Le Royaume-Uni va envoyer en mer de Chine méridionale le plus grand groupe d’attaque de porte-avions depuis la guerre des Malouines

Le gouvernement britannique a donné des détails sur l’imposant groupe aéronaval de la Royal Navy et de la Royal Air Force envoyé dans la région indopacifique. Cette mission, décrite comme «un déploiement véritablement mondial, de l’Atlantique Nord à l’Indo-Pacifique», inclut, de manière provocante, la traversée de la mer de Chine méridionale. Le départ pourrait avoir lieu dès le 18 mai.

Les porte-avions britanniques HMS Prince of Wales et HMS Queen Elizabeth amarrés au port de Portsmouth, novembre 2020 (Source: WSWS media)

Le nouveau porte-avions britannique HMS Queen Elizabeth mène la mission, soutenue par l’OTAN, d’un coût de 3,2 milliards de livres sterling, qui effectue son premier déploiement opérationnel. Le porte-avions, le navire de guerre le plus grand et le plus puissant jamais construit par la marine, a été lancé en octobre 2017 et participe depuis à des essais en mer et à des entraînements opérationnels. La Marine le décrit comme étant «capable de frapper depuis la mer au moment et à l’endroit de notre choix…»

Aucune force de la Royal Navy n’a été mobilisée à une telle échelle depuis la guerre des Falklands/Malouines de 1982. Le ministère de la Défense (MoD) a déclaré qu’il s’agirait de la «plus grande concentration de puissance maritime et aérienne à quitter le Royaume-Uni en une génération». The Spectator a noté l’importance de l’envoi par la Royal Navy d’une «flotte de combat en Asie pour la première fois depuis le début de la guerre de Corée en 1950».

Avec la fin de la guerre froide, la flotte de surface de la Royal Navy britannique, composée de frégates et de contre-torpilleurs, a été réduite et ne compte plus que 19 navires. Mais les dépenses sont de nouveau augmentées de plusieurs dizaines de milliards de livres dans toutes les forces armées, dans le cadre de la révision du ministère de la Défense intitulée «La défense à l’ère de la concurrence».

La mission indopacifique mobilise une grande partie des effectifs actuels de l’ensemble de la marine. Le porte-avions aura à son bord 18 chasseurs furtifs F-35B et sera soutenu par les contre-torpilleurs de type 45, HMS Defender et HMS Diamond, les frégates anti-sous-marines de type 23, HMS Kent et HMS Richmond, et les navires logistiques de la Royal Fleet Auxiliary, Fort Victoria et Tidespring. Ces navires seront appuyés par un sous-marin nucléaire de classe Astute de dernière génération, armé de missiles de croisière Tomahawk. Participeront également à l’opération 14 hélicoptères de la marine, huit chasseurs rapides de la RAF et une compagnie de Royal Marines.

Le groupe de porte-avions visitera plus de 40 pays en 28 semaines et parcourra 26.000 miles nautiques. Il prendra part à 70 engagements, dont des exercices avec des partenaires de l’OTAN et d’autres pays, en traversant la Méditerranée jusqu’au canal de Suez. Les États-Unis participent avec un contre-torpilleur l’USS The Sullivans, et un escadron de 10 avions F-35B Lightning II du corps des Marines.

Le groupe d’attaque de la Royal Navy fera une escale d’une semaine à Duqm, la base de soutien logistique conjointe du Royaume-Uni à Oman. Il mènera ensuite des opérations dans l’océan Indien avec la marine indienne ainsi que des exercices conjoints avec la Corée du Sud et Singapour. Les opérations seront complétées par jusqu’à deux semaines d’exercices conjoints avec les forces armées américaines et japonaises. La flottille effectuera sa navigation provocatrice en mer de Chine méridionale.

Le document stratégique (Integrated Review) global du Royaume-Uni intitulé «Global Britain in a Competitive Age» et le document stratégique de la défense ont tous deux identifié la Chine et la Russie comme des adversaires majeurs et des menaces économiques. L’Integrated Review décrit la Chine comme «un concurrent systémique. La puissance croissante et l’affirmation internationale de la Chine seront probablement le facteur géopolitique le plus important des années 2020». Le rapport indique que «le Royaume-Uni renforcera son engagement dans la région indopacifique… en établissant une présence plus importante et plus persistante que celle de tout autre pays européen. La région est déjà essentielle pour notre économie et notre sécurité; elle est un point central pour la négociation des lois, règles et normes internationales; et elle deviendra plus importante pour la prospérité du Royaume-Uni au cours de la prochaine décennie».

Conformément aux desseins de l’impérialisme américain sur la région, le Royaume-Uni agissant comme un partenaire junior, le MoD a déclaré que la mission faisait «partie de l’inclinaison du Royaume-Uni vers la région indopacifique… elle contribuera à atteindre l’objectif du Royaume-Uni d’un engagement plus profond dans la région indopacifique pour soutenir la prospérité partagée et la stabilité régionale».

La mission a été décrite par le ministre de la Défense Ben Wallace comme faisant partie de la stratégie de la Grande-Bretagne post-Brexit pour sécuriser les marchés: «Lorsque notre groupe d’attaque de porte-avions prendra la mer le mois prochain, il portera le drapeau de la Grande-Bretagne mondiale, projettera notre influence, signalera notre puissance, s’engagera avec nos amis et réaffirmera notre engagement à relever les défis de sécurité d’aujourd’hui et de demain…» Le déploiement montre que la Grande-Bretagne est prête à «jouer un rôle actif dans le façonnement du système international du 21e siècle».

