La campagne en ligne «# allesdichtmachen» («fermez tout») et ses réactions soulignent une réalité fondamentale.
La résistance s’accentue parmi les travailleurs et les jeunes allemands à la politique meurtrière de «réouverture» menée en pleine pandémie de COVID-19 dans l’intérêt économique des banques et grandes entreprises, déjà au prix de plus de 82.000 vies rien qu’en Allemagne. Pourtant, les représentants de tous les partis de l’establishment politique se sont félicités des déclarations d’acteurs soutenant les demandes de levée immédiate des mesures, quoi qu’en elles-mêmes totalement inadéquates, de distanciation sociale encore en place.
Que s’est-il passé?
Vendredi de la semaine dernière, 52 acteurs allemands plus ou moins connus ont publié de courtes déclarations vidéo sous les hashtags «#allesdichtmachen» («fermez tout»), «#niewiederaufmachen» (ne plus jamais rouvrir) et «#lockdownfürimmer» (confinement pour toujours) attaquant cyniquement les mesures prises par le gouvernement pour limiter la propagation du virus.
Voici quelques exemples. Felix Klare a affirmé que l’enseignement à domicile conduit à davantage de violence familiale contre les enfants. Volker Bruch a suggéré que les avertissements concernant le coronavirus étaient purement alarmistes. Ulrich Tukur a sarcastiquement appelé à «fermer tous les lieux d’activité humaine et tous les centres commerciaux sans exception», assurant ainsi que «tout le monde soit mort» afin de priver «le virus, ainsi que son bagage mutant sournois, de sa source de vie».
D’autres se sont moqués d’incidences particulières en rapport avec le virus (Miriam Stein), se sont moqués des mesures de distanciation sociale (Heike Makatsch ) ou ont râlé, à la manière de l’extrême droite, contre le fait que les médias soient contrôlés par les mêmes intérêts ne permettant aucun «débat critique» (Jan-Joseph Liefers).
Peu de temps après la publication des premières vidéos, une tempête d’indignation a éclaté sur les réseaux sociaux. Sous le hashtag «#allenichtganzdicht» («barjot»), des dizaines de milliers de personnes ont critiqué l’intervention répugnante qui, tandis que les morts se multiplient en masse à l’échelle mondiale, a aidé la propagande anti-confinement autour de laquelle les éléments les plus à droite étaient mobilisés.
Sur Twitter, la coprésidente du groupe parlementaire d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), Alice Weidel, a félicité les acteurs pour leur «grande action». Un autre supporteur était l’ex-président de l’Office pour la protection de la Constitution, comme le service secret allemand est dénommé, Hans-Georg Maassen, qui en 2018 a soutenu publiquement la chasse aux sorcières des immigrés à Chemnitz.
L’opposition a continué de croître tout au long du week-end. De nombreux artistes ont condamné l’action, y compris de nombreux acteurs. Le président de l’Académie allemande du cinéma, Ulrich Matthes, a déclaré à l’agence de presse dpa que la «satire supposée» de ses collègues «aidait et encourageait indirectement les contestataires [les négationnistes du coronavirus] et l’AfD ».
D’autres ont noté que la pandémie avait un impact dévastateur sur les travailleurs culturels, qui étaient confrontés à la perte de leur carrière et à la ruine financière. Mais les acteurs majoritairement riches de «#allesdichtmachen » n’ont pas critiqué le gouvernement pour avoir distribué la grande majorité de son «aide d’urgence» aux grandes entreprises. Au lieu de cela, ils se sont moqués des victimes de la pandémie.
Les médecins et le personnel hospitalier ont exprimé leur colère sous le hashtag «#allemalneschichtmachen» («venez à notre place»), en tweetant sur leurs expériences dramatiques dans les services d’urgence des hôpitaux. Cette initiative a été prise par la célèbre médecin des urgences et blogueuse Carola Holzner («Doc Caro»).
Elle a mis au défi les artistes impliqués dans «#allesdichtmachen» de travailler un quart au service d’urgence ou dans une unité de soins intensifs. «Vous avez franchi un seuil», a expliqué le médecin spécialiste de l’hôpital universitaire d’Essen dans une vidéo Instagram qui a rapidement reçu plusieurs centaines de milliers de visites. «À savoir, un seuil de douleur pour tous ceux qui font tout depuis plus d’un an.»
Dix-neuf des acteurs initialement impliqués dans l’événement vidéo de vendredi ont depuis rétracté leurs vidéos et se sont excusés. La plupart se sont explicitement éloignés de l’AfD et des manifestations d’extrême droite des négationnistes du coronavirus. Cela ne rend pas leur intervention moins répréhensible. Les vidéos sont toutes stupides, répugnantes et cyniques, et les artistes impliqués ont soit consciemment soutenu une campagne de droite, soit se sont laissés manipulés par elle.
