Le gouvernement Trudeau fait adopter une loi qui criminalise la grève du port de Montréal

Le gouvernement libéral minoritaire de Justin Trudeau, qui se vante de son «partenariat spécial» avec les syndicats depuis son arrivée au pouvoir en 2015, fait passer au parlement une loi draconienne qui criminalisera la grève que 1.150 débardeurs du port de Montréal ont lancée lundi matin.

La loi de retour au travail des libéraux a été adoptée par la Chambre des communes aux premières heures de la matinée de jeudi, grâce aux votes des conservateurs de l’opposition. Elle devrait être approuvée par le Sénat et recevoir la sanction royale, ce qui lui donnera force de loi, plus tard dans la journée.

L’Association des employeurs maritimes et les grandes entreprises dans leur ensemble réclament depuis des semaines que le gouvernement prive les débardeurs de Montréal de leur droit légal de grève. Comme c’est le cas pour de nombreuses autres lois de retour au travail, tant au niveau fédéral que provincial, la législation libérale habilite un arbitre nommé par le gouvernement à imposer les concessions radicales exigées par l’employeur. Elle a pour but de faire comprendre à tous les travailleurs que toute contestation de l’assaut des grandes entreprises sur les salaires et les conditions de travail se heurtera à toute la force de l’État capitaliste.

Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui représente les débardeurs dans les négociations contractuelles, a déjà fait savoir très clairement qu’il ne fera rien pour s’opposer à cette loi briseuse de grève. Il demande plutôt aux travailleurs de se fier à une contestation symbolique de la constitutionnalité de la loi devant les tribunaux.

Le SCFP n’a autorisé la grève de cette semaine qu’après une longue série de provocations de la part des opérateurs portuaires. De plus, alors qu’il était clair depuis un an ou plus que les employeurs comptaient sur le gouvernement pour interdire les grèves syndicales, le syndicat a tout fait pour isoler les débardeurs et enfermer leur lutte dans le système de relations de travail pro-employeur.

Membres de la section 375 du SCFP, les débardeurs de Montréal travaillent sans contrat depuis 2018. Ils demandent l’amélioration des horaires, la fin de l’augmentation du rythme de travail, l’embauche d’un plus grand nombre de travailleurs pour rendre les charges de travail plus gérables, et la fin du régime disciplinaire brutal des employeurs qui a entraîné des dizaines de licenciements depuis son introduction en 2013. Les travailleurs ont voté à plusieurs reprises pour la grève à partir de la fin 2018. Mais ils ont été empêchés de mener une lutte contre les patrons à la fois par une série interminable de procédures de négociation collective bureaucratiques, mandatées par l’État et par les tergiversations du SCFP.

Pour justifier sa loi de retour au travail, le gouvernement libéral a diabolisé les débardeurs qui auraient supposément pris les entreprises canadiennes en otage. La grève coûterait de 40 à 100 millions de dollars par semaine et risquerait de faire disparaître 19.000 emplois, a accusé la ministre du Travail, Filomena Tassi, lors d’un débat parlementaire tenu tard dans la nuit de mercredi à jeudi. Cette affirmation ne tient pas compte du fait que la grève a été provoquée par les opérateurs portuaires, représentés par l’Association des employeurs maritimes, qui sont déterminés à accroître la «compétitivité» du port – c’est-à-dire sa rentabilité – aux dépens des travailleurs. L’AEM exige une augmentation de 30 à 50% de la charge de travail, notamment en allongeant les quarts de travail.

Tassi a également eu recours à des mensonges éhontés, prétendant que les grévistes retenaient les fournitures médicales d’urgence liées aux soins des patients du COVID-19. En réalité, la section locale 375 du SCFP avait annoncé avant le lancement de la grève que ses membres continueraient à manipuler les envois d’urgence et les fournitures COVID-19 pendant toute la durée de leur grève syndicale. Si cela n’a pas lieu, cela ne peut que signifier que l’employeur refuse de permettre aux grévistes d’effectuer de telles activités afin de fournir au gouvernement un prétexte pour interdire la grève.

L’accusation calomnieuse selon laquelle les grévistes entravent les efforts de lutte contre le COVID-19 est d’autant plus cynique qu’elle émane d’un gouvernement qui a supervisé une politique meurtrière d’ouverture de l’économie et des écoles qui a fait plus de 24.000 morts depuis le début de la pandémie.

