Douze ans après le massacre de combattants des LTTE et de civils tamouls à Mullaitivu

Pour diviser les travailleurs, les nationalistes tamouls répandent des mensonges pro-impérialistes sur la guerre au Sri Lanka

Le mois dernier, à l’approche du 12e anniversaire du massacre de Mullaitivu, l’Association des proches des disparus de la guerre civile sri-lankaise a organisé des manifestations en bord de route dans le district de Vavuniya, dans la province Nord du Sri Lanka. Plus de 1.500 journées de protestation de ce type ont été organisées depuis 2015, suite à la fin de la guerre en 2009. Des centaines de personnes, pour y assister, défient régulièrement les lourds déploiements de la police. Beaucoup sont des Tamouls âgés, qui protestent depuis des années malgré la pauvreté et la vieillesse, tenant en l’air les photos de leurs enfants disparus, exigeant de savoir où ils se trouvent.

Les problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs du Sri Lanka, et d’ailleurs, sont apparus clairement dans les propos dévalorisants tenus par le leader du Front populaire national tamoul (TNPF), Gopalakrishnan Rajkumar, membre du Comité des citoyens de Vavuniya, lors d’un rassemblement en bord de route le 15 avril. Ces commentaires illustrent les mensonges politiques utilisés par les politiciens de la bourgeoisie tamoule pour diviser la classe ouvrière, alors même que des millions de vies sont menacées par la pandémie de COVID-19 et que les États-Unis et l’Inde menacent de plus en plus la Chine.

Des soldats sri-lankais patrouillent devant la centrale électrique de Kelanitissa après un raid aérien à Colombo, Sri Lanka, mercredi 29 octobre 2008. (AP Photo/Eranga Jayawardena)

Sans rien dire sur la pandémie ou la menace de guerre, Rajkumar s’est lancé dans une diatribe raciste contre la majorité ethnique cinghalaise du Sri Lanka. S’exprimant sur la question nationale au Sri Lanka, il a déclaré: «Les Tamouls ont trois obstacles à la réalisation de toute solution. Le premier est le clergé bouddhiste, le second sont les politiciens cinghalais, et enfin le public cinghalais. Il choisit toujours des politiciens cinghalais racistes».

Rajkumar a ensuite appelé les Tamouls à placer leurs espoirs dans Washington, Delhi et l’Union européenne (UE) pour trouver une solution à leurs problèmes. Il a déclaré: «Depuis février 2017, nous demandons l’intervention des États-Unis dans notre lutte. (…) Nous demandons collectivement l’aide des États-Unis pour sauver les Tamouls du génocide et de l’oppression». Montrant l’orientation pro-impérialiste du TNPF, il a ajouté: «Nous demandons aux États-Unis, à l’Union européenne et à l’Inde d’intervenir pour aider les Tamouls à obtenir une solution politique appropriée et une croissance économique».

Le massacre de Mullaitivu en 2009 est l’un des principaux crimes contre l’humanité commis au XXIe siècle. Cependant, les remarques de Rajkumar visent à détourner la responsabilité des puissances impérialistes et capitalistes, qui ont soutenu ce massacre, et de la faire porter aux travailleurs cinghalais, qui n’en sont pas responsables. Ce massacre sanglant a révélé de façon accablante la criminalité du régime capitaliste sri-lankais et du système capitaliste mondial que Rajkumar défend.

L’État capitaliste sri-lankais n’a pas fait disparaître que des jeunes et des travailleurs tamouls. Plus de 200.000 personnes ont été tuées ou ont disparu pendant la guerre sri-lankaise de 1983-2009. L’ONU estime que, rien que dans le massacre final de Mullaitivu en 2009, plus de 40.000 Tamouls innocents ont été décimés à coups de bombes à fragmentation et de tirs d’artillerie. En revanche, plus de 100.000 jeunes Cinghalais ont disparu lors du premier soulèvement du JVP en 1971 et du second soulèvement de 1987-1990.