L’un de ceux qui tiraient les ficelles de l’action est le réalisateur et scénariste Dietrich Brüggemann, qui a déjà promulgué des slogans et des paroles de chansons («mettez votre devoir de porter un masque dans le ***) des manifestants de l’extrême droite du coronavirus.
On aurait espéré au moins un peu plus d’intelligence de la part de certains acteurs et souhaité qu’ils jouent non seulement leurs meilleurs rôles à l’écran, mais aussi de réfléchir là-dessus. Tukur, par exemple, né en 1957, s’est fait connaître d’un public plus large grâce au film de 1982 Die Weisse Rose ( La rose blanche ), dans lequel il incarnait Willi Graf, un étudiant et membre du cercle de la résistance étudiante qui s’opposait à la dictature nazie. Volker Bruch joue depuis 2017 le rôle principal du détective critique nazi Gereon Rath dans la série Babylon Berlin, qui se déroule à Weimar en Allemagne. Désormais, ils se retrouvent tous deux – peut-être involontairement – associés à l’AfD et l’extrême droite.
Cependant, le rôle le plus répugnant dans ce spectacle est joué par les principaux politiciens allemands. Ce sont eux qui sont responsables de la mort massive et des conséquences sociales de la pandémie, y compris dans le domaine culturel. Au final, dans leurs vidéos prétendument «critiques», les acteurs n’ont fait que reproduire ce que la politique bourgeoise et les médias propagent depuis le déclenchement de la pandémie. Il n’y a pas un seul mensonge ou provocation dans leurs vidéos qui ait déjà été exprimé de la même manière par un représentant des partis de l’establishment.
Au début de la pandémie, c’est le ministre de la Santé Jens Spahn (Union chrétienne-démocrate, CDU) qui a dit que le COVID-19 était une «grippe ordinaire» et s’est prononcé contre l’obligation de porter un masque en Allemagne. Lorsqu’il a été question de mettre fin au premier confinement dans l’intérêt des grandes entreprises, le président du Bundestag (parlement fédéral) Wolfgang Schäuble (CDU) a déclaré – sous les applaudissements du chef honoraire de l’AfD Alexander Gauland – que le droit à la vie n’était pas «absolument» protégé par la Constitution.
Par la suite, des représentants de tous les partis du Bundestag ont soutenu les manifestations d’extrême droite contre le coronavirus, qui, contrairement à la majorité de la population, exigeaient la fin immédiate de toutes les restrictions et mesures de distanciation sociale. Désormais, les mêmes politiciens et partis utilisent l’action des acteurs pour promouvoir davantage la politique du «profit avant la vie».
Dans Bild am Sonntag du week-end dernier, le ministre des Finances Scholz (Parti social-démocrate, SPD) a appelé à la fin définitive de toutes les mesures pandémiques d’ici l’été. «Je suis également fatigué de cette pandémie et de ses restrictions», a-t-il déclaré, ajoutant qu’il voulait «que nous, en tant que gouvernement, définissions des mesures claires et audacieuses pour rouvrir les choses d’ici l’été». Il fallait, a-t-il déclaré, «la feuille de route pour revenir à la vie normale, mais celle qui n’est pas révoquée après quelques jours».
Outre le chef de l’AfD, les principaux représentants des autres partis du Bundestag ont également explicitement soutenu l’action des acteurs. «Qu’il y ait une critique des mesures, je trouve cela tout à fait normal», a déclaré le ministre de la Santé Spahn lors d’une conférence de presse vendredi. Il a ajouté qu’il pouvait «bien imaginer s’entretenir avec les initiateurs».
S’adressant à Redaktionsnetzwerk Deutschland, le coprésident du Parti vert, Robert Habeck, a excusé l’action par une déclaration brusque: «Après plus d’un an de pandémie, de nombreuses personnes sont épuisées.» Il a déclaré que si les contributions vidéo étaient «inappropriées», il fallait un «espace pour un débat critique et controversé sur quelque chose qui affecte si profondément toutes nos vies et toute notre liberté».
La principale candidate du Parti de gauche pour les élections dans le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie et ancienne chef du groupe parlementaire fédéral du parti, Sahra Wagenknecht, a décrit les vidéos comme «une liste de lecture élégante dans laquelle des acteurs bien connus expriment leur indignation face aux politiques actuelles en matière de coronavirus d’une façon merveilleusement ironique».
Sur le programme WDR «3nach9», le candidat CDU à la chancellerie Armin Laschet a exprimé sa solidarité avec Jan-Joseph Liefers, l’un des rares acteurs qui défendent encore publiquement leurs actions.
«On est autorisé à dire cela dans un pays libre», a déclaré Laschet. «Dans les situations de crise, l’opinion minoritaire des artistes et des intellectuels en particulier est importante.» Même si Laschet ne pouvait pas le dire ouvertement en raison de l’énorme opposition au sein de la population: «l’opinion minoritaire» que lui et toute la classe dirigeante partagent par rapport à la pandémie est celle de l’AfD fasciste.
(Article paru en anglais le 30 avril 2021)