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) a fait de son mieux pour surpasser le gouvernement en matière d’hypocrisie et de cynisme. Sachant pertinemment que la loi briseuse de grève serait adoptée avec les votes des conservateurs, le chef du NPD, Jagmeet Singh, et son caucus ont fait mine de voter contre. Singh et le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, utiliseront sans doute cet incident dans leurs discours de campagne pendant les mois à venir pour démontrer que le NPD «défend les droits des travailleurs».

La vérité derrière cette mascarade est que la seule raison pour laquelle le gouvernement libéral reste au pouvoir et est capable d’interdire la grève des débardeurs est que le NPD l’a soutenu à chaque vote de confiance clé depuis le début de la pandémie. Lundi, alors qu’il était déjà de notoriété publique que le gouvernement avait l’intention de criminaliser la grève du port de Montréal, le NPD a donné au gouvernement Trudeau les votes dont il avait besoin pour assurer l’adoption du budget fédéral.

Le Bloc Québécois, les Verts et trois députés libéraux se sont joints au NPD dans son opposition symbolique au projet de loi libéral de retour au travail. De façon significative, pour ne pas susciter l’ire des grandes entreprises et des médias corporatifs, aucun des 61 députés qui se sont prononcés contre la législation n’a utilisé les nombreuses procédures parlementaires disponibles pour retarder son adoption rapide.

En plus de criminaliser la grève, la loi de retour au travail, officiellement intitulée «Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal», prévoit l’intervention d’un médiateur pour aider à conclure un accord «négocié». Si les pourparlers échouent, un arbitre nommé par le gouvernement dictera toutes les clauses contractuelles en suspens. En d’autres termes, l’employeur n’a qu’à retarder les pourparlers et attendre qu’une personne nommée par le gouvernement, favorable au patronat, impose la plupart ou la totalité de ses exigences.

La responsabilité principale pour avoir mis les travailleurs dans cette position incombe au SCFP et à toute la bureaucratie syndicale. Le SCFP a étouffé à plusieurs reprises les efforts des travailleurs pour faire grève, de sorte que ce n’est que 18 mois après l’expiration de leur contrat de travail que la première grève limitée a eu lieu en juillet 2020. Le syndicat a ensuite saboté une puissante grève de 12 jours en août qui a démontré l’immense pouvoir social des débardeurs, et aurait pu devenir le fer de lance d’une contre-offensive plus large des travailleurs des secteurs privé et public pour la sécurité de l’emploi et contre l’augmentation du rythme de travail, tous les reculs et le démantèlement des services publics. Au lieu de cela, le SCFP a conclu une «trêve» pourrie avec la direction qui a donné à l’employeur sept mois pour affiner sa stratégie de bris de grève. Dès le début du mois de mars, des reportages ont fait état de fournisseurs et d’expéditeurs qui déplaçaient leurs marchandises vers d’autres ports de l’Est pour éviter une éventuelle grève.

Le chef de la section locale 375 du SCFP, Michel Murray, a proposé d’annuler la grève actuelle jusqu’à la dernière minute si la direction acceptait de revenir à la table des négociations et retirait certaines de ses provocations les plus flagrantes, notamment l’abolition des horaires à quart à partir du 26 avril.

L’isolement des débardeurs a été imposé par le Congrès du travail du Canada, qui a pratiquement occulté leur grève. Alors que la plus grande fédération syndicale du Canada n’a pas encore publié un seul article sur le conflit au cours des dernières semaines, elle a trouvé le temps, le 19 avril, de faire l’éloge du budget 2021 des libéraux briseurs de grève, quelques heures seulement après sa présentation. Tout au long de la pandémie, le CTC a approfondi son étroite collaboration avec le gouvernement libéral, résumée par la déclaration figurant sur sa page d’accueil: «Au Canada, nous avons résisté à la pandémie en nous serrant les coudes et en nous appuyant les uns les autres.»

Quant au SCFP, qui, avec plus de 700.000 membres, est le plus grand syndicat du Canada, il a publié un reportage laconique sur la loi de retour au travail qui remplissait à peine quatre paragraphes. Tout en décrivant la mesure comme «un affront à tous les travailleurs du pays», son opposition s’est limitée à une rhétorique vide.

