Une nouvelle estimation de la «surmortalité» mondiale des décès causés par le coronavirus dresse un portrait vraiment déchirant de l’état réel de la pandémie en cours. Alors que le bilan officiel de la pandémie fait état de plus de 3,26 millions de morts dans le monde, l’étude estime le nombre de morts à 6,93 millions.
L’étude a été réalisée par l’Institut de métrologie sanitaire et d’évaluation (Institute for Health Metrics and Evaluation – IHME), un centre de recherche de l’université de Washington. Tout au long de la pandémie, le Dr Chris Murray et son équipe ont cherché à utiliser des méthodes numériques pour suivre et prévoir les cas et les décès causés par la pandémie, et ils sont souvent cités par divers organismes et départements du gouvernement des États-Unis.
Toutefois, comme le notent les auteurs, ces rapports, fondés sur des statistiques enregistrées officiellement, sont par nature des sous-estimations. La quantité de tests et de rapports sur les décès dans les pays, ainsi que dans les États et les provinces de ces pays, évolue dans le temps et varie considérablement d’un pays à l’autre. Les cas déclarés sont également sujets à des manipulations pour des raisons politiques.
En estimant la surmortalité d’une région donnée – c’est-à-dire le nombre de décès qui dépassent les moyennes calculées précédemment pour une période définie – les chercheurs de l’IHME ont pu obtenir une image plus solide de l’état désastreux de la propagation de la maladie dans chaque pays étudié, car les décès dans leur ensemble sont généralement enregistrés avec un certain degré de précision. Fait important, pour la première fois depuis le début de la pandémie, cette analyse porte sur les décès excédentaires sur l’ensemble de la planète.
«Une fois que nous avons terminé cette analyse», a déclaré Murray dans une interview qui accompagnait la publication des données, «notre compréhension de l’ampleur du COVID à ce jour est bien pire que ce que nous pensions jusqu’à présent. Nous avons estimé à ce jour que 6,9 millions de personnes sont déjà mortes du COVID dans le monde».
En nombre absolu de décès, ce sont les États-Unis, l’Inde, le Mexique, le Brésil et la Russie qui comptent le plus de décès causés par le COVID-19. Aux États-Unis, plus de 905.000 personnes sont mortes, soit 58 pour cent de plus que ce qu’indiquent les registres. En Inde et au Mexique, les décès s’élèvent respectivement à 654.000 et 617.000, soit près du triple des décès officiellement reconnus. Au Brésil, le nombre ajusté de morts s’élève à près de 596.000, soit environ 46 pour cent de plus que les chiffres officiels. En Russie, le nombre de décès en excès est à peu près le même qu’au Brésil, soit 593.000, ce qui signifie que le nombre de morts dans ce pays a été sous-estimé au moins par un facteur de cinq, soit environ le double des estimations précédentes de surmortalité.
D’autres pays présentaient des ratios encore plus élevés de surmortalité par rapport à la mortalité déclarée. Au Japon, on a estimé que le nombre de morts était plus de 10 fois supérieur à celui annoncé par le pays. En Égypte, sous le joug d’une dictature militaire sanguinaire soutenue par les puissances impérialistes, l’IHME rapporte que la pandémie a fait plus de 12 fois plus de victimes que ce que ce régime avait déclaré. Et au Kazakhstan, le nombre total de décès dus au COVID-19 est au moins 14 fois supérieur aux chiffres du gouvernement.
Il est à noter que ces chiffres ajustés révèlent un nombre élevé de décès dans des régions entières qui, jusqu’à présent, avaient rapporté un nombre relativement faible de décès dus au COVID-19. En Afrique subsaharienne, par exemple, le rapport entre le nombre de cas réels et le nombre de cas déclarés varie de 1,6 à 4,1, ce qui suggère que des dizaines de milliers de vies humaines supplémentaires ont été fauchées dans ces pays. Une situation similaire existe dans le sous-continent indien et dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est et du Pacifique.
