Bicentenaire de la mort de Napoléon: Macron salue l’État policier bonapartiste

Le 5 mai, Emmanuel Macron a pris la parole à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte le 5 mai 1821, exilé sur l’île de Sainte-Hélène.

Macron avec le chef d'état-major de l'armée française, le général Pierre de Villiers en 2017 [Crédit: Etienne Laurent / Pool Photo via AP, File]

Napoléon, son génie militaire, et sa longue vie politique ont fait l’objet d’innombrables discours officiels depuis deux siècles. Sa carrière – de l’époque radicale de la Révolution française en 1793, à sa prise de pouvoir lors d’un coup en 1799 et sa décision de se couronner empereur en 1804, à sa défaite à Waterloo en 1815 – est marquée par toutes les contradictions de l’époque de la Révolution française. Ce que les chefs d’État ont choisi de souligner chez Napoléon en dit typiquement plus long sur leurs régimes que sur la place de Napoléon dans l’histoire.

Le discours de Macron ne fait pas exception. Prononcé alors que l’armée française menace de lancer un coup et que Macron lui-même ne tient pas compte des conseils scientifiques et appelle à «vivre avec le virus» après le coronavirus a fait plus d’un million de victimes en Europe, il témoigne de la crise mortelle de la démocratie en France et à travers l’Europe.

Bien qu’il soit président d’une République et qu’il doive sa position à une élection, Macron a salué Napoléon pour avoir assuré la propriété bourgeoise grâce à un coup et rétabli les titres héréditaires après que les Français aient renversé une monarchie qui se prétendait de droit divin.

S’adressant à des lycéens à l’Institut de France, Macron a déclaré: «Après des mois d’échec, de France assiégée, de violence latente, Napoléon sut incarner l’ordre. ... Napoléon comprit très vite la nécessité de répondre aux vertiges de la fin du droit divin, en le substituant par une autre légitimité, une autre transcendance.»

Macron salua ensuite la décision par Napoléon de mettre fin à la Ie République et de se couronner empereur en 1804: «Son ultime intuition fut de combler le vide laissé par la figure du Roi le 21 janvier. La solution de celui qui devint en 1802 consul à vie fut radicale, confiée dans un oxymore extraordinaire: ‘la République a un Empire.’».

L’idée que le renversement de la monarchie en 1789 a laissé un vide qu’il faut remplir reflète les conceptions autoritaires qui prévalent actuellement dans la bourgeoisie française. Alors que Macron s’exprimait, la revue néo-fasciste Valeurs actuelles préparait une lettre de plus signée par des milliers d’officiers qui parlent de «guerre civile» et s’engagent à intervenir militairement sur le territoire français, au prix de milliers de vies. Remarquablement, Macron n’a rien dit dans son discours concernant cette menace.

Si, en observant la France et le monde, Macron ne voit que des échecs et des menaces cachées, c’est qu’il parle non de l’époque de la révolution américaine (1776), française (1789) et haïtienne (1791), mais de la France actuelle. Il médite sa propre présidence.

La décennie écoulée entre la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 et le coup d’état de Napoléon n’a pas constitué un échec, et sa violence n’était pas latente. Cinq ans après la prise de la Bastille, la France révolutionnaire avait vaincu les armées des monarchies européennes et exproprié la propriété féodale. A l’intérieur de la France même, elle avait écrasé les soulèvements contre-révolutionnaires, les Vendéens de l’est et les Fédérés du sud.

Après l’exécution de Maximilien Robespierre et la conclusion de la période radicale de la révolution en Thermidor 1794, la République bourgeoise réprima plusieurs révoltes appelant à détenir la propriété en commun, telle que la Conjuration des égaux de Gracchus Babeuf. Napoléon devint l’homme fort du nouvel ordre, malgré une disgrâce initiale pour avoir été décoré par Augustin Robespierre, le frère cadet de Maximilien, pour sa reprise de Toulon contre les Anglais en 1793. Menant une guerre contre les monarchies féodales de l’Europe, il a consolidé la propriété privée en France et à travers l’Europe.

