Un général de haut rang avertit que Pékin pourrait «surclasser» l’alliance occidentale alors que le Canada multiplie les provocations contre la Chine

Le chef d’état-major de la défense du Canada, le lieutenant-général Wayne Eyre, a récemment déclaré au Parlement que le Canada et les États-Unis risquaient d’être «surclassés» par l’armée chinoise, a accusé Pékin d’imposer «constamment» sa volonté à ses voisins et a affirmé que «l’ordre international fondé sur des règles», dirigé par l’impérialisme américain, était en péril.

Eyre a fait ses remarques alors que l’élite dirigeante canadienne, par le biais de ses médias et de ses partis politiques, continue d’intensifier sa campagne provocatrice d’accusations macabres contre la Chine. Elle a notamment tenté de rendre la Chine responsable de la réponse désastreuse du Canada à la pandémie de COVID-19. L’objectif de cette campagne est de diaboliser Pékin afin de mobiliser le soutien à la campagne de guerre menée par les États-Unis contre la Chine et d’intimider ses opposants.

Le lieutenant-général Wayne Eyre (Source: Forces armées canadiennes)

Eyre a déclaré à la commission sénatoriale de la sécurité nationale et de la défense qu’il était «gravement préoccupé» par les dépenses de défense de la Chine, notamment en ce qui concerne les missiles «hypersoniques» qui peuvent échapper aux systèmes de défense traditionnels. «La Chine investit massivement dans ses capacités militaires, y compris dans les nouvelles technologies comme l’hypersonique, comme l’intelligence artificielle, comme l’informatique quantique», a commenté Eyre. «Et je dirais que pour la première fois depuis le début des années 1940, nous, l’alliance occidentale, sommes confrontés à un dépassement des capacités militaires, tant en termes de qualité que de quantité du type de capacités militaires dans lesquelles la Chine investit.»

Bien que le général en chef du Canada ne l’ait pas formulé avec autant de mots, son témoignage était un appel sans équivoque au gouvernement libéral pour qu’il accélère et étende son programme de réarmement déjà massif, dans le cadre duquel des dizaines de milliards seront dépensés dans les années à venir pour de nouvelles flottes de navires et d’avions de guerre.

Les remarques d’Eyre sont un élément d’une campagne de propagande soutenue visant à justifier le rôle de plus en plus important du Canada dans l’offensive diplomatique, économique et militaro-stratégique de Washington contre la Chine. Depuis que Joe Biden a pris la présidence des États-Unis en janvier et qu’il a juré, à la Trump, de poursuivre une «concurrence extrême» avec Pékin, le Canada a doublé son soutien à son allié impérialiste américain en augmentant la pression sur le régime stalinien de la Chine qui, ayant restauré le capitalisme, représente les intérêts de la bourgeoisie chinoise.

Fin février, la Chambre des communes, avec le soutien de plusieurs partis, a qualifié de «génocide» les mauvais traitements infligés par Pékin à la minorité ouïghoure dans la province du Xinjiang. La même semaine, le gouvernement libéral de Justin Trudeau a tenu un sommet bilatéral avec l’administration Biden qui a adopté une «feuille de route» pour l’expansion des relations canado-américaines, fondée sur le protectionnisme économique nord-américain et une collaboration militaire renforcée contre les principaux rivaux d’Ottawa et de Washington: la Russie et la Chine.

Dans une nouvelle provocation, le Forum international sur la sécurité d’Halifax, parrainé par le gouvernement canadien, un important conclave impérialiste nord-américain réunissant des dirigeants militaires et politiques et des stratèges de groupes de réflexion, a annoncé la semaine dernière qu’il avait décerné son prix John McCain pour le leadership dans le service public à la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen.

Le Forum a salué Tsai, dont le Parti démocrate progressiste prône prudemment l’indépendance de Taïwan, comme une «inspiration et un exemple pour les personnes éprises de liberté partout dans le monde», et l’a félicitée pour avoir «résisté à l’agression» de Pékin. «Son courage et sa force d’âme dans la défense de son peuple contre l’agression du Parti communiste chinois sont précisément les qualités que le prix John McCain a été conçu pour reconnaître», a déclaré Peter van Praagh, président du Forum.