Le meurtre de masse perpétré par l’État capitaliste sri-lankais contre les travailleurs et les ouvriers de toutes les ethnies démasque la faillite du nationalisme bourgeois. Entre 60.000 et 100.000 personnes ont été portées disparues au Sri Lanka depuis la fin des années 1980. Cela fait du Sri Lanka le deuxième pays après l’Irak, un pays dévasté par 30 ans de guerres et d’occupation menées par les États-Unis, en termes de nombre de personnes portées disparues.

Écartant cette histoire, Rajkumar dénonce l’ensemble de la population cinghalaise et lance un appel aux puissances impérialistes de l’OTAN et à New Delhi pour qu’ils apportent une solution à de tels massacres de masse. Ce sont pourtant ces puissances qui ont défendu la politique d’«immunité collective» qui a permis au coronavirus de se répandre, tuant déjà près de 2 millions de personnes à l’intérieur de leurs frontières. Au lieu d’avertir que la politique d’«immunité collective» au Sri Lanka menace d’une flambée comme celle qui dévaste actuellement l’Inde, le TNPF fait la promotion de son gouvernement suprématiste hindou.

Les calomnies de Rajkumar contre la population cinghalaise ne méritent que le mépris. Tout d’abord, il tente de faire faussement appel au dégoût massif des Tamouls pour le président Gotabhaya Rajapakse, dont le frère Mahinda était au pouvoir lors du massacre de 2009. Mais si de nombreux Cinghalais ont voté pour l’actuel Rajapakse en 2019, c’était à cause des politiques anti-ouvrières et pro-austérité du précédent gouvernement de «bonne gouvernance» de 2015-2019.

Ce gouvernement est arrivé au pouvoir dans le cadre d’une opération de changement de régime, dirigée par les États-Unis et soutenue par New Delhi et l’Alliance nationale tamoule (TNA) au Sri Lanka ; opération visant les liens du clan Rajapakse avec la Chine.

En fait, on a lancé les protestations actuelles en 2015, après l’effondrement des promesses du gouvernement de «bonne gouvernance» de mener des réformes et de libérer les prisonniers politiques tamouls. Le 14 février est célébré par beaucoup dans le monde comme la «Saint-Valentin». Les familles des disparus au Sri Lanka l’ont déclaré «Journée des amoureux disparus» en mémoire de leurs proches. À Colombo, elles ont défilé devant les bureaux du premier ministre Mahinda Rajapakse et du président Gotabhaya Rajapakse pour protester.

Deuxièmement, il y a une contradiction centrale dans les appels nationalistes bourgeois malhonnêtes de Rajkumar. Alors qu’il dénonce le massacre de Mullaitivu en 2009, il appelle les travailleurs et les jeunes du Nord et de l’Est à placer leurs espoirs dans les mêmes puissances capitalistes qui ont contribué à le provoquer. En effet, sans le soutien financier et diplomatique des élites dirigeantes américaines, européennes et indiennes, l’armée sri-lankaise, qui avait subi une défaite catastrophique en 2000 à Elephant Pass, n’aurait jamais pu perpétrer le massacre de 2009.

C’est ce qu’indiquent les remarques cyniques de Mahinda Rajapakse lui-même sur le soutien qu’il a reçu des puissances impérialistes et de l’Inde avant le massacre de Mullaitivu. S’adressant l’année dernière à «World Is One News» (WION), Rajapakse a déclaré: «C’était une guerre humanitaire. L’Inde nous a aidés de toutes les manières possibles. Nous ne voulions ni trop en faire état ni en dire trop à la presse. Et non seulement la Chine et le Pakistan, mais même les Britanniques et les Américains nous ont aidés».

Les câbles de WikiLeaks dévoilent la complicité américano-indienne dans le massacre de Mullaitivu

Les câbles diplomatiques secrets américains publiés par WikiLeaks confirment les aveux de Rajapakse. Ils établissant de manière irréfutable la complicité de l’impérialisme américain et de ses alliés dans le massacre des civils tamouls et des combattants nationalistes tamouls des LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul) à Mullaitivu.

