Des milliers de migrants travaillent dans des conditions dangereuses dans les exploitations agricoles du Canada en pleine troisième vague mortelle de la COVID-19

Alors que la saison des plantations du printemps est bien entamée, des dizaines de milliers de travailleurs migrants sont arrivés dans les exploitations agricoles canadiennes au milieu de la troisième vague de la pandémie de coronavirus. L’an dernier, quelque 2000 travailleurs agricoles ont contracté la COVID-19 et au moins trois en sont morts. La situation était si alarmante que le Mexique a dû suspendre temporairement les déplacements des travailleurs migrants vers le Canada.

Les travailleurs migrants, principalement originaires du Mexique et des Caraïbes, constituent une part importante de la main-d’œuvre agricole du Canada. (Source: Migrant Workers Alliance for Change)

Un an plus tard, rien n’a fondamentalement changé en termes de protection des travailleurs migrants. Le maigre investissement de 59 millions de dollars annoncé en juillet dernier par le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau a surtout servi à augmenter modestement les inspections. Dans la plupart des cas, celles-ci n’aboutissent à aucune action contre les employeurs sans scrupules, et à une tape sur la main pour une poignée de pommes pourries au comportement particulièrement scandaleux. Pendant ce temps, des milliers de travailleurs seront toujours entassés dans des dortoirs surpeuplés, avec le risque supplémentaire d’attraper de nouveaux variants du virus, plus contagieux et plus mortels, qui frappent des travailleurs dans la fleur de l’âge.

Comme l’a fait remarquer le directeur général de la Migrant Workers Alliance for Change (Alliance des travailleurs migrants pour le changement), Syed Hussan, l’investissement des libéraux «ne protège pas les migrants... Il garantit simplement que les gens se présenteront au travail.»

Plus de 760 travailleurs migrants ont déjà été infectés par la COVID-19 en Ontario cette année.

Mardi, un rapport préparé par le coroner en chef adjoint de l’Ontario sur les décès dus à la COVID-19 survenus l’an dernier chez les travailleurs agricoles migrants mexicains Bonifacio Romero, Rogelio Santos et Juan Chapparo a été publié. Il affirme l’évidence – les travailleurs agricoles migrants courent un risque plus élevé d’attraper la COVID-19 et d’autres maladies infectieuses que la population générale – et formule quelques timides recommandations visant à perpétuer le système canadien d’exploitation des travailleurs agricoles migrants. Ces recommandations comprennent la mise en place d’une ligne téléphonique d’information, des tests asymptomatiques aléatoires et la création de chambres d’isolement dans les fermes.

Il est peu probable que le gouvernement de l’Ontario, qui a impitoyablement ordonné l’an dernier aux travailleurs agricoles migrants de continuer à travailler même s’ils étaient infectés, adopte même ces propositions symboliques et inadéquates.

Montrant que les gouvernements fédéral et provinciaux n’ont aucune intention réelle d’améliorer la sécurité des travailleurs, Ottawa a annoncé le mois dernier un nouveau système qui autorise les travailleurs arrivant de l’étranger à effectuer la quarantaine de trois jours imposée par le gouvernement fédéral dans la ferme de leur employeur plutôt que dans des hôtels désignés. Cette mesure est entièrement dans l’intérêt des propriétaires de fermes, qui n’auront pas à payer les frais d’hôtel. De plus, elle facilitera la propagation du virus puisque les travailleurs potentiellement asymptomatiques seront mis en quarantaine dans des dortoirs bondés.

La pandémie a mis à nu les conditions barbares dans lesquelles les migrants sont systématiquement contraints de travailler et de vivre au profit de l’industrie agroalimentaire. Environ 60.000 travailleurs migrants, originaires pour la plupart du Mexique et des Caraïbes, sont employés chaque année par l’agriculture canadienne, dont 25.000 pour la saison des semences du printemps, au premier trimestre de l’année. Un tiers de ces travailleurs sont employés dans des fermes ontariennes.