Cette propagande de style guerre froide, agrémentée de clichés de droite sur la «liberté» et la «démocratie», renverse la réalité. La promotion de Tsai et de Taïwan comme des remparts du «monde libre» contre «l’agression chinoise» est avancée par les sections les plus belliqueuses des élites dirigeantes américaines et canadiennes, et en phase avec une campagne de déploiements militaires provocateurs, d’intimidation et de menaces.

Poursuivant sur la voie tracée par Trump et son secrétaire d’État, Mike Pompeo, au cours de leur dernière année de mandat, Washington enfreint systématiquement les protocoles de la «politique d’une seule Chine» convenue avec Pékin dans les années 1970, dans le cadre de l’accord en vertu duquel Washington a finalement accordé une reconnaissance diplomatique à la République populaire de Chine. L’UE a ainsi multiplié les interactions diplomatiques de haut niveau avec Taipei, fait pression pour son inclusion officielle dans divers organismes internationaux et renforcé ses liens militaires. Le but évident de ces actions est de provoquer une réaction de Pékin, qui pourra ensuite être présentée comme une preuve supplémentaire de l’«agression» chinoise.

Taïwan a été créé en tant qu’État distinct en 1949 avec le soutien des États-Unis, sous la dictature militaire du Kuomintang, et est resté un régime expressément autoritaire jusque dans les années 1980. Sa promotion s’inscrit dans le cadre d’une intensification spectaculaire des provocations militaires des États-Unis et de leurs alliés dans la région. L’administration Trump a organisé un nombre record d’exercices dits de «liberté de navigation» en mer de Chine méridionale en 2020, et Biden est en passe de dépasser ce chiffre en 2021. Le Canada approuve pleinement le renforcement militaire dirigé par les États-Unis en Asie-Pacifique, notamment en envoyant ses propres navires de guerre et sous-marins en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan.

Lors de la même réunion où le chef de la défense Eyre s’est déchaîné contre la Chine, le ministre libéral de la défense Harjit Sajjan s’est vanté de la présence accrue de la Marine royale canadienne dans la région et des plans de l’armée canadienne pour un «niveau d’engagement plus profond» avec les États qui ont des différends frontaliers avec la Chine, notamment les Philippines et le Vietnam.

Les intrigues qui ont précédé l’annonce du prix ont mis en évidence le caractère provocateur de la décision du Forum d’Halifax, parrainé par le gouvernement canadien, d’honorer Tsai et l’importance que Washington attache à l’utilisation de Taïwan comme cheval de bataille contre la Chine.

Début avril, Politico, un organe de presse basé à Washington qui ne rend compte qu’occasionnellement de l’actualité canadienne, a publié un «exposé» selon lequel le gouvernement Trudeau aurait menacé de couper le financement du Forum d’Halifax si Tsai recevait le prix John McCain: une accusation que le ministre de la Défense Sajjan s’est empressé de démentir. Cet article a été suivi d’une lettre adressée à Trudeau par deux sénateurs américains de premier plan, le démocrate Robert Menendez et le républicain James Inhofe, qui exhortaient le gouvernement Trudeau à soutenir l’attribution du prix à Tsai.

La menace rapportée par le gouvernement libéral de couper le financement du Forum est devenue l’occasion d’une intensification spectaculaire de la campagne anti-chinoise de l’élite dirigeante canadienne et de la promotion de Taïwan comme avant-poste de la «démocratie». Au milieu d’un tollé médiatique, la Chambre des communes a soutenu à l’unanimité une motion conservatrice déclarant que Tsai était un «ardent défenseur mondial de la démocratie» et un digne récipiendaire du prix McCain, et qui exhortait le gouvernement à garantir le maintien du financement du Forum sur la sécurité d’Halifax.

Les néo-démocrates et les verts, ostensiblement «de gauche», qui ont déjà soutenu les allégations de «génocide» à l’encontre de la minorité ouïghoure, ont apporté leur soutien inconditionnel à la motion. Pour sa part, le Globe and Mail, qui n’a pas manqué de publier une nouvelle diatribe anti-chinoise au cours des 18 derniers mois, a publié un long article rédigé par un ancien diplomate britannique sous le titre programmatique «Le changement de régime en Chine n’est pas seulement possible, il est impératif». «Le changement de régime», faut-il le rappeler, a été l’objectif de chaque guerre d’agression impérialiste menée par les États-Unis depuis les années 1990, y compris le bombardement de la Yougoslavie par l’OTAN pour évincer Milosevic, l’invasion de l’Afghanistan pour chasser les talibans, l’assaut illégal de l’Irak pour renverser Saddam Hussein et la guerre aérienne sauvage contre la Libye pour détruire le régime de Kadhafi, pour ne citer que les exemples les plus marquants.

