Politiques raciales et autres problèmes à la 93e cérémonie des Oscars

La cérémonie de remise des Oscars de dimanche soir s’est distinguée à la fois parce qu’elle s’est déroulée au beau milieu d’une pandémie catastrophique, qui a été à peine mentionnée, et parce que les organisateurs ont fait tout leur possible pour que les questions raciales et de genre dominent toute l’affaire du début à la fin – et fort heureusement pas toujours avec succès. Cet élément de la diffusion en particulier laisse un arrière-goût nettement désagréable. En même temps toutefois, un certain nombre de jeux d’acteurs et de films dignes d’intérêt ou intéressants ont également été récompensés.

Nomadland

Les médias américains s’accordent désormais presque tous à dire que le succès ou l’échec de l’événement annuel est directement lié au nombre de lauréats noirs, de sexe féminin ou asiatiques. Cette situation crée une atmosphère déplorable et avilie. La qualité artistique ou la signification sociale ne méritent guère de référence. Dès que les électeurs de l’académie résistent au système de facto de quotas raciaux et de genre (bientôt codifié), ils subissent de vives critiques et sont soumis à la censure. Voyons plus en détail ce problème.

La cérémonie du 25 avril – produite par Steven Soderbergh, Jesse Collins et Stacey Sher et dirigée par Glenn Weiss – s’est déroulée dans deux lieux différents de Los Angeles, la participation étant limitée aux nominés et à leurs invités. Nomadland a remporté le prix du Meilleur film et sa réalisatrice, Chloé Zhao, d’origine chinoise, a gagné le prix de la Meilleure réalisation, la deuxième femme à recevoir ce prix et la première «femme de couleur». Frances McDormand a remporté son troisième prix de Meilleure actrice pour le même film.

Les acteurs britanniques Anthony Hopkins (The Father, (v.f. Le père) Florian Zeller), 83 ans, et Daniel Kaluuya (Judas and the Black Messiah, Shaka King) ont remporté respectivement les prix du Meilleur acteur et du Meilleur acteur dans un second rôle, tandis que l’actrice sud-coréenne de grande expérience Yuh-Jung Youn (Minari, Lee Isaac Chung), 73 ans, a obtenu le prix de la Meilleure actrice dans un second rôle. Le prix du Meilleur scénario original est revenu à Emerald Fennell pour Promising Young Woman (v.f. Une jeune femme pleine de promesses) (également réalisé par Fennell). Soul (v. f. Âme) a remporté les prix du Meilleur film d’animation et de la Meilleure musique de film. The Father a remporté le prix du Meilleur scénario adapté (Christopher Hampton et Zeller).

Judas and the Black Messiah

Mank, de David Fincher, qui porte sur l’écriture de Citizen Kane, nommé dans dix catégories, a remporté deux prix, ceux des Meilleurs décors et direction artistique et Meilleure photographie. Ma Rainey’s Black Bottom (George C. Wolfe) a remporté les prix Meilleurs costumes et Meilleurs maquillages et coiffures, tandis que Sound of Metal (Darius Marder) a remporté les prix du Meilleur montage et du Meilleur son. Le film danois Another Round (v.f. Alcootest) (Thomas Vinterberg) a remporté le prix dans la catégorie Meilleur film international.

Nomadland, qui suit un certain nombre d’Américains âgés contraints de prendre la route dans leur véhicule récréatif à la suite du krach de 2008, comporte des éléments décents et émouvants. Dans notre critique, nous avons noté que le film «alterne entre une critique implicite des conditions déplorables qu’il aborde et une célébration inappropriée de la résilience, de la 'ténacité' et du style de vie 'pionnier' des nomades, cette dernière approche l’emportant malheureusement.»

Dans les commentaires de Zhao et d’autres personnes liées au film, on ne pourrait pas discerner le moindre lien entre les conditions économiques difficiles auxquelles sont confrontées de larges couches de la population et le produit fini. Nomadland est le genre d’œuvre généralement bien intentionnée, mais relativement édentée, contenant une bonne dose de vœux pieux, et qui a tendance à plaire aux électeurs des académies.