Le 4 mai 2009 Burns Strider, un lobbyiste connu comme le «gourou de la foi et des valeurs» de Clinton a envoyé un courriel à Hillary Clinton déclarant: «D’après moi, les personnes sur le terrain, tant à la Banque mondiale qu’au FMI, pensent que les Tigres doivent être complètement vaincus. Tout dommage collatéral infligé à des particuliers par le gouvernement de SL est acceptable…».

Un autre rapport secret fuité, datant d’août 2008, détaille une discussion entre Robert Blake, alors ambassadeur des États-Unis au Sri Lanka, et T.S. Tirumurti, ambassadeur de l’Inde auprès des Nations unies. Washington et New Delhi y discutent de leur hostilité commune à l’égard des LTTE et approuvent les appels au meurtre du chef des LTTE, Velupillai Prabhakaran, qui sera tué moins d’un an plus tard, lors du massacre de Mullaitivu.

Le rapport déclare: «Tirumurti a déclaré que “Rajapaksa veut en finir avec Prabhakaran” et a également souligné que les LTTE continuent de recevoir des fonds de l’Europe. C’est une source d’inquiétude pour l’Inde et le Sri Lanka et un problème de crédibilité pour l’Occident, a-t-il dit. Il a souligné que le fait de couper leurs fonds encouragerait les LTTE à discuter. L’ambassadeur Blake a déclaré que, même si les États-Unis seraient heureux de voir [le chef des LTTE Velupillai] Prabakharan capturé ou tué, les États-Unis et l’Inde ne devaient pas permettre à Rajapaksa de faire dépendre la progression d’un accord de partage du pouvoir d’une disparition de Prabhakaran».

De manière significative, les fonctionnaires américains qui rédigeaient le rapport ont noté que les partis bourgeois tamouls de l’État indien du Tamil Nadu, qui se posent comme les grands alliés des Tamouls sri-lankais, ont également accepté un massacre. «Tirumurti a commenté qu’il n’y avait pas de soutien significatif pour les LTTE au Tamil Nadu actuellement, mais que cela pouvait changer s’il y avait un afflux de réfugiés», ont-ils écrit.

Ils ajoutent: «Tirumurti a nié que le Tamil Nadu exerce une quelconque pression sur le gouvernement indien au sujet de la situation au Sri Lanka, affirmant que les LTTE ne suscitent actuellement aucune sympathie. Il a ajouté que cela ne changerait que si les réfugiés commençaient à arriver au Tamil Nadu en bien plus grand nombre».

Autrement dit, les politiciens capitalistes du Dravida Munnetra Kazhagam (DMK) ou du rival Anna Dravida Munnetra Kazhagam (ADMK) ont soutenu un massacre et ne craignaient que le tollé que les atrocités et un afflux massif de réfugiés pourraient provoquer parmi les ouvriers et les paysans indiens.

Le soutien indien au massacre des LTTE par le régime Rajapakse était basé sur des calculs stratégiques et commerciaux vénaux. Non seulement New Delhi était soucieux d’acquérir une plus grande influence au Sri Lanka aux dépens de la Chine, mais la bourgeoisie du Tamil Nadu elle aussi, espérait réaliser d’énormes profits en mettant fin à la guerre et en fondant des empires commerciaux sur le sang fraîchement versé des combattants des LTTE.

Pour remercier l’élite dirigeante du Tamil Nadu de son aide lors du massacre de 2009, Rajapakse a invité le parlementaire DMK T.R. Baalu et Kanimozhi, la fille de l’ancien ministre en chef DMK du Tamil Nadu Muthuvel Karunanidhi, au Sri Lanka pour recevoir des cadeaux et discuter de futurs investissements. Silver Park International, un fonds appartenant en grande partie à la famille du politicien DMK J. Jagathrakshakan, a investi des milliards au Sri Lanka, dont 3,85 milliards de dollars dans des raffineries à Hambantota. Le fils de l’ancien ministre indien des Finances P. Chidambaram, Karthi, a également investi dans des hôtels de luxe sri-lankais.