La semaine dernière, après une longue campagne menée par les principaux bellicistes de l’establishment politique, les députés ont voté, sur la base d’affirmations non fondées, que la Chine menait un «génocide» contre les musulmans ouïghours. La Grande-Bretagne rejoint le gouvernement américain et seulement trois autres corps législatifs: la Belgique, les Pays-Bas et le Canada, pour accuser Pékin de génocide.

La Chambre des communes a adopté à l’unanimité une motion non contraignante présentée par la députée conservatrice Nusrat Ghani qui déclare: «Les Ouïghours et les autres minorités ethniques et religieuses de la région autonome ouïghoure du Xinjiang sont victimes de crimes contre l’humanité et d’un génocide; et l’on demande au gouvernement d’agir pour qu’il remplisse ses obligations en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et à tous les instruments pertinents du droit international afin d’y mettre un terme».

Ghani est l’un des cinq députés britanniques sanctionnés par la Chine le mois dernier, aux côtés de plusieurs groupes de pression anti-chinois tels que China Research et la Commission conservatrice des droits de l’homme. Cette mesure faisait suite aux sanctions coordonnées prises par le Royaume-Uni, l’Union européenne, les États-Unis et le Canada à l’encontre de responsables chinois dans le but d’exacerber les tensions géopolitiques.

Au nom du Parti travailliste d'opposition, le ministre fantôme des Affaires étrangères, Stephen Kinnock, a déclaré que le parti soutenait la motion, car «on ne peut demeurer indifférent ou ne pas agir devant un génocide».

Ce vote marque une nouvelle montée en puissance des faucons anti-Chine, menés par l’ancien chef du Parti conservateur, Iain Duncan Smith. Ils ont essayé sans succès d’introduire un projet de loi qui donnerait à la Haute Cour du Royaume-Uni le droit de décider si un pays commet un génocide. En mars, Smith a échoué pour la troisième fois à obtenir un amendement au projet de loi sur le commerce, dans le but de l’utiliser pour renforcer les sanctions et autres mesures contre la Chine sur la base des allégations de «génocide». Le premier ministre Boris Johnson tente de trouver un équilibre entre Washington et Pékin.

Témoignant de l’escalade de la fièvre guerrière parmi les puissances impérialistes, la Chine et la Russie dans leur ligne de mire, a été la réponse belliqueuse des principaux députés conservateurs – qui entretiennent des liens étroits avec l’armée – qui soutiennent que la mission de mai en mer de Chine méridionale n’était pas assez provocatrice. Reprenant à leur compte les récentes déclarations du gouvernement Biden et du commandant de la flotte américaine du Pacifique, l’amiral John Aquilino, affirmant que Taïwan est «la poudrière la plus importante qui pourrait conduire à une guerre à grande échelle» entre les États-Unis et la Chine, les députés ont exigé que le groupe de frappe entre également dans le détroit de Taïwan lors de son voyage vers le Japon.

Duncan Smith a déclaré au Telegraph: «Je suis heureux que le porte-avions soit déployé en mer de Chine méridionale, mais on doit compléter ce processus en faisant savoir aux Chinois que l’on condamne leurs actions très agressives contre leurs voisins en naviguant dans le détroit de Taiwan».

Il a reçu le soutien de Tobias Ellwood, président de la Commission de la défense, qui a déclaré que la mission Indo-Pacifique avait été «déployée comme une importante déclaration d’intention» mais qu’il craignait qu’elle ne soit «diminuée» par «crainte d’offense». Le fait d’éviter le détroit de Taïwan va à l’encontre du «but» de l’opération, qui «est de s’opposer à l’autoritarisme de la Chine».

De tels commentaires donnent un aperçu de la pensée dérangée de certains cercles dirigeants et des hauts gradés de l’armée, qui envisagent un conflit armé avec des puissances nucléaires.

À la suite de l’examen de la Défense britannique, le Telegraph a publié un «reportage spécial» du correspondant étranger Roland Oliphant, intitulé «Les arsenaux militaires de la Chine et de la Russie sont d’une ampleur terrifiante, mais comment se comporteraient-ils en situation de combat?»

Il décrit la marine chinoise comme étant «déjà la plus grande du monde avec environ 350 navires et sous-marins, dont plus de 130 grands navires de surface. Elle devrait avoir cinq porte-avions à flot d’ici 2030 et développe rapidement sa flotte de contre-torpilleurs. Elle a développé des missiles de croisière et balistiques de précision à longue portée, des radars d’alerte avancée et des systèmes de défense aérienne qui lui permettent de dominer l’espace aérien jusque dans le Pacifique». De plus, «elle a récemment dévoilé des armes hypersoniques conçues pour s’attaquer aux groupes de porte-avions américains».

Tout cela n’est pas bien grave, ajoute-t-il, car «l’Armée populaire de libération [plus de 2 millions de membres actifs et plus d’un million de réservistes] n’est pas nécessairement invincible. L’armée est confrontée à des défis majeurs en matière de personnel, luttant pour recruter, former et conserver des soldats professionnels et faisant face à un problème de moral alimenté par la corruption perçue. Et elle n’a pas fait la guerre depuis plus de 40 ans».

(Article paru en anglais le 30 avril 2021)

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