Le Meilleur film de l’année dernière, et de loin, The Mauritanian (v.f. Le Mauritanien) (Kevin Macdonald), n’a reçu aucune nomination. Le film le plus réussi artistiquement, Minari, a perdu dans les catégories les plus importantes, tout comme le film le plus percutant politiquement, Judas and the Black Messiah (v.f. Judas et le Messie noir). Néanmoins, ces deux films ont obtenu un certain degré de reconnaissance, tout comme, de façon tout à fait honorable, Sound of Metal, The Father, Ma Rainey’s Black Bottom, Soul et même Mank.

En ce sens, l’atmosphère de la cérémonie de remise des prix était, pour la plupart, pire que les films eux-mêmes (à l’exception notable de l’affreuse et prétentieuse fantaisie de vengeance féministe, Promising Young Woman, la seule procédure opérationnelle normalisée de la brigade #MeToo).

The Father

L’actrice et réalisatrice Regina King (One Night in Miami) a commencé la soirée en évoquant brièvement la pandémie de la COVID-19 et l’incidence des meurtres commis par la police. En ce qui concerne la violence policière, elle a adopté l’approche commune à ce milieu de la classe moyenne supérieure, selon laquelle il s’agit d’un problème qui ne touche que les Afro-Américains, affirmant qu’«en tant que mère d’un fils noir, je connais la peur avec laquelle tant de personnes vivent. La célébrité ou la fortune n’y changent rien».

Les meurtres policiers seront évoqués à plusieurs reprises au cours de la soirée, mais toujours en termes exclusivement raciaux. En recevant le prix du Meilleur court métrage de fiction pour Two Distant Strangers, le coréalisateur Travon Free a par exemple fait remarquer: «Aujourd’hui, la police va tuer trois personnes. Et demain la police tuera trois autres personnes et le jour suivant, la police va tuer encore trois personnes parce qu’en moyenne, la police aux États-Unis tue chaque jour trois personnes. Ce qui revient à environ 1000 personnes de tuées par année. Et ces personnes sont, de manière disproportionnée, des Noirs.» Logiquement, ces «personnes» doivent aussi inclure des centaines de Blancs et d’autres personnes, mais Free n’a pas voulu en parler.

Quelques-uns des lauréats ont fait des commentaires décents et humains. Pete Docter, coréalisateur de Soul, a souligné que le personnage principal de son film était «un professeur de musique». Nous voulons remercier les professeurs de musique et d’art du monde entier. Vous... vous faites du monde un endroit meilleur. Et mon souhait pour nous tous ce soir est que nous puissions suivre l’exemple des musiciens de jazz qui, où que nous soyons, et quoi qu’il nous arrive, nous le transformons en quelque chose de beau.» Zhao a parlé avec sincérité, affirmant que «les gens à la naissance sont intrinsèquement bons… Même si parfois on peut penser que le contraire est vrai. Mais j’ai toujours trouvé de la bonté chez les gens que j’ai rencontrés, partout où je suis allé dans le monde.»

Yuh-Jung Youn dans Minari

La meilleure déclaration de la soirée a été faite par la Sud-Coréenne Yuh-Jung Youn, dans ses commentaires aux médias après la remise des prix. Répondant aux questions incessantes sur l’importance de sa victoire en tant que «femme asiatique» et s’exprimant dans son anglais limité, Youn a quand même été assez claire. Elle a dit que «nous devrions nous apprécier les uns les autres» et que ce n’est pas une bonne idée de «diviser» les gens. «La couleur de la peau n’a pas d’importance. Le sexe n’a pas d’importance... Je ne sais pas comment diviser – diviser comme vous, vous savez, entre hommes et femmes, noirs et blancs, jaunes ou bruns, ou selon l’orientation sexuelle, vous savez, gay ou hétéro ou quelque chose comme ça. Je ne veux pas de ces choses-là. Nous sommes simplement tous des êtres humains égaux. Nous avons tous un cœur chaleureux.»

