2500 travailleurs d’ArcelorMittal sur la Côte-Nord, au Québec, sont en grève depuis le 10 mai. Les grévistes, des employés de mines, du port, du chemin de fer et de bureaux appartenant à la multinationale basée au Luxembourg, sont représentés par 5 sections locales du Syndicat des Métallos, affilié à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), la plus grosse centrale syndicale au Québec avec plus de 600.000 membres.
La grève fait suite au rejet sans équivoque d’une offre «finale et globale» présentée le 7 mai par ArcelorMittal. Les travailleurs ont voté contre cette offre à des pourcentages variant de 97% à 99%.
Les comités de négociation syndicaux avaient recommandé le rejet de l’offre. Mais c’était seulement sous la pression des membres de la base qui avaient massivement rejeté le 1er mai, à peine 10 jours auparavant, une entente de principe négociée par les Métallos. Le syndicat avait recommandé à ses membres de voter en faveur de cette entente de principe, pourtant inférieure à l’offre rejetée le 10 mai.
Les détails du contenu des offres demeurent inconnus. Selon ArcelorMittal, l’entente de principe appuyée par les Métallos prévoyait des augmentations salariales de 12% sur 4 ans, ce qui constitue au mieux un gel des salaires réels compte tenu de l’inflation et de l’augmentation du coût de la vie. Pour le reste, le syndicat s’est contenté de déclarer que les éléments «en jeu» dans les négociations comprennent les conditions de travail, dont les régimes de retraite et les assurances, les primes et les horaires de travail.
En 2017, les travailleurs avaient voté à 83% en faveur d’une nouvelle convention collective d’une durée de quatre ans. Le contrat contenait des augmentations de salaire variant de 2,2% à 3% par année et le maintien des régimes de retraite à prestations déterminées, que l’employeur voulait transformer en régimes à cotisations déterminées (sans rente garantie à la retraite). Le coordonnateur régional pour le Syndicat des Métallos, Nicolas Lapierre, avait alors déclaré que la nouvelle convention collective était une grande victoire: «Le climat de confiance a été rétabli. On repart pour quatre ans. L’entente de principe est clairement satisfaisante.»
Aujourd’hui, alors que le rejet des offres et la colère des travailleurs démontrent que l’entente de 2017 n’avait, en fait, rien d’une victoire, les mêmes bureaucrates en sont réduits à plaider que les mauvaises conditions des travailleurs résultent «des promesses faites [par ArcelorMittal] lors des négociations de 2017 [qui sont] restées sans suite». Les Métallos n’ont cependant pas jugé bon d’expliquer pourquoi ces promesses n’avaient pas été consignées dans la convention collective, ou si elles l’étaient, pourquoi le syndicat n’en a pas forcé le respect.
Les travailleurs d’ArcelorMittal doivent tirer des leçons de ces expériences: ils ne pourront pas renverser les attaques sur leurs conditions de travail en laissant un syndicat pro-capitaliste quémander des miettes «satisfaisantes» en leur nom. Ils disposent d’un énorme pouvoir potentiel et les conditions objectives sont réunies pour élargir leur lutte et la transformer en fer de lance d’une contre-attaque de toute la classe ouvrière pour faire passer les emplois, les salaires, les pensions et les conditions de travail avant la recherche effrénée du profit.
En 2016, ArcelorMittal avait invoqué le prix du minerai de fer de moins de 60$ la tonne pour exiger des concessions, annuler des investissements prévus sur la Côte-Nord et menacer de mettre fin à ses opérations quinze ans plus tôt que prévu. Aujourd’hui, le minerai de fer vaut plus de trois fois ce qu’il valait à cette époque, atteignant des sommets historiques à plus de 193$ la tonne. Ce qui n’empêche pas l’entreprise de demander encore aux travailleurs d’être «raisonnables», c’est-à-dire de ne soulever aucune revendication qui pourrait empiéter sur les profits.
ArcelorMittal, le deuxième plus grand producteur d’acier au monde et la 120e plus grande entreprise selon le classement 2019 du magazine Forbes, a bénéficié massivement de l’augmentation faramineuse du prix du fer. La multinationale a réalisé des profits nets de près de 2,3 milliards de dollars américains durant les 3 premiers mois de l’année 2021, une augmentation de plus d’un milliard par rapport aux profits déjà importants de 1,2 milliard pour le dernier trimestre de 2020.
L’entreprise est contrôlée à environ 40% par Lakshmi Mittal, un milliardaire d’origine indienne résidant maintenant en Angleterre. Mittal est la 196e plus riche personne sur terre, avec une fortune estimée à 9,7 milliards de dollars américains, selon le classement 2020 de Forbes. Mittal sera remplacé sous peu par son fils, Aditya Mittal, à titre de PDG d’ArcelorMittal, un poste qui lui a rapporté 6,2 millions de dollars américains en compensation totale en 2019.