Les débardeurs en grève ne devraient pas être surpris par le rôle du SCFP qui isole et cherche à trahir leur lutte. Les syndicats ne sont pas de véritables organisations des travailleurs, mais se tiennent du même côté des barricades que les patrons et les gouvernements capitalistes. Leur principale préoccupation est de préserver leur étroite collaboration avec les libéraux de Trudeau et les grandes entreprises, qui est codifiée dans les systèmes de relations de travail administrés par le gouvernement fédéral et les provinces. Ces mêmes règlements, qui garantissent les privilèges de la bureaucratie syndicale, ont servi de mécanisme clé pour empêcher les débardeurs de mener une lutte efficace.

Dans tous les secteurs, les syndicats ont appliqué des dizaines de lois de retour au travail au cours des trois dernières décennies. Tous les grands partis, y compris le NPD et le Parti québécois, le parti frère du BQ, ont employé de telles lois, rendant pratiquement illégal le droit de grève, du moins lorsqu’une puissante section de la classe ouvrière passe à l’action. Depuis 2017, de telles lois ont été utilisées pour rendre illégale une grève des travailleurs de la construction au Québec, et briser les grèves des professeurs de collège en Ontario, et des assistants d’enseignement à l’Université York. En 2018, les libéraux de Trudeau ont criminalisé les grèves tournantes de 50.000 travailleurs de Postes Canada.

Il n’y a aucune contradiction dans la prétention du gouvernement Trudeau d’avoir un «partenariat spécial» avec les syndicats, et dans sa répression impitoyable de l’opposition des travailleurs à l’austérité capitaliste et à la réduction des salaires. Leur «partenariat» consiste en leurs efforts conjoints pour imposer les diktats des grandes entreprises et de l’oligarchie financière à la classe ouvrière, sous couvert d’une propagande frauduleuse sur la prise en charge de la «classe moyenne» et la «négociation collective.» Comme l’a dit Tassi dans un tweet dimanche, la loi de retour au travail était «l’option la moins favorisée» du gouvernement, et le gouvernement «croit toujours à la négociation collective.»

Si elle avait été plus franche, Tassi aurait dit que les libéraux soutiennent la «négociation collective» tant qu’elle aboutit à l’imposition des exigences de la direction par les syndicats propatronaux. Mais lorsqu’une section stratégique de la classe ouvrière, dotée d’un énorme pouvoir économique, remet en question ce système et menace de déclencher une explosion sociale plus large parce que les problèmes pour lesquels elle fait grève sont communs à des centaines de milliers de travailleurs à travers le Canada, l’appareil d’État capitaliste doit l’écraser d’une main de fer.

Pour faire avancer leur lutte, les débardeurs doivent se préparer à défier la législation de retour au travail du gouvernement. Cela nécessite un élargissement de leur lutte à d’autres sections de la classe ouvrière, y compris les travailleurs de l’automobile, les travailleurs du transport, les éducateurs, les employés du secteur public et les travailleurs de la fabrication et des mines, qui sont tous confrontés aux mêmes attaques contre leurs emplois et leur niveau de vie. Pour mener cette lutte, les grévistes devraient élire un comité de grève de la base, organisé indépendamment du SCFP et de toute la bureaucratie syndicale et en opposition à ceux-ci.

La première tâche de ce comité sera de mobiliser les travailleurs dans une lutte unifiée pour la sécurité de l’emploi, les augmentations de salaire, la protection contre le COVID-19, et contre l’austérité capitaliste. Cette lutte est une lutte politique, qui nécessite un assaut frontal contre la domination de l’oligarchie financière sur la vie sociale et économique, et une opposition irréconciliable à tous leurs mercenaires politiques à leur solde. Cette lutte doit également être menée à l’échelle internationale, car les conditions d’exploitation impitoyable auxquelles sont confrontés les débardeurs de Montréal ne se reproduisent pas seulement sur les lieux de travail du Canada, mais aussi dans les ports d’Amérique du Nord et d’Europe, et dans les industries du transport et de la logistique du monde entier.

Pour organiser une telle contre-offensive mondiale des travailleurs, le Comité international de la Quatrième Internationale appelle à la formation de l’Alliance internationale des travailleurs des comités de la base. Afin de lancer la lutte pour la construction de cette organisation, qui permettra aux travailleurs de coordonner leurs luttes contre la classe capitaliste sur une base mondiale, le CIQI organise un rassemblement en ligne du 1er mai demain à 11h, heure de l’Est. Nous lançons un appel pressant à tous les débardeurs en grève et à leurs sympathisants pour qu’ils y assistent.

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