Le Parti vert du Canada en proie à une guerre de factions

Un conflit amer entre factions a éclaté au sein du Parti vert du Canada. Cinquième parti au parlement avec trois députés, les Verts restent un acteur relativement mineur de la vie politique bourgeoise. Mais le conflit, alimenté par une forte dose de politique identitaire racialiste, a été repris par des sections plus larges de la classe moyenne privilégiée et par les libéraux du Toronto Star pour soutenir leur récit réactionnaire selon lequel l’identité raciale et de genre, et non la classe sociale, sont les principales divisions de la vie politique, économique et sociale contemporaine.

Annamie Paul lors de sa tentative infructueuse de remporter un siège à la Chambre des communes en 2019. (Wikipedia)

Tirant parti de son statut de «femme juive noire», Annamie Paul a remporté l’automne dernier une élection très disputée pour le poste de chef du Parti vert. En tant que successeur de la chef de longue date des Verts, Elizabeth May, qui, avec le reste de l’establishment du Parti vert, a soutenu sa candidature, Paul est devenue la première femme noire à diriger un parti politique fédéral au Canada. Comme on pouvait s’y attendre, ce développement a suscité un torrent de couverture médiatique favorable. À l’unisson, les médias ont salué le caractère «historique» de la victoire de Paul, même si cette ancienne diplomate canadienne et avocate en «droits de l’homme» n’avait aucun désaccord politique perceptible avec May, dont les liens étroits avec le gouvernement libéral de la grande entreprise du premier ministre Justin Trudeau et le soutien au réarmement canadien et aux guerres impérialistes au Moyen-Orient sont largement connus.

L’exagération de l’exploit «historique» de Paul ne peut être comprise en dehors du rôle primordial que la politique identitaire en est venue à jouer dans la politique de l’establishment, avec les âneries sur les «droits de l’homme» et une «politique étrangère féministe» utilisées comme couverture «progressiste» pour l’affirmation agressive des intérêts prédateurs de l’impérialisme canadien sur la scène mondiale.

Au début du mois d’avril, le Star a publié une «enquête» sensationnaliste prétendant que Paul était victime d’un «racisme systémique» au sein du Parti vert. L’article rapportait que des alliés de May au sein des instances dirigeantes du parti faisaient obstruction à la direction de Paul, qu’on avait demandé à Paul de rembourser 50.000 $ pour une campagne d’élection partielle qu’elle avait perdue, qu’elle avait travaillé pendant trois mois sans contrat de travail et que ses adversaires avaient rejeté certaines des nominations de Paul à des postes de direction.

En réalité, l’article du Star reposait presque entièrement sur une fuite délibérée d’un seul fidèle de Paul, Sean Yo. Directeur de la campagne infructueuse de Paul pour l’élection partielle de Toronto Centre, Yo a lui-même involontairement dévoilé la nature peu convaincante des allégations. Il n’a pu citer aucun incident raciste concret ni aucune question politique – seulement la couleur de peau des adversaires politiques de Paul! «Je veux être très clair: je n’essaie pas de dépeindre cette organisation comme ouvertement raciste. Je dis qu’il y a eu des défis prolongés et profonds empêchant qu’Annamie soit efficace dans ce rôle... et j’observe que le niveau de direction de cette organisation est principalement blanc. En 2021, cela signifie quelque chose», a affirmé Yo.

Pour les représentants de la classe moyenne prospère comme Yo, qui aspirent à des postes de direction au sein de l’élite politique et du monde des affaires, cela signifie certainement «quelque chose». Les accusations concernant le nombre disproportionné de Blancs dans les comités ou conseils d’administration, que ce soit au sein du Parti vert ou d’une grande entreprise, sont l’un des mécanismes par lesquels les membres privilégiés de la classe moyenne noire et des autres minorités utilisent l’accusation de «racisme» pour leur propre promotion. Leur objectif est l’«équité», c’est-à-dire une répartition «égale» des positions de pouvoir et de privilège au sein de l’État capitaliste, des universités et des entreprises privées entre les 5 ou 10% les plus riches de la population, en fonction des catégories de genre, d’ethnicité et d’orientation sexuelle. Pendant ce temps, le fossé social qui se creuse entre la majorité de la classe ouvrière et les 10% les plus riches, ainsi que ses fondements capitalistes, restent intacts.