Les taux de mortalité liée au COVID-19, en nombre de décès pour 100.000 personnes, révèlent des désastres tout aussi frappants dans d’autres parties du monde, notamment l’Europe de l’Est, les Balkans et l’Amérique latine. Ce sont toutes des régions ayant subi une baisse drastique de leur niveau de vie au cours des trois dernières décennies à cause de la restauration du capitalisme après la dissolution de l’URSS et des intrigues et guerres impérialistes. En Azerbaïdjan, par exemple, le taux de mortalité pandémique officiel est de 44,6 par cent mille alors que les chiffres de surmortalité donnent un taux estimé à 648,8 par cent mille, soit une multiplication par plus de 14. Au Belarus, le taux de mortalité réel estimé est près de 17 fois supérieur aux chiffres officiels, soit près de 460 morts pour cent mille habitants.
En outre, contrairement aux études précédentes sur la surmortalité, le modèle actuel de l’IHME a pris soin, dans la mesure du possible, de ne pas inclure les décès qui ne seraient pas directement causés par le virus lui-même. Les chercheurs ont analysé six «facteurs de mortalité toutes causes confondues» liés à la pandémie, des catégories générales qui constituent le nombre de décès excédentaires. Il s’agit du COVID-19 lui-même; des décès causés par le retard ou le report des soins de santé; des décès dus à l’augmentation des troubles mentaux et de la consommation de drogues; de la réduction du nombre de décès par blessures en raison des mesures de confinement et de distanciation sociale; de la diminution du nombre de décès dus à d’autres maladies, y compris la grippe et la rougeole; et de la réduction du nombre de décès dus à des maladies cardiaques ou pulmonaires parce que beaucoup de ces personnes sont mortes prématurément à cause du coronavirus.
Les prévisions ont également utilisé des données hebdomadaires et mensuelles sur l’ensemble des décès, plutôt que des données annuelles, afin d’obtenir une vision très granulaire de l’évolution des taux de mortalité dans les différents pays au fil du temps.
Cette approche a permis à l’équipe de l’IHME de calculer avec précision les décès causés par le coronavirus, même dans les endroits où la surmortalité a en fait diminué pour les raisons susmentionnées, tout en faisant la distinction entre les décès causés par le virus lui-même et ceux causés par l’impact de la pandémie sur la société. Au total, les scientifiques ont pu exclure 615.000 décès survenus à partir de mars 2020, ce qui donne une image très claire du bilan colossal de la pandémie.
Les données suggèrent également de nombreux domaines à étudier sur le coût humain indirect du coronavirus. Elles montrent, par exemple, que les décès dus aux opioïdes aux États-Unis ont augmenté d’environ 15.000 l’année dernière, probablement en raison de l’augmentation de l’anxiété et de la dépression provoquée par l’immense crise sociale.
En outre, l’étude indique clairement que même ses calculs de surmortalité extrêmement élevés sont probablement une sous-estimation. En Europe, ils ont exclu les données pendant cinq semaines de la fin de l’été, lorsqu’une vague de chaleur a rendu beaucoup plus difficile l’estimation précise des décès par COVID-19. Ils n’ont pas non plus été en mesure d’utiliser les données sur les décès toutes causes confondues du Brésil. Ce dernier a souffert d’un enregistrement incomplet des décès depuis le début de la pandémie et a été contraint d’utiliser un enregistrement secondaire à la place.
Les auteurs notent en outre que «Au fur et à mesure que les preuves se renforceront dans les mois et les années à venir, c’est probable que nous réviserons à la hausse nos estimations du taux de mortalité total du COVID-19 dans les futures itérations de ce travail». Cela sera sans doute particulièrement vrai pour des régions comme l’Afrique subsaharienne, où même les décès déclarés, qui sont le critère de cette méthode, sont difficiles à obtenir avec une quelconque spécificité et sont généralement sous-comptés.
Un aveu aussi franc sur la catastrophe mondiale en cours ne doit pas terrifier mais galvaniser l’ensemble de la classe ouvrière. Le coût en vies humaines est plus du double des chiffres officiels, et probablement encore plus élevé. Et comme de nouveaux variants se propagent sans contrôle dans des pays comme l’Inde, le nombre de morts atteint déjà de nouveaux sommets. Pour éviter des millions de morts supplémentaires, il faut enlever la réponse à la pandémie des mains des politiciens et des oligarques qui ont «laissé les corps s’empiler par milliers» au moyen de la lutte de classe et du combat pour le socialisme.
(Article paru en anglais le 7 mai 2021)