Alors que la troisième vague mortelle de la pandémie de la COVID-19 fait rage au Canada, les épidémies en milieu de travail continuent d’augmenter dans tout le pays. Des travailleurs du pétrole à ceux du conditionnement de la viande en passant par la logistique, les travailleurs et leurs proches sont inutilement mis en danger parce que les gouvernements à tous les niveaux, agissant au nom de l’élite dirigeante, insistent pour que l’économie reste «ouverte» afin de générer des profits pour les sociétés.
Dans le cadre de la plus grande épidémie en milieu de travail jamais enregistrée au Canada, un nombre stupéfiant de 1361 travailleurs du site pétrolier des sables bitumineux de Horizon de Canadian Natural Resources Ltd. près de Fort McMurray, en Alberta, ont été testés positifs, et deux travailleurs en sont décédés. Il ne s’agit là que de la plus importante des dizaines d’épidémies survenues dans le secteur pétrolier, qui est devenu un foyer d’infections en raison de la détermination du gouvernement radical de droite du Parti conservateur uni (PCU) à faire fonctionner les entreprises du secteur de l’énergie à plein régime afin que les grosses pétrolières puissent continuer à engranger des profits.
Les cas de COVID-19 ont monté en flèche au site Horizon de CNRL tout au long du mois d’avril, alors que l’entreprise poursuivait ses travaux de maintenance, malgré les avertissements selon lesquels le grand nombre de travailleurs de passage se rendant sur le site créerait des conditions parfaites pour la propagation du virus. «Je sais que je l’ai attrapé là-bas», a déclaré un entrepreneur de 65 ans sur les ondes de Global News. J’ai eu peur, oui... l’idée de mourir seul, avec personne de proche pour dire adieu et rien de tout ça. C’était effrayant. Je pensais bien que j’allais mourir.»
Au Québec, les éclosions en milieu de travail ont atteint un sommet de 678 à la fin d’avril et sont depuis retombées à un niveau qui reste toujours élevé à 561. Les principaux secteurs économiques particulièrement touchés sont les producteurs de métaux, les industries du bois, du vêtement et des produits textiles, les abattoirs, les épiceries et la construction immobilière. Une épidémie massive est actuellement en cours à l’abattoir de porcs Du Breton à Rivière-du-Loup, où au moins 104 des quelque 500 employés ont été infectés.
En Colombie-Britannique, le grand projet de construction du barrage du site C, dans le nord de la province, a déclaré une épidémie à la fin du mois d’avril après que 40 travailleurs aient été déclarés positifs en deux mois. Neuf entreprises ont fermé la semaine dernière dans le Lower Mainland en raison de la transmission de cas en milieu de travail, dont huit dans la région de Fraser Health, et une dans celle de Vancouver Coastal Health. Depuis le début du mois d’avril, plus de 100 entreprises ont fermé temporairement leurs portes dans le Lower Mainland en raison d’épidémies en milieu de travail.
À Ottawa, les autorités sanitaires locales ont signalé la semaine dernière 16 épidémies actives en milieu de travail, notamment sur des chantiers de construction, dans des usines de fabrication, des entrepôts et des bureaux. Conformément à la conspiration du silence imposée par le gouvernement conservateur provincial et les autorités sanitaires locales de l’Ontario, Santé publique Ottawa a refusé d’identifier les lieux de travail ou de fournir des informations sur le nombre d’infections enregistrées à chaque endroit. Soulignant l’indifférence totale dont font preuve les grandes entreprises à l’égard de la vie des travailleurs, la Dre Vera Etches, médecin hygiéniste, a déclaré: «Notre équipe voit maintenant énormément de lieux de travail où plus de deux personnes ont été déclarées positives. Nous voyons également des épidémies déclarées dans des bureaux où les gens auraient pu potentiellement travailler à domicile.»
À Toronto, où l’indignation publique a forcé les autorités sanitaires locales à commencer à nommer les lieux de travail où des épidémies de COVID-19 se sont déclarées, 18 nouveaux lieux ont été ajoutés à leur liste lorsqu’elle a été mise à jour vendredi dernier. Il s’agit notamment d’une boulangerie Serano, d’une épicerie Sobeys, d’une installation de Bombardier Aéronautique et de la Roots Leather Factory.
Une usine de volailles de Cargill à London, en Ontario, a suspendu sa production pendant 10 jours en avril après qu’au moins 118 travailleurs aient été infectés. L’usine emploie environ 900 travailleurs et traite 100.000 poulets par jour pour le géant de la restauration rapide McDonald’s. L’unité de santé publique de Middlesex-London a noté que l’un des nouveaux variants, plus contagieux, pourrait être à l’origine de l’épidémie dans l’établissement.