Aucun désaccord politique majeur entre la faction de Paul et les loyalistes de l’ancienne chef May n’a encore été rendu public. Au contraire, les deux factions ont soutenu la poursuite de la politique de droite du Parti vert, notamment en appuyant la campagne de la classe dirigeante visant à maintenir ouvertes les entreprises non essentielles pendant la pandémie, en faisant l’éloge du président américain Joe Biden et en soutenant très bruyamment la campagne anti-chinoise agressive de l’élite dirigeante canadienne. Tout au plus, il semble y avoir certaines divisions sur les tactiques électorales, la faction autour de Paul semblant préconiser une approche plus conflictuelle à l’égard des libéraux en prévision des élections, et faisant des appels à la politique identitaire un élément plus central de la stratégie électorale des Verts.

Au fond, la lutte des factions tourne autour des positions au sein de la direction du parti. Paul se serait opposé à une décision prise par la faction de May de nommer cinq nouveaux membres au Fonds du parti vert, qui est chargé de réaliser les transactions commerciales du parti, sans ouvrir les postes aux nominations. Matthew Piggott, un fidèle de Paul, a également été démis de ses fonctions de directeur national pour la prochaine campagne électorale fédérale dans des circonstances obscures au début mars, et Dana Taylor a été nommée par le conseil fédéral des Verts au poste de directrice générale nationale du parti, malgré les objections de Paul. Les alliés de May, pour leur part, ont répondu aux accusations d’opposition fondée sur l’identité raciale par leurs propres revendications fondées sur la politique identitaire, en faisant circuler une lettre ouverte qui dénonce la «désignation contre-productive des femmes comme boucs émissaires.»

Le Parti vert a connu une course à la direction divisée en 2020, opposant l’establishment du parti, représenté par Paul, à divers éléments de pseudo-gauche. Ces forces comprenaient Action socialiste, qui a déployé son propre membre, Dimitri Lascaris, dans la course à la direction. L’«écosocialisme» prôné par Lascaris n’avait absolument rien à voir avec le socialisme, se résumant à des appels de type «Green New Deal» en faveur de réformes sociales timides et de mesures économiques protectionnistes visant à promouvoir le «capitalisme vert.» Le bon résultat de Lascaris dans la compétition, qui a terminé avec un à peine 2000 voix de moins que Paul, a déclenché des affirmations absurdes parmi divers groupes de la pseudo-gauche, selon lesquelles les Verts pourraient devenir un instrument de radicalisation des travailleurs et même de lutte pour le socialisme. En réalité, ce petit parti de la petite bourgeoisie privilégiée, comme les partis verts du monde entier, n’a pas et n’a jamais eu de lien avec la classe ouvrière. S’il peut susciter l’intérêt d’une petite partie de la jeunesse politiquement désorientée, c’est avant tout en raison de la dérive vers la droite du NPD social-démocrate et de ceux qui le soutiennent dans les syndicats au cours des quatre dernières décennies. (Voir: Le Parti vert du Canada choisit un nouveau chef: Plusieurs fraudes politiques pour le prix d’une)

Cela dit, une partie de l’élite dirigeante considère les Verts comme un mécanisme politique utile qui pourrait être appelé à jouer un rôle politique plus important plus tôt que beaucoup ne le pensent. La réponse criminelle de la classe dirigeante à la pandémie de COVID-19, qui a consisté à infecter en masse la population en maintenant les entreprises et les écoles ouvertes, à canaliser des centaines de milliards de dollars de fonds de «sauvetage» vers les grandes entreprises et l’oligarchie financière, et à fournir à peine plus que des rations d’urgence aux travailleurs et au système de santé, a profondément discrédité l’ensemble de l’establishment politique. Alors que les grèves et les protestations de la classe ouvrière contre les conditions de travail dangereuses et les attaques contre les salaires et les emplois se multiplient, la classe dirigeante pourrait décider qu’il est nécessaire de mettre en avant un nouveau piège politique pour les jeunes et les sections de la classe moyenne, avec un habillage pseudo-progressiste de politique identitaire racialiste pour couvrir le programme essentiellement de droite des Verts.

