tempéré sa réponse aux «actions inamicales» des nations étrangères et continuait de rechercher des relations saines avec ces puissances et a ajouté: «Nous ne voulons vraiment pas brûler les ponts. Mais si quelqu’un interprète nos bonnes intentions comme de l’indifférence ou de la faiblesse et qu’il a lui-même l’intention de brûler ou même de faire sauter ces ponts. Il doit savoir que la réponse de la Russie sera asymétrique, rapide et dure».
Pendant des années, les États-Unis, soutenus par leurs alliés de l’OTAN, ont mené une campagne férocement anti-russe. Celle-ci comprenait l’installation de gouvernements fidèles à Washington dans l’ancienne sphère soviétique, l’expansion de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie, et l’imposition de sanctions destinées à paralyser l’économie du pays. On lança aussi des accusations sans fin que Vladimir Poutine était responsable de tout, de l’ingérence dans les élections américaines, de tentatives de cyberattaques contre les infrastructures américaines et de meurtres.
Actuellement, le gouvernement ukrainien, armé jusqu’aux dents par Washington, intensifie ses attaques contre les forces alliées à la Russie dans les républiques séparatistes de l’est du pays. Il a déclaré son intention de reprendre la Crimée, la péninsule de la mer Noire annexée par la Russie en 2014 après qu’un coup d’État ait porté au pouvoir en Ukraine un gouvernement d’extrême droite anti-russe. La population de Crimée a voté massivement en faveur de l’adhésion à la Fédération de Russie.
Alors que Poutine s’adressait à la nation mercredi, des informations ont émergé que Kiev déplacait des divisions de chars et des brigades militaires vers la frontière de la Crimée. Le discours de Poutine met en évidence les dangers liés à de telles actions. «J’espère que personne n’a en tête l’idée de franchir, comme on dit, une ligne rouge dans sa relation avec la Russie. Où se trouve cette ligne rouge, nous le déterminerons nous-mêmes dans chaque cas concret», a déclaré le président russe.
Poutine a dénoncé les efforts visant à renverser le gouvernement d’Alexandre Loukachenko, allié de la Russie, en Biélorussie et à tuer le chef de l’État et sa famille. Minsk vient d’annoncer l’arrestation à Moscou de conspirateurs accusés de comploter contre la vie du président Loukachenko et de ses enfants. Poutine a qualifié ces méthodes d’inacceptables et les a comparées à l’éviction de Viktor Ianoukovitch en Ukraine, orchestrée par les États-Unis, et à la tentative de meurtre de Nicolas Maduro au Venezuela. Les liens des auteurs de la tentative d’assassinat contre Maduro ont été définitivement prouvés.
Néanmoins, le chef du Kremlin n’a fait aucune mention dans son discours des derniers développements en Ukraine. Et plus tard dans la journée, le porte-parole du gouvernement, Dmitri Peskov, a indiqué que Poutine examinerait la déclaration du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, dans l’après-midi, qu’il était disposé à engager des pourparlers avec la Russie. Bien qu’il ait fait une démonstration de force en amassant des troupes à sa frontière ukrainienne, le Kremlin est conscient que la situation pourrait devenir totalement incontrôlable et que son armée s’avérerait incapable de gérer une situation qui attirerait les puissances impérialistes, surtout les États-Unis et l’Allemagne, qui deviendrait un bain de sang et une poudrière d’intérêts divergents.
Dans ses remarques d’hier, Poutine n’a pas non plus mentionné Alexei Navalny, le chauvin d’extrême droite anti-immigration devenu «démocrate», champion de la «lutte contre la corruption» et «combattant de la liberté», devenu une cause célèbre pour Washington, Berlin et les médias bourgeois de l’Ouest. Les manifestations nationales organisées par les partisans de Navalny pour coïncider avec le discours du président russe n’ont attiré que de petites foules hier. Le gouvernement a arrêté de nombreux organisateurs de manifestations pour avoir tenu des réunions non autorisées.
Alors même qu’il fait face à une grave crise géopolitique à l’ouest de la Russie, le président russe a consacré plus de 80 pour cent de son discours à des questions intérieures, notamment le coronavirus et l’économie.
Il a promis un versement unique de 10.000 roubles (130 dollars) pour chaque enfant d’âge scolaire de chaque famille russe. Il a annoncé des allocations mensuelles de 5.650 roubles (73 dollars) pour les familles monoparentales et de 6.350 roubles (83 dollars) pour les femmes pauvres et enceintes. Il a proposé une couverture salariale à 100 pour cent pour les parents qui quittent leur travail pour s’occuper d’un enfant malade de moins de sept ans.
On prévoyait de prolonger les autoroutes, de poursuivre les remboursements partiels des frais de séjour dans les stations thermales et les sanatoriums, d’accorder des aides financières et d’alléger la dette des régions. La crise du marché du travail, qui a entraîné des licenciements massifs, devait soi-disant être résolue d’ici la fin de l’année. D’ici 2030, l’espérance de vie moyenne en Russie passerait à 78 ans. Poutine a remercié les médecins, soignants et scientifiques qui luttent contre le COVID-19 et exhorté les citoyens à se faire vacciner. Il a fait ce genre de promesses sociales limitées maintes fois auparavant, sans qu’aucune ou presque ne soit réalisée.
En outre, si l’on considère l’état de la société russe, tout cela ne représente pas grand-chose. Si le lancement d’une vaccination de masse a fait descendre le nombre des cas quotidiens de coronavirus de leur pic de 10.000 cas du début de l’année, l’agence russe pour les droits des consommateurs vient de déclarer «instable» la situation du COVID-19 dans le pays. Les nouvelles infections continuent à osciller entre 8.000 et 9.000 par jour. Le bilan officiel de plus de 105.000 morts est largement considéré comme une grossière sous-estimation. En outre, malgré les efforts considérables déployés, l’hésitation à se faire vacciner – une expression du manque de confiance dans le gouvernement Poutine – reste un problème. Le pays a administré un peu plus de 16,5 millions de doses de vaccin, soit 5,7 pour cent de la population entièrement vaccinés.
Les familles ne sont toujours pas remises de la baisse officielle de 4,8 pour cent des revenus réels en 2020. Le salaire mensuel moyen est de 51.100 roubles (667 dollars). Il ne permet ni de faire face aux dépenses de base ni de couvrir les coûts de la hausse des prix des produits de base ; le résultat étant que l’endettement des ménages a augmenté. Les experts prévoient que les faillites personnelles atteindront 178.500 d’ici la fin 2021, contre 119.000 en 2020. Et si les mesures de relance liées au COVID-19 ont empêché certaines familles avec enfants de sombrer dans la pauvreté en 2020, le taux de pauvreté des ménages sans enfant a doublé depuis le début de la pandémie.
La semaine dernière, le site Gazeta.Ru a publié un rapport détaillant les revenus des responsables du gouvernement. Le premier ministre Mishustin a gagné officiellement 260.800 dollars (20 millions de roubles) et son épouse 834.560 dollars (64 millions de roubles). Le ministre de l’Industrie et du Commerce, Denis Manturov, a vu ses revenus augmenter de 27 pour cent pour atteindre presque 2 millions de dollars (154 millions de roubles). Presque rien comparé aux richesses contrôlées par les oligarques. Les dix Russes les plus riches possédaient eux, en 2020 une richesse combinée de 151,6 milliards de dollars.
(Article paru d’abord en anglais le 22 avril 2021)