Un porte-parole de Cargill a déclaré que les travailleurs ont été payés pour 36 heures pendant l’arrêt de l’usine, conformément à un accord conclu avec la section locale 175 des Travailleurs unis de l’Alimentation et du Commerce. La semaine de travail typique d’un ouvrier à l’usine Cargill de London est de plus de 50 heures. Cela signifie que la plupart des travailleurs n’auront reçu qu’un peu plus de la moitié de leur salaire normal pendant la semaine et demie où l’usine a été fermée.
«L’ambiance dans l’usine est telle que la direction ne se soucie pas des travailleurs. La direction a laissé faire pendant un certain temps et, à mon avis, les patrons n’ont pris des mesures que lorsque le mécontentement des travailleurs a commencé à atteindre des niveaux tels que cela n’était plus gérable pour eux», a déclaré un travailleur au London Free Press sous le couvert de l’anonymat.
«Si vous pouviez voir le département de désossage, ils sont entassés comme des sardines. Il y a seulement une feuille de plastique pour séparer le monde [...]. Tout le monde porte un masque chirurgical bleu et un écran facial en plastique. Mais cela ne semble pas avoir beaucoup aidé.»
Cargill est la plus grande entreprise privée des Amériques. Employant plus de 155.000 travailleurs dans 70 pays, la société est un pilier du secteur des produits agricoles depuis plus d’un siècle. Le chiffre d’affaires annuel de la société s’élève en moyenne à 115 milliards de dollars US et les profits à 3 milliards de dollars US. Selon un rapport publié en juillet 2020 par BNN Bloomberg, les bénéfices ont augmenté de 17 % par rapport à l’année précédente.
Alors que les bénéfices ont grimpé en flèche pendant la pandémie, Cargill a versé des dividendes massifs aux 125 membres de la famille qui possèdent l’entreprise. Les versements de dividendes ont augmenté de 76 % par rapport à l’année précédente, totalisant 1,13 milliard de dollars, contre 643 millions de dollars en 2019. Les produits de la volaille contribuent de façon significative aux résultats de Cargill.
L’affirmation de Cargill de son engagement envers la santé et la sécurité des travailleurs sonne faux après des épidémies majeures dans les usines de conditionnement de viande de Cargill en Amérique du Nord. L’usine Cargill de Guelph, dont la main-d’œuvre est également représentée par la section locale 175 des TUAC, a signalé 87 cas confirmés parmi son personnel en décembre dernier.
Avant que la COVID-19 ne ravage la main-d’œuvre du site Horizon de CNRL, la plus importante épidémie en milieu de travail au Canada depuis le début de la pandémie était à l’usine de conditionnement de la viande de Cargill à High River, en Alberta. Sur les 2000 travailleurs employés à l’usine Cargill, 935 ont été testés positifs à la COVID-19 au printemps dernier et trois travailleurs sont décédés. Et 600 autres contacts proches ont également été infectés.
Cet aperçu des récentes épidémies survenues sur les lieux de travail au Canada, qui est loin d’être exhaustif, donne une idée de l’énorme coût humain de la politique meurtrière de retour au travail de l’élite dirigeante. Cette politique a été supervisée par le gouvernement fédéral minoritaire libéral, qui compte sur le soutien du NPD social-démocrate pour sa majorité au Parlement. Dans son discours du Trône de septembre dernier, le gouvernement libéral de Trudeau a stipulé que toute fermeture future liée à la COVID-19 devrait être de «courte durée» et de nature «locale».
Le gouvernement conservateur ontarien de Doug Ford a rédigé un «plan de préparation à une pandémie d’automne» dans cet esprit. Exprimant de manière encore plus crue la priorité accordée aux profits sur la vie, il a déclaré que «Le retour à un stade antérieur de réouverture provinciale, ou même à des approches régionales de resserrement, sera évité en faveur d’un changement spécifique à l’organisation ou localisé.» Autrement dit, les travailleurs non essentiels doivent rester au travail afin d’assurer le flux de profits aux capitalistes.
Cette politique, et son corollaire – la réouverture des écoles pour que les parents soient forcés de retourner au travail dans des conditions dangereuses pendant la pandémie – a alimenté la deuxième vague au Canada, qui a fait plus de 10.000 victimes l’hiver dernier, et la troisième vague de ce printemps.
