La droite au pouvoir au Chili subit une défaite écrasante à l'élection de l’Assemblée constituante

Les élections à l’Assemblée constituante au Chili tenues le 15 et 16 mai ont été marquées par une défaite écrasante de la droite au pouvoir et de l'opposition parlementaire traditionnelle dans la sélection des 155 sièges constituants. Les résultats révèlent à la fois un tournant renforcé vers la gauche parmi les masses et la nécessité urgente pour la classe ouvrière de rompre avec de dangereuses illusions dans la voie parlementaire promue par le Parti communiste et le Frente Amplio et leurs organisations satellites de pseudo-gauche.

Entouré de militaires, Sebastian Piñera signe un décret national d'urgence à la télévision nationale (source: Presidencia de Chile)

Seuls 40 pour cent des électeurs inscrits ont voté lors d’élections multiples qui comprenaient des postes de gouverneurs régionaux, de maires et de conseillers municipaux. L’Assemblée constituante aura jusqu'à un an pour rédiger une nouvelle constitution dont les dispositions essentielles devront être approuvées à la majorité des deux tiers. Après cela, un autre référendum national décidera de l’adoption ou non de la nouvelle constitution.

Ceux qui ont voté donnèrent la préférence surtout aux candidats ayant promis d'inscrire dans la nouvelle charte du pays des garanties pour la santé publique, les systèmes d'éducation et de retraite, les droits démocratiques, la fin des inégalités sociales, la redistribution des richesses, les protections environnementales et les droits des autochtones.

Il faut dire d'emblée que le capitalisme ne peut garantir aucune de ces revendications car c'est un système basé sur les inégalités sociales et l'exploitation. Les illusions dans les mythes réformistes ayant fait faillite sont d'autant plus dangereuses aujourd'hui que les gouvernements capitalistes, depuis les nations impérialistes les plus puissantes jusqu’aux pays semi-coloniaux, pratiquent face aux crises politiques, sanitaires et sociales la «négligence maligne».

Dans la pandémie de coronavirus, des «démocraties» aussi variées que l'Espagne et l'Inde, la France et les États-Unis n'ont garanti qu'une seule chose : une mort certaine. La mise en œuvre délibérée de politiques d' « immunité collective » qui placent les profits avant la vie de millions de personnes a permis à l'élite financière et industrielle mondiale d'augmenter sa richesse de 4 000 milliards de dollars pour la porter à 14 000 milliards de dollars l'année dernière, alors que les travailleurs et leurs familles ont dû entamer leurs épargnes, subir le chômage de masse et voir des êtres chers mourir dans des hôpitaux en sous-effectif et sous-financés, et envoyer leurs enfants non vaccinés à l'école.

Confrontés ces deux dernières années à des actions revendicatives explosives et à une éruption de la lutte de classe internationale, les gouvernements bourgeois de tous types flirtent avec des formes de régimes autoritaires, conspiratrices et fascisantes, et externalisent leurs crises de régime en attisant des conflits frontaliers et des guerres régionales.

Le Chili n’y fait pas exception. Pour faire face à l'éruption sociale de 2019, le président milliardaire droitier Sebastian Piñera en appela à l'armée et décréta un état d'urgence pour la première fois depuis le retour d’un régime civil. Avec le soutien du Congrès, Piñera a également adopté des lois draconiennes renforçant l'appareil répressif et permettant l'utilisation de l'armée pour le maintien de l'ordre. Un plainte a été déposée devant la Cour pénale internationale (article en anglais) par un groupe d' organisations de défense des droits de l' homme accusant Piñera et les autorités civiles et militaires de crimes contre l'humanité durant une répression policière qui a fait 36 morts, des disparitions, des centaines de mutilés et de blessés, et des milliers de violations des droits de l'homme ; des atrocités qui continuent à ce jour.

Tout en prétendant s'opposer au gouvernement et en le menaçant de poursuites judiciaires, toute la gauche parlementaire, dont la coalition Frente Amplio et les syndicats du Parti communiste stalinien, est venue à la rescousse, proposant de travailler avec le gouvernement assiégé de Piñera et de superviser les pourparlers de paix pour l'unité nationale.

Ils l'ont fait pour faire des manifestations anticapitalistes massives des appels inoffensifs pour changer la constitution imposée sous la dictature du général Augusto Pinochet. Une grève générale à la mi-novembre 2019, imposée à la confédération syndicale dominée par les staliniens, la CUT, s'est avérée être la dernière de son espèce, car un accord entre droite et gauche parlementaires a jeté les bases du plébiscite, tenu en octobre dernier, défiant la constitution autoritaire.

Dès lors, la gauche et la CUT ont fait des protestations symboliques et des coups de publicité avec comme effet escompté la dissipation du militantisme ouvrier, tandis que les syndicats du secteur minier, le secteur le plus important du Chili, entamaient des pourparlers acceptant le gel des salaires ; ils ne menèrent aucune action revendicative malgré la propagation du COVID-19 dans les principales villes minières.