Cela explique pourquoi le Star a accordé une telle importance aux allégations aucunement corroborées de Yo, de la coordinatrice de la diversité du Parti vert, Zahra Mitra, et d’autres personnes non identifiées. Soulignant à quel point le racialisme enragé et la politique identitaire dominent les perspectives politiques des éléments de la classe moyenne supérieure et des sections «progressistes» de l’élite dirigeante associée au Star, il a rapporté favorablement la déclaration risible de Yo selon laquelle Paul – une politicienne bourgeoise ordinaire en devenir – est «l’une des figures les plus importantes de l’histoire politique canadienne.»

Quelques heures à peine après la publication de son «enquête», le Star a jeté de l’huile sur le feu de la dispute entre factions. Le chroniqueur principal Bob Hepburn a exhorté les adversaires de Paul à démissionner de leurs postes de direction au sein du parti, sans doute pour s’assurer qu’ils soient occupés «équitablement.» «Paul doit prendre le commandement du conseil fédéral», a entonné Hepburn. «Elle peut le faire en convainquant les loyalistes de May... de se retirer volontairement, ouvrant ainsi la voie aux membres du parti pour élire des loyalistes de Paul...» Pour faire bonne mesure, Hepburn a demandé à May de renoncer à son siège en Colombie-Britannique pour que Paul puisse entrer à la Chambre des communes en remportant «probablement le seul siège sûr des Verts dans le pays.»

En d’autres termes, soit May et ses alliés abandonnent volontairement leurs positions, soit ils sont chassés par une campagne immonde basée sur des allégations non prouvées de «racisme.» Comme le dit Zahra Mitra dans un courriel, la présence continue de May et de ses loyalistes «envoie aux participants en quête d’équité le message que le parti n’est pas un espace sûr pour eux.»

Si l’issue de cette querelle insipide reste incertaine, ce qui est clair, c’est que les Verts marchent au pas avec le reste de l’establishment politique, toujours plus à droite. Aucune des factions en compétition ne mérite la sympathie, et encore moins le soutien de la classe ouvrière.

Le fait que les Verts ne représentent pas une alternative au statu quo de la politique de droite proguerre et proaustérité est démontré par l’évolution de la situation en Allemagne, le pays qui a été le premier à donner naissance à un parti vert. Dans ce pays, les Verts apparaissent dans la campagne électorale fédérale actuelle comme le favori pour désigner le successeur de la chancelière Angela Merkel. La candidate principale des Verts, Annalena Baerbock, s’est fait un nom en tant que fervente partisane du réarmement militaire de l’OTAN et de l’Allemagne pour faire face à «l’agression russe» et, avec le reste de la direction des Verts, a pleinement approuvé la politique COVID-19 de l’élite dirigeante allemande, qui consiste à donner la priorité aux profits des entreprises plutôt qu’à sauver des vies. La dernière fois que les Verts ont siégé au gouvernement fédéral allemand, entre 1998 et 2005, ils ont été responsables de l’organisation de la première intervention militaire étrangère des forces armées allemandes depuis la Seconde Guerre mondiale, et ont coopéré avec les sociaux-démocrates pour imposer une attaque contre le système de protection sociale et les salaires et conditions de travail des travailleurs sous la bannière de l’«Agenda 2010.»

Le Parti vert au Canada jouerait un rôle politique non moins réactionnaire si on lui en donnait l’occasion.

(Article paru en anglais le 7 mai 2021)

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