Philippines: des milliers de personnes affluent vers les banques alimentaires de fortune alors que le COVID-19 se propage rapidement

Un mouvement d'entraide populaire, sous la forme de banques alimentaires de fortune, se développe aux Philippines au milieu d’une pandémie de COVID-19 qui fait rage et de la politique d'immunité collective des élites dirigeantes. Ces banques alimentaires sont installées en bord de rue, souvent sur seul un étal en bois chargé de produits alimentaires de base.

Des sections de travailleurs plus à l’abri de la pénurie alimentaire, d'indépendants et de petits entrepreneurs se sont spontanément mobilisés pour donner le petit plus dont ils disposaient aux pauvres totalement démunis et aux chômeurs qui, par milliers, supportent de longues files d'attente pour trouver de quoi nourrir leurs familles.

Des habitants font la queue pour de la nourriture gratuite dans une banque alimentaire de fortune à Quezon City, aux Philippines, le jeudi 29 avril 2021 (AP Photo / Aaron Favila )

Le mouvement a été initié le 14 avril lorsqu'Ana Patricia Non, 26 ans, propriétaire d'une petite entreprise de fabrication de meubles, a installé un étal en bois dans la rue Maginhawa à Quezon City. Il y avait quelques légumes, des oranges, des conserves et des sacs de riz et deux panneaux. L’un disait «Maginhawa banque alimentaire» et le second, traduit du philippin, «Donnez ce que vous pouvez, prenez ce dont vous avez besoin.»

Le deuxième jour de l’initiative de Mme Non, ABS-CBN news a rapporté que parmi ses «clients» se trouvait une balayeuse de rue. Elle s'était arrêtée pendant son nettoyage et avait mis en sac une tête de chou, un navet, une chayotte et une orange. Elle avait prévu, dit-elle, après son travail, de mélanger les légumes avec des sardines pour ses enfants. Ce serait le premier produit qu'elle rapporterait à la maison en deux semaines, lors de sa dernière paye.

«Cela a été vraiment difficile ces jours-ci. Au lieu d'acheter ce dont nous avons besoin, nous sommes obligés de vivoter parce que j'ai tellement d'enfants », a cité le site d'information.

Le site a également rapporté qu'un couple de personnes âgées, qui avait fouillé dans les ordures, avait pris des bananes, des légumes verts et quelques capsules de vitamines de la banque alimentaire. «Je n'ai vraiment rien, aucun espoir», a déclaré l'homme, qui portait des béquilles.

Dans son premier message sur Facebook annonçant l'ouverture de son étal et appelant au soutien, Mme Non a souligné: «Cela ne répondra pas à la cause profonde de la faim, mais cela servira à conjurer les affres de la faim de ceux qui en ont besoin. C'est dur de travailler, d'étudier et de lutter le ventre vide ... »[notre traduction].

À ce jour, le message de Non a été partagé plus de 15 000 fois et a recueilli 32 000 mentions ‘J'aime’. Dans les semaines qui ont suivi, ce premier étal a servi plus de 3 000 personnes. Selon le site Web Saan May community pantry ? [Où se trouve une banque alimentaire populaire?], 725 ont été installées aux Philippines. Selon un reportage, une banque alimentaire improvisée a même été établie au Timor oriental.

Les images des médias révèlent combien la population est désespérée pour obtenir les ressources de base. Des foules de centaines de personnes s’alignent sur le trottoir pour essayer d'obtenir quelques légumes gratuits et un ou deux produits en conserve. Les queues commencent souvent à se former à trois heures du matin. Un vieil homme, qui travaillait comme vendeur au bord de la route, est décédé des suites d'un coup de chaleur la semaine dernière alors qu'il faisait la queue pour recevoir quelques aliments gratuits. Il faisait la queue depuis bien avant l'aube.

L'apparition de banques alimentaires de fortune et les longues files d'attente de pauvres dénués de tout soulignent la calamité sociale continue infligée par l'élite dirigeante aux travailleurs et aux masses pauvres des Philippines.