Même lorsque Ford a été contraint, à contrecœur, d’imposer des mesures de «confinement» à l’échelle de la province à la fin du mois de décembre et à nouveau en avril dernier en raison de l’augmentation spectaculaire du nombre de cas de COVID-19, plein de lieux de travail – en particulier les industries manufacturières, les industries des ressources et la construction – ont été presque entièrement exclus des restrictions. Soulignant que le mépris pour la vie des travailleurs est commun à tous les partis de l’establishment, le premier ministre néo-démocrate de la Colombie-Britannique, John Horgan, a suivi une voie similaire et a tenté de rejeter sur les jeunes travailleurs la responsabilité de l’augmentation des cas de COVID-19, déclarant au début du mois d’avril: «Ne gâchez pas tout pour les autres!»
Les syndicats ont joué un rôle central dans la mise en œuvre de la politique de retour au travail et à l’école de la classe dirigeante. Tout au long de la pandémie, ils se sont efforcés de réprimer l’opposition des travailleurs aux conditions de travail dangereuses et de renforcer leurs relations corporatistes avec les grandes entreprises et le gouvernement. Cette politique anti-ouvrière est illustrée par l’affirmation du Congrès du travail du Canada, annoncée dans une bannière en haut de sa page d’accueil, selon laquelle «Au Canada, nous avons résisté à la pandémie en nous serrant les coudes et en nous appuyant les uns les autres».
À l’usine Cargill de London, les TUAC n’ont rien fait pour protéger la main-d’œuvre. Tim Deelstra, un porte-parole de la section locale 175 des TUAC, a déclaré à propos de la fermeture de l’usine à la mi-avril: «Nous soutenons cette décision de l’entreprise.» En d’autres termes, les TUAC n’ont jamais demandé la fermeture de l’usine, et encore moins organisé une action syndicale pour la faire fermer. Ils ont simplement attendu que l’entreprise détermine que la situation était si mauvaise, avec un si grand nombre de travailleurs incapables ou réticents à se présenter au travail, qu’elle n’avait pas d’autre option.
Un vaste gouffre social sépare les travailleurs ordinaires des bureaucrates syndicaux et de leurs salaires à six chiffres. Le président national des TUAC Canada, Paul Meinema, a gagné 219.170 $ en 2019, alors que le salaire horaire moyen d’un boucher chez Cargill ayant trois ans d’expérience était de 20,10 $.
Sur le site de sables bitumineux Horizon de CNRL en Alberta, les syndicats jouent un rôle similaire. Gill McGowan, de la Fédération des travailleurs de l’Alberta, a lancé un appel pathétique au gouvernement radical de droite du Parti conservateur uni de Jason Kenney pour qu’il ferme le site de CNRL et d’autres sites présentant des foyers importants. Les travailleurs «et leurs dirigeants dans leurs syndicats respectifs, a déclaré McGowan la semaine dernière, m’ont dit [...], oui, ils veulent travailler, mais ils veulent travailler dans des conditions sûres, et en l’état actuel des choses, les conditions ne sont pas sûres dans la plupart, sinon la totalité, des projets de construction liés aux sables bitumineux.»
Les remarques du président de l’AFL constituent, sans le vouloir, un réquisitoire accablant contre la politique de son organisation. Bien que plus de 1300 travailleurs aient déjà été infectés sur le site de CNRL et que McGowan admette que «les conditions ne sont pas sûres dans la plupart, sinon la totalité, des projets de construction liés aux sables bitumineux», il n’a rien d’autre à offrir aux travailleurs qu’un humble appel à un gouvernement qui a insisté pour que le secteur de l’énergie reste ouvert pendant toute la durée de la pandémie, qui a dit que le virus n’était qu’une simple «grippe» et qui a reproché à la population d’avoir le plus grand nombre d’infections à la COVID-19 par habitant en Amérique du Nord.
Pour défendre leur santé et leur vie, les travailleurs doivent créer des comités de sécurité de base, indépendants des syndicats procapitalistes et opposés à eux. Ces comités doivent lutter pour la fermeture immédiate de toute production non essentielle, avec versement du salaire intégral pour tous les travailleurs touchés tant que la pandémie n’est pas maîtrisée. La lutte pour ces revendications urgentes doit inclure une attaque frontale contre les vastes richesses accumulées par l’élite dirigeante pendant la pandémie. Ces richesses doivent être expropriées pour développer les services de santé et répondre à d’autres besoins sociaux criants. Nous demandons instamment à tous les travailleurs au Canada qui reconnaissent que la lutte pour mettre fin à la pandémie est une lutte politique et qu’elle nécessite l’intervention indépendante de la classe ouvrière de contacter le World Socialist Web Site et de se joindre à la lutte pour construire des comités de base.
(Article paru en anglais le 18 mai 2021)