Les travailleurs d’un projet énergétique au Bangladesh victimes d’une chasse aux sorcières après des meurtres policiers.

La semaine dernière, une haute cour bangladaise a ordonné au groupe S. Alam, un important conglomérat bangladais, de verser une indemnisation à la famille des travailleurs tués lorsque la police a brutalement attaqué une manifestation sur le chantier de la centrale électrique SS de Banshkhali, à Chittagong. Le projet financé par la Chine est construit par S. Alam.

Police du Bangladesh (Nahid Sultan/Wikimedia Commons)

Le 17 avril, la police locale a ouvert le feu sur 2.000 travailleurs qui protestaient sur le site. Cinq jeunes travailleurs ont été tués sur le coup et les tirs en ont blessé au moins 21 autres, dont certains grièvement. Un autre travailleur a succombé à ses blessures le même jour et un autre quatre jours plus tard. Selon des groupes de défense des droits de l’homme, une cinquantaine de personnes en tout ont été blessées dans l’attaque de la police.

Selon les médias, les personnes tuées sont: Shuvo (23), Rahat (24), Ahmad Reza (19), Raihan (17), Rony Hussain (22), Shimul Ahmed (19), Rajeul Islam (25). Ils font partie des centaines de milliers de jeunes travailleurs qui ont migré des zones rurales vers les centres urbains où ils sont durement exploités dans les secteurs de la construction, de l’habillement et d’autres industries.

La violence policière contre les travailleurs et les pauvres au Bangladesh s’intensifie sous le gouvernement de plus en plus autoritaire de la première ministre Sheikh Hasina.

Mardi soir, les médias bangladais ont rapporté que la police avait blessé par balle huit travailleurs de l’industrie de l’habillement du Ha-Meem Group à Gazipur, près de Dhaka, qui manifestaient pour réclamer un congé de ramadan de dix jours.

La décision rendue la semaine dernière à l’encontre du groupe S. Alam fut prise après que la haute cour a entendu deux pétitions émanant de groupes de défense des droits de l’homme. Elle a ordonné au conglomérat de verser, dans un délai de 45 jours, une indemnité de 500.000 taka (5.900 dollars américains) à chacune des familles des sept travailleurs décédés.

Si le tribunal a déclaré que les 3.600 dollars offerts par le S. Alam étaient insuffisants, le montant ordonné était lui aussi nettement insuffisant. Les groupes de défense des droits de l’homme qui ont déposé une requête auprès du tribunal avaient demandé une indemnisation de 353.000 dollars pour chacune des familles des défunts. Ils ont également demandé que les policiers assassins soient punis et que toutes les poursuites engagées contre les travailleurs soient annulées.

Cependant, la Haute Cour a simplement demandé que tous les rapports sur l’incident soient transmis aux comités qui enquêtent actuellement sur l’incident et a ordonné à l’État de répondre dans un délai de six semaines. Un des comités est dirigé par la police, l’autre par l’administration locale.

Les travailleurs de la construction de la centrale électrique SS protestaient contre des salaires impayés, des réductions imprévues de leurs heures de travail, pour des vacances de ramadan et des heures réduites pendant la fête religieuse. Selon certaines informations, l’employeur n’a pas payé les travailleurs depuis environ trois mois.

La direction de l’entreprise, l’administration régionale et la police mènent actuellement une chasse aux sorcières contre les travailleurs de la construction impliqués dans l’action de protestation.

Deux plaintes distinctes ont été déposées au poste de police de Banshkhali, accusant faussement plus de 3.500 travailleurs au sujet de la manifestation. L’administration régionale a également déposé des plaintes séparées. Les entreprises sous-traitantes qui embauchent les travailleurs de la construction ont déclaré aux médias et aux groupes des droits de l’homme que leurs salariés, craignant encore plus de harcèlement par la police, s’étaient cachés.

Les conditions de vie des travailleurs sur le site de la centrale électrique sont inhumaines: logements surpeuplés et insalubres, toilettes non hygiéniques et égouts adjacents qui débordent de déchets humains.

Abdul Gani, ouvrier du bâtiment, a expliqué aux médias comment les salariés sont exploités par les entreprises sous-traitantes. «Un syndicat prend 5.000 takas (59 dollars) d’avance pour le travail de l’ouvrier, 2.000 takas pour les vêtements et 10 pour cent du salaire mensuel de chaque ouvrier…»

«Avant le confinement [de COVID-19], nous travaillions 12 heures sans heures supplémentaires et le salaire était de 18.000 takas pour deux équipes. Après le confinement, les heures de travail ont été réduites à 10 heures, mais aucune heure supplémentaire n’a été [payée]».

S’adressant aux médias, des villageois vivant à proximité de l’énorme chantier ont dénoncé les précédents camouflages d’agressions policières dans la région. En avril 2016, quatre villageois ont été tués par la police, et un autre en février 2017, après avoir protesté contre l’acquisition forcée de leurs terres pour le projet de 3.000 acres.

Les membres de deux familles – un ayant perdu deux de ses frères et une autre ayant perdu son mari – ont précédemment déposé des plaintes pour meurtre contre la police. Mais comme le notait un éditorial de New Age le 30 avril, «l’enquête de police, menée pendant plus de trois ans, n’a pu identifier aucun des tueurs».

La manifestation de masse au projet de la centrale électrique SS a éclaté dans un contexte de colère croissante des travailleurs bangladais face à l’aggravation de la pandémie de COVID-19. Le chiffre officiel des décès dus au coronavirus, grossièrement sous-estimé, avoisine les 12.000 et le nombre total d’infections signalées dépasse depuis lundi les 775.000.

Alors que le gouvernement Hasina a décrété un confinement limité du 5 avril jusqu’au 16 mai, toutes les grandes entreprises continuent de fonctionner, faisant passer les profits avant la vie humaine.

Le Daily Star a noté le 23 avril que les services de renseignement de la police et d’autres autorités de l’État s’attendent à des grèves et des manifestations. Il a rapporté que dans la seule ville de Chittagong, «deux organismes gouvernementaux de réglementation craignaient que 67 usines de confection ne soient confrontées à des troubles du travail sur le paiement des salaires et des primes pour les fêtes [religieuses]».

La police a déclaré au journal qu’elle se «coordonnait» avec les entreprises et les travailleurs pour éviter les troubles. La répression brutale dont ont été victimes mardi les travailleurs de l’industrie du vêtement du groupe Ha-Meem à Gazipur montre clairement comment l’État et les grandes entreprises vont gérer les «troubles».

La réaction des staliniens et des syndicats bangladais à l’attaque sanglante de la police contre des ouvriers de la construction qui protestaient le mois dernier a mis plus encore en évidence le rôle perfide de ces organisations.

L’alliance de «gauche» dirigée par le Parti communiste du Bangladesh, les syndicats qu’ils contrôlent et plusieurs syndicats de travailleurs de l’habillement ont d’abord manifesté contre la fusillade de la police, demandant une enquête judiciaire et l’indemnisation des victimes.

Ces manifestations ne visaient qu’à dissiper la colère des travailleurs et à entretenir l’illusion que le gouvernement pourrait être contraint de défendre des droits démocratiques élémentaires. Près de quatre semaines après les meurtres du chantier de la centrale électrique SS, staliniens et syndicats sont à présent silencieux.

(Article paru d’abord en anglais le 11 mai 2021)

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