Les travailleurs des musées du monde entier perdent leur emploi et leurs revenus: nombreux sont ceux qui envisagent de quitter le secteur

Le 13 avril, l’American Alliance of Museums (AAM) a rendu publiques les conclusions d’un sondage intitulées «Mesurer l’impact de la COVID-19 sur les personnes dans le secteur muséal», réalisée en mars. Quelque 2700 personnes ont répondu au sondage, dont 87 % étaient des employés de musées américains (avant la pandémie).

Sans surprise, les résultats dressent un portrait de difficultés économiques, d’incertitude professionnelle et de tourment mental. D’une manière générale, plus la position du répondant est précaire dans le domaine, plus la perte financière (en pourcentage du revenu antérieur) est importante et plus le scepticisme quant à l’avenir est profond.

Quarante-trois pour cent de l’ensemble des travailleurs des musées ont vu leur revenu diminuer de 31 % en moyenne au cours de l’année 2020. Plus de 60 % des employés à temps partiel, qui vivaient déjà dans la pauvreté, témoignent «avoir perdu des revenus à cause de la pandémie, avec une perte médiane de huit mille dollars due à une réduction du salaire, des avantages sociaux ou des heures de travail, soit une réduction médiane de 50 %». Les travailleurs autonomes ont également été durement touchés: 78 % des personnes de cette catégorie ont perdu des revenus l’année dernière, selon l’étude de l’AAM, «pour un montant médian de vingt-cinq mille dollars, soit l’équivalent d’environ 50 % du revenu prépandémique.»

Seuls 57 % des répondants sont «prudemment optimistes quant à l’avenir du secteur muséal», tandis que 28 % sont «plutôt pessimistes». Un peu plus d’un cinquième du personnel rémunéré et des étudiants «pensent qu’il est peu probable qu’ils travaillent encore dans le secteur dans trois ans, les principaux obstacles étant la rémunération, l’épuisement professionnel et le manque d’opportunité d’avancement».

Le Louvre à Paris (Source: Le Louvre)

Le sondage met également en garde contre «une deuxième pandémie au sein de la pandémie de COVID-19: les impacts actuels et tardifs sur la santé mentale, notamment l’augmentation de l’anxiété et de la dépression». Les travailleurs des musées font état de «sérieux dommages sur leur santé mentale et leur bien-être en raison de la pandémie». Les auteurs observent que les répondants expriment «un important soutient les uns pour les autres», soulignant «la compassion et l’empathie qui existent parmi les personnes qui composent le secteur muséal». Malgré l’adversité personnelle, les personnes sondées indiquent que leur plus grande préoccupation commune est «le bien-être de leurs collègues».

Le secteur muséal, comme toute autre sphère de la vie publique, est un champ de bataille de classes. Tandis que les membres du personnel et les travailleurs indépendants luttent pour garder la tête hors de l’eau, voire abandonnent le secteur, les membres du conseil d’administration et les hauts responsables des musées évoluent dans une autre sphère économique et sociale.

Aux États-Unis, les musées, qu’ils soient privés ou apparemment publics, sont particulièrement sous l’emprise des riches. À la veille de la pandémie, le New York Times a publié une chronique de Michael Massing, écrivain et ancien rédacteur en chef du Columbia Journalism Review, intitulée «Comment les super riches ont pris le contrôle du monde muséal» (14 décembre 2019).

Massing a souligné la prépondérance des personnes extrêmement riches, par exemple, au sein du conseil d’administration du Museum of Modern Art (MoMA) à New York, notant que 45 des 51 administrateurs «travaillent dans la finance, le monde des affaires, l’immobilier ou le droit, ou sont les héritiers ou les conjoints de super riches.» Il ajoute que la «dépendance du MoMA à l’égard de la bonté des milliardaires a un prix. Le monde des musées d’aujourd’hui est fortement hiérarchisé, reflétant les inégalités de la société en général.»

La chronique note qu’en 2018, «le MoMA a reçu la bagatelle de 22.000 dollars de fonds gouvernementaux (de la ville de New York), comparativement aux 136 millions de dollars qu’il a obtenus de sources privées». En fait, le MoMA ne cherche pas et ne reçoit pas de fonds du fédéral ou de l’État.»

Musée d’art moderne (Source: MoMA)

L’influence des milliardaires sur tous les aspects du fonctionnement des musées est déjà immense. Massing a fait part de sa «préoccupation la plus sérieuse» à l’égard des «conseils royaux», des «contraintes possibles qu’ils imposent sur ce que les musées peuvent exposer». Face à la pandémie, alors que les musées et autres institutions artistiques sont plus que jamais sous pression et dans le besoin, le rôle de l’oligarchie corporative ne peut que s’étendre et devenir plus oppressif.