De manière significative, Gajendrakumar Ponnambalam, le leader du TNPF a révélé, lors d’une réunion sur la guerre en 2012, que les puissances impérialistes avaient également consulté de nombreuses fractions des nationalistes tamouls, dont la sienne, au sujet des plans de massacre des LTTE. Parlant des derniers jours de la guerre en 2009, Ponnambalam a fait les déclarations suivantes sur ses discussions en coulisse avec les puissances impérialistes au sujet du massacre.

Dans cette déclaration, accessible au public sur YouTube, Ponnambalam révèle qu’il a eu des discussions secrètes sur le massacre avec les grandes puissances, avec lesquelles il a conclu un accord dans le dos des travailleurs. Cela équivaut à un aveu de complicité dans le massacre de Mullaitivu. Il a déclaré:

Alors qu’on commettait ces crimes, et alors que nous, en tant qu’anciens membres du Parlement et membres du Parlement à l’époque, nous inter-agissions avec la communauté internationale, nous avons reçu deux assurances. La première était que si un bain de sang avait lieu, les Tamouls recevaient l’assurance que les conséquences seraient très graves pour l’État sri-lankais. La deuxième assurance était que les Tigres de libération de l’Eelam tamoul – qui sont une organisation terroriste aux yeux de la communauté internationale – une fois [qu’ils seraient] éliminés, la lutte du peuple tamoul pour ses droits serait reconnue et qu’il y aurait la paix.

Pourquoi les nationalistes tamouls ont-ils trahi leurs promesses au peuple?

Cette trahison n’est pas le produit d’erreurs tactiques des politiciens nationalistes tamouls, mais celui de la faillite d’une orientation politique. La perspective des nationalistes tamouls, d’une action armée à l’intérieur des limites du Sri Lanka, impliquait une orientation vers la conclusion d’accords avec d’autres puissances capitalistes régionales, notamment l’Inde. Divers groupes nationalistes tamouls ont cherché à obtenir de l’aide en armes et en entraînement de l’État indien et des partis staliniens indiens. Toutes ces forces s’étaient déplacées très à droite sous l’impact de la mondialisation économique au cours du dernier demi-siècle.

L’année prochaine marquera les 50 ans de la promulgation en 1972 d’une nouvelle constitution antidémocratique pour l’État capitaliste sri-lankais. Adoptant une politique de langue exclusivement cinghalaise, faisant du bouddhisme la religion d’État et limitant les admissions d’étudiants tamouls à l’université, elle a ouvert la voie à une explosion incontrôlée de violence communautaire au Sri Lanka. Rédigé avec le soutien du Lanka Sama Samaja Party (LSSP), elle était le fruit empoisonné de la répudiation du trotskysme par le LSSP et de son entrée dans le gouvernement capitaliste de Bandaranaike en 1964.

Cependant, deux critiques distinctes existaient de cette grande trahison du trotskysme par le parti qui avait été le principal parti de la classe ouvrière sri-lankaise. Ces deux critiques exprimaient des points de vue de classe diamétralement opposés.

La Ligue communiste révolutionnaire (Revolutionary Communist League – RCL), le précurseur du Parti de l’égalité socialiste (Socialist Equality Party – SEP), fondée en 1968 en tant que section sri-lankaise du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), défendait la perspective de la Révolution permanente que le LSSP avait défendue, mais ensuite trahie. Elle défendit les traditions d’unité dans la lutte des travailleurs cinghalais, tamouls et musulmans. Le conflit ethnique, expliquait-elle, ne pouvait être surmonté qu’en unissant la classe ouvrière dans une lutte pour le renversement du capitalisme et l’établissement du socialisme dans toute l’Asie.

Le nationalisme tamoul, s’il dénonçait la constitution de 1972 et l’opportunisme du LSSP, en faisait une critique de droite. Certes, dans la résolution de sa conférence de Vaddukoddai en 1976, le Front uni de libération tamoule (TULF) s’engageait à ce que «l’exploitation de l’homme par l’homme soit interdite dans un Tamil Eelam laïque et socialiste». Mais derrière la rhétorique quasi-socialiste qui habillait son programme séparatiste il y avait une orientation vers le système d’État-nation capitaliste convenu entre les puissances impérialistes et les bourgeoisies locales lors de l’indépendance officielle vis-à-vis de la Grande-Bretagne en 1947.