Les travailleurs agricoles migrants passent en moyenne 17 à 20 semaines au Canada chaque année, entre le 1er janvier et le 15 décembre. Ils effectuent des travaux manuels dans quelque 1800 fermes réparties dans neuf provinces, dont près de 1600 en Ontario. Collectivement, ces fermes produisent une part importante des fruits et légumes, des fleurs, du tabac, du miel, des produits de pépinière, des arbustes et de la tourbe produits au Canada. Certains migrants travaillent également dans des conserveries et des usines de transformation et d’emballage.

Comme le travail saisonnier représente 53 % de la main-d’œuvre agricole rémunérée au Canada, le recrutement d’une main-d’œuvre internationale bon marché, parfois appelé «le sale petit secret du Canada», est essentiel et très lucratif pour le secteur agricole du pays. Selon l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire, le Canada est le cinquième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires, avec des exportations totales estimées à 56 milliards de dollars par an.

Alors que des centaines de travailleurs agricoles ont été infectés par la COVID-19 au cours de la première vague de la pandémie au printemps 2020, certains médias ont diffusé des reportages montrant comment les dortoirs sordides et exigus dans lesquels vivent de nombreux travailleurs agricoles ont contribué à la propagation du virus. Les reportages ont également détaillé comment certains travailleurs devaient travailler de 12 à 14 heures par jour, parfois sous une pluie battante, pour compenser la pénurie de main-d’œuvre.

Même avant la pandémie, les travailleurs agricoles étaient confrontés à de nombreuses barrières structurelles tels que la langue (français et anglais), l’accès limité, voire inexistant, à des soins de santé et des services sociaux adéquats, un statut migratoire précaire, l’inéligibilité aux prestations sociales et l’exposition à des pratiques et conditions de travail abusives. Même s’ils effectuent un travail éreintant, ils ne reçoivent pas une rémunération adéquate pour eux-mêmes et leur famille restée à la maison.

Les postes de travailleurs agricoles saisonniers sont de plus en plus difficiles à pourvoir en raison des conditions de travail précaires et dangereuses. Le Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) a été créé en 1966 et révisé en 1974 pour aider les producteurs saisonniers canadiens à faire face aux pénuries chroniques de main-d’œuvre. Les droits des travailleurs ont toutefois été constamment mis de côté. Dans le cadre du PTAS, les travailleurs migrants n’ont pas droit aux soins de santé publics (même pendant la pandémie) et ne sont pas autorisés à demander la résidence permanente.

La violation par le Canada des droits des travailleurs migrants, l’une des sections les plus exploitées de la classe ouvrière, fait exploser le mythe du pays champion des droits de l’homme. Avec le soutien total des gouvernements fédéraux et provinciaux de toutes allégeances politiques, les grandes entreprises agricoles violent les droits des migrants, profitant de travailleurs issus de milieux difficiles et pauvres, manquant d’éducation et de compétences.

Les conditions de travail brutales auxquelles sont confrontés les travailleurs migrants, dont le statut d’immigration précaire est lié à l’appréciation de leur employeur, sont en ligne avec la participation de l’impérialisme canadien aux guerres d’agression menées par les États-Unis dans le monde entier et du traitement des travailleurs des pays moins développés par les multinationales canadiennes. Lorsque leurs contrats saisonniers sont terminés, les travailleurs migrants temporaires retournent dans leur pays d’origine où ils subissent les conséquences inhumaines du capitalisme: pauvreté, chômage, cartels de la drogue, violence et autres maux socio-économiques produits par les États-Unis, le Canada et d’autres pays impérialistes.

Les appareils syndicaux tels que le syndicat des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) sont complices de l’exploitation de ces travailleurs. Ils agissent essentiellement comme une agence de recrutement pour les propriétaires agricoles et les laquais des profiteurs de l’agriculture. Comme pour le reste de la classe ouvrière, les syndicats font respecter les exigences des gouvernements et des sociétés et répriment toute opposition parmi les travailleurs. Dans un exemple révélateur, en 2016, certains travailleurs se sont plaints que les TUAC avaient négocié une augmentation de 0,15 $ de l’heure, mais qu’ils leur avaient fait payer 4 $ par semaine en cotisations syndicales.

(Article paru en anglais le 28 avril 2021)

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