En mars de l'année dernière, le gouvernement du président Rodrigo Duterte a imposé le plus long confinement militarisé au monde. Cela ne visait pas à mettre fin à la transmission communautaire du virus, mais à réguler son impact sur le système de santé totalement inadéquat et délabré du pays. Les travailleurs ont été maintenus au travail dans des usines et des bureaux peu sûrs, garantissant que les profits capitalistes continuent d'être générés tout en faisant porter le coût financier, social et économique de la catastrophe aux masses ouvrières.

Entre janvier 2020 et février 2021, selon ABS-CBN, 50.0451 travailleurs ont été licenciés à la suite du confinement national. En février 2021, 4,2 millions de personnes de plus de quinze ans étaient au chômage et 7,9 millions sous-employées ou en temps partiel imposé. Lorsque le niveau le plus strict du confinement militarisé a été rétabli à la fin de mars 2021 dans la Région de la capitale nationale et les quatre provinces environnantes, 118 210 travailleurs ont été licenciés.

L’entreprise de sondage Social Weather Station a rapporté que lors de leur dernier sondage en face à face en novembre 2020, environ 2 millions de familles étaient tombées dans la pauvreté et 4 millions de familles avaient souffert de la faim. Dans la seule région métropolitaine de Manille, la capitale du pays, on estime que 780.000 familles ont souffert de la faim en 2020.

Pourtant, alors que des millions ont perdu leur emploi, souffert de la faim ou été renvoyés au travail malgré une pandémie en plein essor, les grands capitalistes philippins, comme leurs homologues du monde entier, engrangent des revenus records. Forbes a rapporté que les 17 milliardaires des Philippines ont augmenté leur richesse combinée à plus de 45,6 milliards de dollars. Le magnat de l'immobilier et ancien sénateur Manuel Villar, en tête de la liste des milliardaires, a augmenté sa richesse de 28,6 pour cent à 7,2 milliards de dollars. Au deuxième rang, le magnat des terminaux portuaires Enrique Razon Jr. a augmenté sa richesse de 43,3 pour cent pour atteindre 5 milliards de dollars. Et au troisième rang, Lucio Tan, avec des intérêts dans le tabac, l'alcool et les banques, a vu sa richesse bondir de 94 pour cent pour atteindre 3,3 milliards de dollars.

Au 1er mai, le pays avait enregistré 1.046 653 cas d’infection au COVID-19 et 17 145 morts. Le taux d'infection est maintenant plus élevé que lorsque la pandémie a commencé il y a plus d'un an.

Malgré une flambée massive de nouvelles infections depuis qu’on a tenté de rouvrir centres commerciaux et entreprises non essentielles fin février, la réponse du gouvernement continue d'être motivée par le désir de sauver l'argent, pas les vies.

Les tests ont été limités à environ 50 000 par jour, loin des 150 000 à 200 000 par jour que les experts de la santé ont déclarés nécessaires pour suivre la transmission virale. Le taux de positivité, par conséquent, n'a jamais baissé aux 5 pour cent recommandés par l'Organisation mondiale de la santé mais a oscillé à 20 pour cent. La recherche des contacts a également été extrêmement limitée, à seulement 3 contacts pour chaque personne infectée au lieu des 30 à 35 contacts recommandés par cas.

Le budget national 2021 nouvellement approuvé a alloué au ministère de la Santé une somme criminellement dérisoire de 5 pour cent d’un total de 93 milliards de dollars, et seulement 42 millions de dollars pour l'achat de vaccins contre le COVID-19 pour plus de 70 millions de personnes, l'objectif fixé par le gouvernement pour atteindre l’immunité collective. Le peu de ressources allouées par la classe dirigeante pour faire face à la pandémie a été mis en évidence par un rapport publié par Rappler qui indiquait que même dans le meilleur des cas, plus de 36 000 médecins devaient être embauchés cette année pour répondre aux exigences du traitement de la pandémie. Le budget national a alloué des fonds pour l'embauche de seulement 744 médecins.

La volonté des travailleurs ordinaires d'aider ceux qui sont moins bien lotis contraste nettement avec la négligence maligne du gouvernement, de l'establishment politique dans son ensemble et des grandes sociétés qu'ils représentent.

(Article paru en anglais le 5 mai 2021)

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