Le gouvernement Trudeau adhère pleinement à l’offensive menée par les États-Unis contre la Chine. Au nom de Trump, il a ordonné la saisie en décembre 2018 de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, sur la base d’accusations forgées de toutes pièces de contournement des sanctions américaines illégales contre l’Iran. Il a également augmenté le déploiement des ressources militaires canadiennes en Asie-Pacifique, tout en dévoilant des plans pour augmenter les dépenses militaires de plus de 70 % par rapport aux niveaux de 2017 d’ici 2026.

Lors du sommet bilatéral de février avec Biden, le gouvernement Trudeau s’est engagé à développer des chaînes d’approvisionnement en Amérique du Nord pour les minéraux rares et autres matériaux d’importance critique pour les technologies futures. L’objectif explicite de ce projet est de diminuer la dépendance des États-Unis et du Canada vis-à-vis de la Chine et de permettre aux deux alliés impérialistes de mettre la Chine sur la touche dans des secteurs économiques clés au cours des prochaines décennies, notamment les véhicules électriques et les technologies d’énergie propre. Le sommet a également convenu de travailler à la modernisation de la défense continentale supervisée par le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord. Les principaux objectifs de cette modernisation, dont le coût a été estimé à 40 milliards de dollars américains, dont 6 milliards provenant du Canada, sont de faire en sorte que les impérialismes américain et canadien disposent de capacités de missiles de «première frappe» contre la Russie et la Chine, et puissent «gagner» un conflit nucléaire contre leurs adversaires. Dans leur budget de 2021, les libéraux ont réservé plus de 250 millions de dollars pour la modernisation de NORAD, un chiffre qui, selon les analystes militaires et de sécurité, est totalement insuffisant.

En mars, la réunion annuelle de la Conférence des associations de défense, tenue en ligne en raison de la pandémie, est devenue l’occasion de violentes dénonciations de la Chine pour ses prétendus desseins prédateurs sur l’Arctique, une région riche en ressources qui se profile comme une arène de conflit entre grandes puissances en raison des effets du changement climatique. «Nous ne devrions pas du tout sous-estimer cette menace d’exploitation des ressources dans l’Arctique par la Chine en particulier», a commenté le vice-ministre de la Défense, Jody Thomas. «La Chine a un appétit vorace et ne reculera devant rien pour se nourrir, et l’Arctique est l’un des derniers domaines et régions qui restent, et nous devons le comprendre et l’exploiter – et plus rapidement qu’ils ne peuvent l’exploiter.»

Cependant, l’apparente réticence initiale du gouvernement Trudeau à soutenir l’octroi d’une récompense à Tsai reflète son désir d’éviter une rupture diplomatique complète avec Pékin dans des conditions où la Chine est le deuxième partenaire commercial du Canada et où des négociations délicates sont en cours pour obtenir la libération des deux Canadiens que Pékin a arrêtés en représailles à la saisie de Meng Wanzhou. Au fur et à mesure de l’escalade de la campagne guerrière anti-chinoise, cet exercice d’équilibre deviendra de plus en plus impossible.

Cela est souligné par la multiplication des critiques exprimées à l’égard de l’actuelle politique de défense nationale du gouvernement, publiée en 2017. Bien que saluée à l’époque, l’augmentation de plus de 70 % des dépenses militaires est maintenant considérée par les analystes de la défense comme inadéquate pour la tâche de préparer l’impérialisme canadien à une conflagration militaire entre les grandes puissances. Comme l’a écrit le Conseil international du Canada, un groupe de réflexion sur la politique étrangère, dans une évaluation du dernier budget des libéraux, «la réorientation stratégique de l’Amérique vers l’Asie-Pacifique s’est accélérée depuis l’entrée en fonction du président Joe Biden. Le président demande aux alliés de l’Amérique de renforcer ce rééquilibrage face à la puissance croissante de la Chine. Le Canada, en raison de son appartenance à NORAD, à l’OTAN et à l’alliance de partage du renseignement Five Eyes, et en raison de sa situation géographique stratégique, subit la pression américaine pour soutenir ce rééquilibrage en paroles et en ressources, comme les autres alliés des États-Unis. Le budget 2021 ne le fait pas.»

(Article paru en anglais le 12 mai 2021)

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