Après que la guerre communautariste ait éclaté au Sri Lanka en 1983, à la suite des pogroms anti-tamouls du ‘Juillet noir’, la RCL a été le seul parti à s’y opposer et à défendre les droits démocratiques des Tamouls, des Cingalais et des musulmans. Elle s’est également opposée à l’intervention indienne au Sri Lanka, convenue entre Delhi, Colombo et les nationalistes tamouls en 1987. Les groupements nationalistes tamouls ont tous approuvé l’intervention indienne, y compris les LTTE. Prabakharan s’est engagé à remettre les armes des LTTE à l’armée indienne «pour la libération et la sécurité future de notre peuple».

L’intervention indienne, qui a duré quatre ans, s’est toutefois transformée en débâcle sanglante. L’armée indienne, dont les troupes ne connaissaient ni la région ni la langue locale, dépendit de l’aide de l’armée nationale tamoule locale (TNA, nommée anciennement Force citoyenne de volontaires) pour organiser son intervention. Mais les troupes indiennes et la TNA se sont retrouvées dans un conflit tripartite sanglant avec les LTTE et les troupes sri-lankaises, aux conséquences dévastatrices pour la population du nord du Sri Lanka.

Le Centre tamoul pour les droits de l’homme (TCHR) a dressé un bilan des pertes causées par les actions des Forces indiennes de maintien de la paix (IPKF) au Sri Lanka. L’IKPF a tué 8.118 personnes, en a fait disparaître 4.184, en a torturés 10.156, violés 3.507, blessés 15.422 et déplacés 550.250. Parmi les victimes de l’intervention indienne figure Krisnananthan, un partisan de la RCL, brillant professeur d’économie à l’université de Jaffna et célèbre à l’époque parmi les étudiants de Jaffna. Mais il fut assassiné par la TNA, dirigée par Varadaraja Perumal et Suresh Premachandran.

En 1987, le CIQI et la RCL ont tiré des leçons politiques fondamentales de cette expérience amère de la classe ouvrière internationale. Ses conceptions ont été confirmées par les événements des trois dernières décennies, en particulier la capitulation devant l’impérialisme de tous les groupes nationalistes tamouls. Sa déclaration mettait en évidence non seulement le nationalisme du premier ministre indien de l’époque Rajiv Gandhi et du président sri-lankais Junius Jayewardene, mais aussi l’impasse dans laquelle le séparatisme national des LTTE avait mené.

L’intervention indienne, menée avec l’accord de Colombo, a tourné au désastre. Alors que l’armée sri-lankaise réprimait un soulèvement cinghalais dans le Sud, l’armée indienne se retournait contre les LTTE et la population tamoule dans le Nord. La déclaration du CIQI expliquait: «La défense de la souveraineté nationale cinghalaise par Jayewardene et la protection de la liberté tamoule par Gandhi ont, comme on pouvait s’y attendre, dégénéré dans le spectacle grotesque de leurs campagnes militaires unifiées contre les populations mêmes au nom desquelles ils prétendaient parler.» Elle a expliquait ainsi les racines de classe de cette crise:

Comme Lénine en a averti il y a plus de 70 ans, la bourgeoisie d’une nation opprimée conçoit l’autodétermination exclusivement du point de vue de la garantie de ses propres privilèges nationaux et de l’instauration des meilleures conditions pour l’exploitation des ouvriers et des paysans au sein du pays «indépendant». Cet égoïsme est objectivement ancré dans la nature de la bourgeoisie en tant que classe, qui se fonde sur l’extraction de la plus-value du travail salarié, c’est-à-dire sur l’assujettissement de la classe ouvrière. Cet objectif de classe guide la politique de toutes les ailes des nationalistes bourgeois, y compris celle de ses tendances les plus radicales, comme les LTTE, et détermine leur physionomie politique. À chaque étape, les nationalistes bourgeois prennent soin de ne pas laisser la lutte de libération «dégénérer» et devenir une menace pour le maintien de la domination capitaliste.