ArcelorMittal a annoncé qu’elle a procédé à des rachats d’actions pour 650 millions de dollars dans les premiers mois de 2021 et qu’une somme de 570 millions de dollars sera utilisée aux mêmes fins au cours du reste de l’année (le rachat d’actions est une forme de spéculation dans laquelle l’entreprise rachète ses propres actions pour faire monter leur prix, au profit des actionnaires). La compagnie entend également verser un dividende de 0,30$ par action, ce qui va canaliser des centaines de millions de dollars additionnels dans les poches des actionnaires. La valeur de l’action d’ArcelorMittal a bondi de 168% au cours de la dernière année.
La classe dirigeante fait front commun pour faire monter la pression sur les travailleurs. Dès le déclenchement de la grève, le ministre québécois du Travail, Jean Boulet, a déclaré qu’une grève de longue durée «aurait un impact important sur toute l’économie de la Côte-Nord et du Québec». Des travailleurs voulant s’assurer que la compagnie n’utilise pas des briseurs de grève ont fait du piquetage après l’heure du couvre-feu imposé en raison de la pandémie. Ils ont reçu des constats d’infractions, alors qu’ils étaient exemptés du respect de ce même couvre-feu lorsqu’il s’agissait de travailler de nuit et d’engranger des profits pour ArcelorMittal.
En réponse, le syndicat se contente d’affirmer qu’il est prêt à retourner à la table des négociations. Il joue ainsi le rôle confié aux appareils syndicaux par la classe dirigeante qui est d’étouffer la colère des membres de la base pour éviter qu’elle déborde du cadre légal des «négociations collectives».
En 2018-2019, ces mêmes Métallos ont trahi la lutte courageuse des travailleurs de l’aluminerie ABI à Bécancour au cours d’un lock-out de 18 mois. Le syndicat avait alors tout fait pour isoler les travailleurs, se limitant à des appels pathétiques aux actionnaires des multinationales Alcoa et Rio Tinto, propriétaires de l’aluminerie. Les bureaucrates syndicaux avaient également refusé de donner un caractère international à la lutte, alors même que les travailleurs d’Alcoa et de Rio Tinto en Australie, en Espagne et aux États-Unis menaient des luttes similaires contre les attaques patronales.
Finalement, les Métallos avaient nourri des illusions dans les politiciens capitalistes, allant jusqu’à faire passer le premier ministre de droite François Legault pour un «allié» potentiel des travailleurs. Legault, un ancien PDG multimillionnaire, n’a pas tardé à tourner les efforts du syndicat en ridicule en prenant ouvertement position en faveur de l’employeur et en dénonçant publiquement les «gros salaires» des travailleurs et leurs «demandes exagérées».
Isolés et épuisés, les travailleurs d’ABI ont finalement voté par dépit en faveur d’une entente remplie de concessions.
Pour contrer les tactiques syndicales d’isolement et de démobilisation, les travailleurs d’ArcelorMittal doivent former un comité de grève de la base et y élire des travailleurs de confiance. Ce comité devrait exiger que les négociations entre les Métallos et ArcelorMittal soient publiques. De plus, le syndicat ayant déjà démontré qu’il est prêt à négocier des ententes de principe qui vont à l’encontre des demandes des travailleurs, le comité de la base devrait exiger qu’aucune nouvelle offre syndicale ne puisse être présentée sans que les travailleurs aient au moins dix jours pour l’étudier et s’assurer qu’elle ne contient pas de concessions.
Le comité doit aussi élargir le soutien à la grève en contactant d’autres sections de travailleurs qui sont entrées en lutte, ailleurs au Québec, au Canada et dans le monde. Partout, la pandémie de COVID-19 a confronté les travailleurs à l’irrationalité du système capitaliste qui a causé la mort de millions de personnes pour préserver les profits de l’élite financière, des banques et de la grande entreprise. La classe dirigeante utilise maintenant la catastrophe économique qui en découle pour amplifier ses attaques sur les emplois, les salaires, les pensions et les conditions de travail.
C’est seulement dans une lutte politique unifiée avec leurs frères et sœurs de classe – à travers le Canada, les États-Unis et outremer – que les travailleurs en grève d’ArcelorMittal pourront résister à l’assaut de la classe dirigeante. C’est seulement ainsi que leur lutte pourra servir de catalyseur à une contre-offensive ouvrière contre l’austérité capitaliste et pour une réorganisation complète de l’économie afin d’assurer l’égalité sociale.