Il est à craindre que jusqu'à 130 demandeurs d'asile se soient noyés après que leur canot pneumatique fragile ait chaviré jeudi en Méditerranée au large des côtes de la Libye. Des navires de sauvetage d'ONG arrivant sur les lieux ont rapporté avoir vu de nombreux corps flottant autour de l'embarcation retournée, qui transportait environ 130 personnes.
Cette tragédie est la dernière d'une liste incessante de noyades qui ont été délibérément encouragées par les gouvernements européens afin de décourager la migration vers l'Europe.
Le premier contact avec le canot en détresse a été signalé le 21 avril par l'organisation bénévole Alarm Phone, qui a alerté le groupe humanitaire européen SOS Méditerranée de la présence de trois bateaux en difficulté dans une mer agitée au large des côtes libyennes.
Alarm Phone a publié une chronologie qui établit le rôle criminel des autorités européennes, y compris la force de protection des frontières de l'UE, Frontex, dans ces dernières noyades. Après avoir pris contact avec le canot, Alarm Phone a transmis à plusieurs reprises sa position GPS aux autorités européennes et libyennes. La seule réponse a été l'envoi d'un avion de surveillance Frontex, sept heures après la première alarme déclenchée par Alarm Phone.
L'avion de Frontex a trouvé le bateau et a contacté les autorités européennes compétentes, qui ont rejeté toute responsabilité d'entreprendre une opération de sauvetage et ont plutôt renvoyé la responsabilité à la Libye, déclarant que ce pays déchiré par la guerre était l'autorité « compétente ». De son côté, les garde-côtes libyens ont refusé de coordonner toute opération de sauvetage, laissant les réfugiés mourir après avoir dérivé dans une mer agitée. Un deuxième bateau a été intercepté par les garde-côtes libyens, et plus de 103 personnes ont été renvoyées en Libye «et arrêtées». Une mère et son enfant ont été retrouvés morts à bord de cette embarcation.
La Commission des droits de l'homme des Nations Unies a récemment appelé à mettre fin à la pratique du retour des réfugiés en Libye, à la suite de nombreuses informations faisant état de tortures et de meurtres ainsi que de ventes de réfugiés en esclavage. Un troisième bateau, estimé porter environ 40 personnes à bord, n'a pas été repéré.
Faisant référence aux victimes du canot chaviré, Alarm Phone a conclu: «Les personnes auraient pu être secourues mais toutes les autorités les ont sciemment laissées mourir en mer.»
Selon l'International Migration Organisation (IOM), plus de 16.700 personnes ont essayé de traverser la Méditerranée depuis le début de cette année. Environ 750 sont mortes, dont les victimes de l'incident de jeudi, et plus de 500 se sont noyées sur la soi-disant route maritime de la Méditerranée centrale. Ce chiffre est presque trois fois supérieur au total pour la même période l'an dernier.
Dans le même temps, ces chiffres sont probablement une sous-estimation importante du nombre total de personnes mortes en mer en tentant d'atteindre l’Europe. Les gouvernements de l'UE n'ont pas seulement retiré leurs propres navires de sauvetage de la région, ils sabotent activement les opérations de sauvetage menées par des organisations de volontaires avec des bateaux en Méditerranée.
En particulier, les autorités italiennes et maltaises ont visé à empêcher les navires de sauvetage transportant des migrants secourus d'entrer dans leurs ports. Lorsque certains navires de sauvetage accostaient malgré tout, les navires étaient confinés dans les ports en attendant une action en justice contre le capitaine et l’équipage. Des dizaines d'enquêtes ont été ouvertes par des procureurs italiens contre des ONG ces dernières années. En conséquence, pendant des mois entiers l'année dernière, aucun navire de sauvetage d'ONG n'a été signalé en mer. Cela signifie qu'il est hautement probable que de nombreuses autres victimes de la politique criminelle de l'UE contre les migrants ne soient pas dénombrées.
Le Missing Migrants Project (Projet de Migrants disparus) estime que les corps de 14000 humains sont portés disparus en mer Méditerranée. Au moins 1000 personnes ont disparu dans l'océan Atlantique, le long de la route maritime très dangereuse choisie par les migrants désespérés qui tentent de traverser depuis l'Afrique jusqu’aux îles Canaries.
COVID-19 et flux migratoires
La pandémie de COVID-19 a encore intensifié la crise pour les migrants fuyant la faim, la répression politique, la guerre et les conséquences du changement climatique dans leur pays d'origine. L'année dernière, l'Italie et Malte ont déclaré que leurs ports étaient dangereux pour les navires transportant des migrants. Initialement en 2020, alors que les gouvernements fermaient leurs frontières à la suite de la pandémie de coronavirus, les niveaux de migration vers l'Europe avaient chuté, mais il y a de nombreuses indications que, à mesure que la crise sanitaire et économique s'aggrave en Asie et en Afrique, de plus en plus de demandeurs d'asile risquent leur vie pour parvenir jusqu’en Europe.
Un rapport publié fin mars par l'agence des Nations Unies pour les migrations indiquait que les arrivées de migrants aux îles Canaries avaient augmenté de 750 pour cent l'année dernière. Les chiffres augmentaient avant la pandémie, mais le COVID-19, indique le rapport, semble avoir «agi comme un multiplicateur des facteurs existants motivant la migration sur cette route».
Le rapport note que de nombreux migrants ont travaillé dans des secteurs tels que la pêche et l'agriculture qui ont beaucoup souffert des conséquences économiques de la pandémie.
Une autre conséquence de la pandémie est une baisse importante du montant d'argent que les travailleurs migrants envoient chez eux. Les travailleurs migrants dans les pays européens sont les plus susceptibles d'avoir été les premiers à avoir perdu leur emploi et / ou leur vie à cause de la pandémie. Le Migration and Development Brief publié par la Banque mondiale estime que les flux d'argent des migrants des pays plus riches vers le pays d'origine des migrants diminueront de 14 pour cent en 2021 par rapport aux niveaux pré-COVID-19 en 2019.
La misère croissante des familles des pays les plus pauvres qui dépendent de ces flux d’argent ne fera qu’accroître la pression exercée sur les jeunes à charge pour tenter la périlleuse traversée maritime vers l’Europe. Le nombre impressionnant de morts de migrants en Méditerranée et en Atlantique au cours des deux dernières décennies doit être ajouté au casier judiciaire des élites dirigeantes en Europe, qui ont si imprudemment sacrifié des vies humaines au cours de la pandémie.
(Article paru en anglais le 27 avril 2021)