Passant en revue l’histoire des événements au Sri Lanka, en Inde, au Pakistan, au Bangladesh et en Birmanie après la fin de la domination britannique sur le sous-continent indien, le CIQI écrivit:

Appuyés sur la structure pourrie des États capitalistes et dans les limites étouffantes de leurs frontières artificielles, ni les aspirations démocratiques ni les besoins matériels fondamentaux des masses ne peuvent être satisfaits. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’impérialisme n’a pas permis la création d’un seul État national fondé sur une véritable égalité démocratique de ses diverses composantes linguistiques, religieuses et raciales. Invariablement, l’«indépendance» sanctionnée par l’impérialisme a signifié la création d’États bâtards dont les fondements mêmes ont été érigés sur la base d’une compromission fatale des principes démocratiques. Dans ce processus, la bourgeoisie nationale a fonctionné non pas comme la libératrice des masses opprimées, mais comme une partenaire mineure dans le pillage impérialiste.

La déclaration réaffirmait son opposition intransigeante à la guerre communautaire au Sri Lanka. En même temps, elle soulignait que «les obligations démocratiques non résolues du peuple tamoul ne peuvent être réalisées que par la lutte internationale unie de la classe ouvrière pour le socialisme». Contre les nationalistes cinghalais et tamouls, elle avançait la perspective d’une lutte pour un État socialiste uni du Sri Lanka et de l’Eelam tamoul, dans le cadre de la lutte pour les États socialistes unis d’Asie du Sud.

Contre l’appel des nationalistes tamouls à une nouvelle intervention indienne au Sri Lanka

Même 34 ans plus tard, ces lignes éclairent les problèmes politiques fondamentaux auxquels sont confrontés les travailleurs du Sri Lanka et de toute l’Asie. De vastes changements économiques et politiques se sont accélérés au cours de cette période, avec l’avènement de la mondialisation capitaliste et de la production transnationale, et la dissolution stalinienne de l’Union soviétique en 1991. Des centaines de millions de personnes sont venues grossir les rangs de la classe ouvrière en Asie.

Ces changements ne font qu’accentuer la faillite et la vénalité des élites dirigeantes capitalistes et le danger croissant de guerre, intensifié à présent par la gestion criminelle de la pandémie par les puissances capitalistes.

La défaite des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) dans la guerre communautaire et le massacre de Mullaitivu en 2009 sont eux-mêmes des produits de ces vastes changements internationaux. Au cours des 23 années de guerre, ils n’avaient pas perdu le soutien de la population tamoule du Sri Lanka. Tout en taxant les revenus provenant des prises des pêcheurs, des récoltes des paysans ou des fiches de paie des enseignants, ils n’ont produit qu’un conflit sanglant et sans fin. En même temps, les LTTE étaient pris à contre-pied par les vastes changements survenus dans la géopolitique internationale.

Alors qu’il menait des guerres impérialistes ratées qui faisaient des millions de victimes au Moyen-Orient, à commencer par la guerre du Golfe de 1991 contre l’Irak, l’impérialisme américain chercha désespérément à consolider ses positions régionales. En Asie, il a trouvé un allié dans la bourgeoisie indienne, qui s’était largement déplacée vers la droite depuis son ouverture aux marchés mondiaux en 1991. Dans le cadre d’un traité militaire conclu en 2005, Delhi a commencé à devenir l’allié régional clé de Washington contre l’économie croissante de la Chine.

Washington et Delhi, craignant l’alliance de la Chine avec le régime Rajapakse, ont accepté le massacre de Mullaitivu pour maintenir leur influence à Colombo. C’est ce qui explique la complicité des puissances impérialistes, de l’État indien et des différents politiciens bourgeois tamouls dans le massacre.

Les massacres et le déploiement de l’armée sri-lankaise dans le Nord et l’Est du Sri Lanka n’ont cependant pas résolu des questions nationales ne pouvant être résolues dans le capitalisme, ni réduit au silence la colère légitime qui brûle encore dans des millions de familles ouvrières et laborieuses marquées par ces événements.