Ce n’est certainement pas ainsi que le New York Times voit les choses. Dans son compte rendu de la cérémonie, il note avec approbation qu’à bien des égards, «la 93e cérémonie des Oscars s’est résumée à une célébration de la diversité, une question sur laquelle l’Académie des arts et des sciences du cinéma a mis l’accent à la suite des manifestations #OscarsSoWhite de 2015 et 2016, lorsque ses nominés pour les rôles d’acteurs étaient tous blancs. Cette année, neuf des 20 nominations d’acteurs sont allées à des personnes de couleur.»

Un chroniqueur du Hollywood Reporter a toutefois observé, un peu nerveusement, que si l’effort des producteurs des Oscars en faveur de la diversité était «admirable», il ne pouvait s’empêcher de «se demander ce que le citoyen américain moyen va penser du fait que seuls quatre des 18 présentateurs – Bryan Cranston, Brad Pitt, Harrison Ford et Joaquin Phoenix – étaient des hommes blancs.»

On soupçonne, en fait, qu’une bonne partie des citoyens américains moyens en ont assez de la foule riche, satisfaite d’elle-même, obsédée par l’identité raciale et de genre, qui domine le monde du spectacle. Bien qu’un certain nombre de facteurs soient sans doute à l’œuvre, la forte baisse du nombre de spectateurs reflète incontestablement une hostilité générale envers l’industrie cinématographique actuelle ou un manque d’intérêt pour celle-ci.

Cette année, les chiffres d’audience, selon Variety, «ont atteint un plancher stupéfiant». La cérémonie de dimanche s’est soldée par «la plus faible audience de l’histoire de la diffusion, avec une marge considérable» (CNN). La diffusion de la cérémonie, commente la chaîne d’information câblée, «a attiré en moyenne 9,8 millions de téléspectateurs sur ABC», soit 58 % de moins que l’année dernière, «la précédente cérémonie des Oscars la moins bien notée, qui avait attiré 23,6 millions de téléspectateurs». Chez les adultes de 18 à 49 ans, l’audience a chuté de 64,2 %. Il y a seulement sept ans, 40 millions de personnes avaient regardé la diffusion.

Les organisateurs de la cérémonie de remise des prix voient le reste du monde, y compris les électeurs des Oscars, selon leurs propres normes et préoccupations. Ils étaient tellement convaincus que Chadwick Bozeman, l’excellent acteur afro-américain décédé en août 2020, remporterait le prix du Meilleur acteur pour Ma Rainey’s Black Bottom qu’ils ont rompu la tradition et gardé ce dernier prix pour le dernier segment de la diffusion. Lorsque le nom d’Anthony Hopkins a été lu, les gens présents à la cérémonie se sont effondrés dans un gémissement dépressif. Sans manquer de respect à Bozeman, les organisateurs se sont ridiculisés et ont eu exactement ce qu’ils méritaient.

La cérémonie des Oscars a toujours été une affaire particulière et bien circonscrite, un reflet de l’industrie du divertissement et de ses goûts, de ses illusions et des intérêts sociaux des différentes couches et professions qui composent celle-ci. On aurait tort de considérer la cérémonie de remise des prix comme un événement social ou même artistique majeur. Les acteurs-célébrités présents sont souvent talentueux et séduisants, mais ils ne sont pas nécessairement (ni même souvent) dotés d’une grande perspicacité sociale – dans le meilleur des cas.

L’élément d’autosuffisance et d’autofélicitations (dont font également preuve un certain nombre de lauréats) reste un handicap débilitant, comme le révèle la qualité générale du cinéma contemporain. Tel que mentionné précédemment, une pandémie mortelle, responsable de centaines de milliers de morts aux États-Unis et de millions d’autres ailleurs dans le monde, a à peine été mentionnée dimanche soir. Il n’y a pas eu un seul mot sur la tentative de coup d’État fasciste du 6 janvier, un épisode sans précédent dans l’histoire des États-Unis. Rien non plus n’a été dit sur la destruction sauvage des emplois qui est en cours dans les domaines artistiques et de l’industrie cinématographique. Pas un mot. Rien.

(Article paru en anglais le 27 avril 2021)

Loading