La COVID-19 a approfondi des processus déjà bien en cours: la subordination des intérêts et des besoins des artistes, du personnel des musées et du bien-être culturel de la population aux caprices et aux aléas de l’oligarchie financière. La situation est de plus en plus intenable.

La situation est peut-être plus prononcée à certains égards aux États-Unis, mais la crise des musées est mondiale.

Une récente étude de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), intitulée «Les musées dans le monde face à la pandémie de COVID-19», a mis en évidence l’état désastreux de la fréquentation et du financement des musées dans le monde.

Le rapport de l’UNESCO explique que même pour ses institutions, sur un total mondial de 104.000, «qui sont restées ouvertes avec des mesures sanitaires en place, la diminution drastique du tourisme mondial a entraîné une baisse de fréquentation de 70 %.» Les recettes des différentes institutions (notamment les musées nationaux) «ont diminué entre 40 % et 60 % par rapport aux recettes de 2019», et «la situation des musées restera très difficile cette année.»

Les «conséquences financières pour le secteur muséal», a soutenu l’UNESCO, avec un certain degré d’euphémisme, ont été «considérables.»

Pour sa part, le sondage annuel d’Art Newspaper sur la fréquentation des musées, publiée le 30 mars, a révélé que la fréquentation globale en 2020 des «100 musées d’art les plus visités au monde a chuté d’un stupéfiant 77 % en 2020: de 230 millions en 2019 à seulement 54 millions, les musées du monde entier ayant été contraints de fermer.» Recourant une fois de plus au même adjectif, le sondage a révélé que les musées «ont été fermés pendant un total stupéfiant de 41.000 jours: l’équivalent de plus d’un siècle de visites manquées l’année dernière.»

La publication a cité quelques cas en particulier. Le Louvre à Paris, le musée d’art le plus visité au monde, a connu une baisse de fréquentation de 72 pour cent en 2020, perdant 90 millions d’euros dans le processus. Le nombre de visiteurs du Musée national de Chine a chuté de 78 %, tandis que la fréquentation de la Tate Modern de Londres a baissé de 77 %, celle des Musées du Vatican de 81 %, celle du British Museum de 80 %, celle du Musée national russe de 50 % et celle du Metropolitan Museum of Art de New York de 83 %.

Le musée Tate Modern à Londres (Source: Tate Modern)

«La forte baisse de la fréquentation, observe Art Newspaper, a contribué à d’énormes pertes financières. Les revenus autogénérés des quatre musées de la Tate sont passés de 94 millions de livres [131 millions de dollars américains] pour l’exercice 2019/20 à une estimation de 38 millions de livres pour 2020/21, soit une baisse de 60 pour cent. De même, le Victoria and Albert Museum [à Londres] a connu une perte de revenus de 63 %, ses fonds autogénérés passant de 64 millions de livres à 24 millions de livres.»

Les «quatre mastodontes de l’art» de New York, le Metropolitan Museum, le MoMA, le Whitney Museum of American Art et le Solomon R. Guggenheim Museum, ont reçu 2,2 millions de visiteurs en 2020, contre 11 millions l’année précédente. Le Metropolitan a perdu à lui seul une somme estimée à 150 millions de dollars.

Art Newspaper a révélé que les données des 19 institutions brésiliennes sondées indiquaient que les musées «ont été fermés pendant une moyenne de 203 jours l’année dernière, ce qui est plus que tout autre pays dans notre rapport.»

Les conséquences potentielles de tels chiffres sur l’avenir des institutions culturelles du globe et de leurs travailleurs sont également «stupéfiantes.»

Ce serait une grave erreur d’imaginer que la fin de la pandémie, quelle qu’elle soit, ramènera les musées et les galeries d’art à leur état antérieur. Les «sacrifices» de plus en plus importants exigés aux travailleurs et au personnel des musées vont se poursuivre.

L’affirmation d’organisations telles que Museum Workers Speak selon laquelle l’inscription des travailleurs de musées dans les syndicats membres du SEIU ou de l’AFL-CIO améliorera leurs conditions et leur vie est fausse et dangereuse. Les travailleurs découvriront douloureusement que ces organisations ne sont qu’une division de la direction déterminée à réprimer chacune de leurs luttes.

L’obsession de ces groupes pour la politique raciale est tout aussi fausse et dangereuse. L’idée que le problème central auquel sont confrontés les travailleurs des musées est l’héritage «de la violence coloniale et raciale, et de la suprématie blanche en général» dans «des institutions disproportionnellement blanches et dirigées par des Blancs», comme le prétend Museum Workers Speak, est tout à fait pernicieuse et constitue le plus beau cadeau possible à l’élite dirigeante. La mainmise des milliardaires et multimillionnaires sur la vie culturelle ne sera pas brisée tant que le capitalisme existera. La fin de cette mainmise dépend de l’unité la plus ferme de la classe ouvrière sur une base socialiste de principe.

(Article paru en anglais le 21 avril 2021)

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