Faisant écho à son «salut républicain» à la candidate néo-fasciste Marine Le Pen le soir de son élection, Macron a loué Napoléon de s’être allié aux démocrates aussi bien qu’aux monarchistes. «Napoléon a compris qu’il devait constamment rechercher la grandeur et l’union nationale… Il l’a fait en travaillant à réconcilier ceux que la révolution avait opposés dans le sang.» Il a loué la décision de Napoléon de choisir l’abeille, symbole de la dynastie mérovingienne, comme symbole lors de son couronnement.

De telles références obscures témoignent d’un fait politique certain. Macron revient sur Napoléon, et surtout sur le vaste appareil policier qu’il a mis en place contre les conspirations royalistes et l’opposition de gauche, pour faire appel aux traditions de gouvernement bonapartiste en France pour créer un régime autoritaire au 21e siècle.

Un régime bonapartiste dépend sur la police et l’armée pour se présenter en tant que point d’équilibre entre les classes, dans l’intérêt supérieur de la nation. Cependant il se révèle toujours le poing de fer des capitalistes contre la classe ouvrière.

Le Second Empire, institué après la révolution de 1848 en Europe par Louis Napoléon (le neveu de Napoléon) est l’exemple classique. Renversant la IIe République, discréditée par sa sanglante répression du prolétariat parisien en juin 1848 et sa pression fiscale élevée sur les paysans, Louis Napoléon a établi un État policier qui maniait la censure et épiait constamment les ouvriers. Après sa défaite humiliante par l’Allemagne en 1871, son armée a massacré la Commune de Paris, le premier état ouvrier du monde, et fait 20.000 victimes pendant la Semaine sanglante.

Dans un de ses derniers articles, «Le Bonapartisme, le Fascisme, et la Guerre», Léon Trotsky traita le régime néo-nazi collaborationniste de Vichy, dirigé par le maréchal Pétain, de «forme sénile de bonapartisme dans une époque de déclin impérialiste». A ses débuts, Vichy promulgua une «Charte du travail» corporatiste et s’engagea à arbitrer entre les ouvriers et les capitalistes dans l’intérêt national. Il s’engagea par la suite dans la Shoah, la guerre nazie d’extermination contre l’Union soviétique, et la répression sanglante de la Résistance française.

Macron tient toujours aux formules de la République et du régime parlementaire. Cependant, sa présidence a vu non seulement 100.000 morts de Covid-19, mais un déferlement de violence policière contre les grévistes, les étudiants et les «gilets jaunes» qui réclament plus d’égalité sociale. Depuis que Macron a salué Pétain comme «grand soldat» avant d’envoyer la police anti-émeute contre les «gilets jaunes», il y a eu des dizaines de milliers d’arrestations, des milliers de blessés, et plusieurs morts aux mains de la police.

Alors que les généraux français se plaignent d’une déconsidération globale de l’ordre social et parlent de milliers de mort au cours d’interventions militaires à l’intérieur de la France, le corps d’officier planifie furieusement une répression à grande échelle.

Macron fait mine de reconnaître les controverses qui entourent Napoléon en se référant à l’un de ses plus grands crimes, le rétablissement de l’esclavage en 1802, récemment critiqué par plusieurs groupes, y compris des petits-bourgeois rattachés au mouvement Black Lives Matter.

Napoléon, déclara Macron, «a rétabli l’esclavage que la Convention de 1794 avait aboli. En 1848, avec Victor Schoelcher, la IIe République a réparé cette faute, cette trahison de l’esprit des Lumières.» En même temps, Macron insistait sur sa «la volonté de ne rien céder à ceux qui entendent effacer le passé au motif qu’il ne correspond pas à l’idée qu’ils se font du présent.» Il concluait: «Nulle volonté de dire si Napoléon a concrétisé ou au contraire dévoyé les valeurs révolutionnaires. Je me garderai bien de m’aventurer sur ces terres.».

Dans les 200 ans depuis la mort de Napoléon, les expériences de la classe ouvrière française et internationale ont démontré que non seulement le régime bonapartiste, mais le capitalisme lui-même est incompatible avec la devise «Liberté, Egalité, Fraternité» proclamée en 1789. Sur fond de menaces grandissantes d’un coup par des militaires français, il faut prendre le discours de Macron comme un avertissement. La défense des principes internationaux de «Liberté, Egalité, Fraternité» exige la mobilisation révolutionnaire internationale de la classe ouvrière, luttant pour le socialisme et le pouvoir ouvrier.

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