Le gouvernement sri-lankais a reconnu avoir massacré les personnes disparues dans le Nord. En janvier 2020, lors d’une réunion avec la coordinatrice résidente des Nations unies, Hannah Singer, au Secrétariat présidentiel, Gotabhaya Rajapakse a déclaré pour la première fois que «les disparus sont vraiment morts» et a proposé froidement qu’on «prenne des mesures pour délivrer des certificats de décès à ces personnes disparues».

De son côté, le nationaliste tamoul Varadaraja Perumal, qui fut ministre en chef du nord-est du Sri Lanka pendant l’occupation indienne, a déclaré: «Leurs proches savent très bien que les disparus ne sont plus en vie. Une enquête internationale n’est pas possible, et le président leur versera une compensation et résoudra leur problème.» Autrement dit, il a proposé que les familles des disparus se satisfassent de l’annonce choquante de Rajapakse et du prix du sang qu’il jugera bon de verser.

Les nationalistes tamouls, qui se posent toujours en adversaires des frères Rajapakse et ont soutenu le gouvernement de «bonne gouvernance» et pro-austérité issu d’une opération de changement de régime menée par les États-Unis en 2015, ont approfondi leurs liens avec les puissances capitalistes complices du massacre.

Cet hiver, de nombreux politiciens nationalistes tamouls ont lancé un appel en faveur d’une alliance politique et militaire avec le parti suprématiste hindou du Premier ministre indien Narendra Modi, le Bharatiya Janata Party (BJP). Ils ont également approuvé la formation d’un BJP sri-lankais (SLBJP). «Les Tamouls d’Eelam ne permettront jamais la présence d’entreprises chinoises sur ce sol», a déclaré le chef du Parti national tamoul, K. Shivajilingam. Il a appelé à la formation d’une «autre internationale au nom du BJP» contre le Parti communiste chinois.

Il est significatif que Shivajilingam ait menacé le régime Rajapakse d’une nouvelle occupation militaire du nord du Sri Lanka, comme celle de l’Inde en 1987-1990. Il a déclaré: «Dans la région Inde-pacifique, si vous deviez agir contre l’Inde et les États-Unis, certainement, un conflit majeur serait inévitable… Il n’y a aucune garantie que des troupes américaines ou indiennes ne puissent débarquer et rester dans le nord et dans l’est» du Sri Lanka.

De telles remarques font de Shivajilingam et ceux qui pensent comme lui des réactionnaires politiques. Ils sont prêts à travailler une fois de plus avec l’État indien pour réprimer brutalement la classe ouvrière.

La pandémie démasque plus encore le caractère réactionnaire des appels des nationalistes tamouls à une alliance avec Washington et Delhi, menaçant d’une nouvelle guerre et occupation indienne. Leur soutien au régime de Modi représente l’approbation d’une politique, défendue avant tout par Washington, consistant à laisser le coronavirus se répandre dans la population. Dans une nouvelle explosion de la pandémie qui menace de frapper également le Sri Lanka voisin, près d’un demi-million d’Indiens contractent chaque jour cette maladie mortelle. Mais les nationalistes tamouls applaudissent le régime de Modi.

La question cruciale à laquelle sont confrontés les travailleurs et les jeunes opposés au régime de Rajapakse, à la politique d’«immunité de collective» et à la guerre impérialiste, est celle de l’unification des luttes de la classe ouvrière. Cela signifie une rupture consciente avec le nationalisme.

La lutte pour découvrir ce qui est arrivé aux disparus et pour punir les responsables du massacre doit être organisée au niveau international, dans le cadre de la lutte pour le socialisme. Au Sri Lanka, seul le PES, qui se bat pour une perspective trotskyste, lutte pour renverser le système dépassé du capitalisme mondial par une révolution socialiste et établir un régime qui représente les intérêts des masses ouvrières et opprimées. Pour les travailleurs, les jeunes et les opprimés, la voie à suivre est celle de la construction du PES au Sri Lanka et de sections du CIQI dans le monde entier.

(Article paru d’abord en anglais le 18 mai 2021)

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