Face au carnage causé par la pandémie au Chili – 1,5 million de cas confirmés et présumés de COVID-19 au cours des 14 derniers mois, et 35.000 décès confirmés et présumés – il y eut des émeutes contre la faim, contre le manque d'eau courante, la négligence du gouvernement et la violence policière aveugle. Des comités créant des banques alimentaires et des soupes populaires ont vu le jour spontanément pour répondre aux besoins urgents de la population.

La gauche parlementaire et la bureaucratie syndicale ont de nouveau cherché à détourner ces initiatives par des appels populistes et des coups publicitaires politiques.

L'un d’eux était en faveur d'une série de lois permettant de ne pas cotiser aux fonds de pension privés. En réalité, la classe ouvrière et la classe moyenne ne faisaient que subventionner leurs propres difficultés économiques (quelque 50 milliards de dollars américains ont été retirés à ces ‘fonds AFP’).

Un autre coup publicitaire a été la promotion d'un prélèvement unique de 2,5 pour cent sur les super-riches et une augmentation temporaire de 3 pour cent de l’impôt sur les sociétés. Celle-ci, même si elle est adoptée au Sénat, s'avérera totalement inadéquate pour financer un soi-disant revenu de base pour les ménages démunis. Pendant ce temps, les milliardaires chiliens ont doublé leur richesse pendant la pandémie, passant de 21 milliards de dollars en mars 2020 à 42,7 milliards de dollars en avril 2021.

Un autre encore est un projet de loi de redevance sur les ventes de cuivre approuvé au niveau du comité à la chambre basse le 26 avril, trois semaines avant les élections constituantes. Dans ce projet de loi, les redevances passent d'un taux marginal de 15 pour cent lorsque le prix du cuivre dépasse 2 dollars la livre, à 75 pour cent lorsqu’il dépasse 4 dollars la livre. Cette dernière combine a inquiété les géants miniers, bien qu'elle ait peu de chance d’être adoptée au Sénat.

Personne n'a été surpris, sauf peut-être une partie de l'élite, de ce que tant la droite sortante que la gauche parlementaire traditionnelle subiraient une défaite aux élections des 15 et 16 mai. Lors du plébiscite d'octobre, 78 pour cent avaient voté pour abroger la charte de Pinochet et faire élire une convention constitutionnelle. De plus, d’innombrables sondages avaient montré que la population méprisait les partis de l’establishment, les tribunaux et les institutions répressives – le soutien à Piñera tournant autour de 10 pour cent depuis deux ans.

La coalition d'extrême droite du président Piñera, «Chili Vamos », composée des complices civils du feu général Augusto Pinochet, Rénovation nationale et UDI, ainsi que du Parti républicain fasciste, n'a recueilli que 39 des 155 sièges constituants, nombre insuffisant pour avoir le tiers des voix requis pour opposer son veto à des changements.

La coalition de centre-gauche «Approuve», composée du Parti socialiste, des démocrates-chrétiens, du Parti pour la démocratie et du Parti radical, qui a gouverné pendant 24 des 30 dernières années de régime civil, n'a remporté que 25 sièges.

La coalition «Approuver la dignité», du Parti communiste stalinien (PCCh) et de la pseudo-gauche Frente Amplio (Front large), n'a recueilli que 27 sièges, mais elle recevra probablement le soutien des 48 électeurs indépendants, dont beaucoup sont issus d’organisations sociales alignées sur les staliniens, ainsi que des 17 représentants autochtones ayant des postes réservés.

Le danger réside dans l'attente infondée que les staliniens et la pseudo-gauche se battront pour les intérêts de la classe ouvrière et des masses pauvres. Ces partis et leurs satellites, dont beaucoup se sont présentés en tant qu'indépendants, sont dirigés par des couches de la classe moyenne supérieure liées à l'État capitaliste ou qui souhaitent s'intégrer à l'État et en tirer leur subsistance. Ils sont tous des gardiens avérés de la propriété privée capitaliste.

Le Parti communiste stalinien du Chili (PCCh) a un long bilan historique à cet égard. Il a ouvert la voie au coup d'État militaire de 1973 et à la violente répression de la classe ouvrière chilienne, en subordonnant ses luttes à la soi-disant «voie parlementaire vers le socialisme» et au gouvernement de coalition bourgeois d'Unité populaire de Salvador Allende.

Le Chili sous Pinochet fut un laboratoire pour la contre-révolution sociale qui s'est répandue dans le monde entier avec la mondialisation capitaliste. La «gauche rénovée» et les bureaucrates syndicaux se sont facilement accommodés de la nouvelle normalité des années 80, abandonnant même le prétexte de réformes sociales pendant la soi-disant transition démocratique du régime militaire. Si les staliniens n'ont pas participé aux coalitions qui ont gouverné pendant les deux premières décennies du retour à un régime civil en 1990, cela n'est pas dû à une opposition de principe.

Au 21e siècle, ces organisations reposent sur une nouvelle base sociale composée de la classe moyenne supérieure – bureaucrates et fonctionnaires, professionnels, universitaires, journalistes, avocats, célébrités – qui promeuvent la politique d’identité comme moyen de gravir les échelons politiques et monter dans l’échelle sociale et des revenus. Dans cette optique, ils présentent la «parité entre les sexes» dans la Convention constitutionnelle et d'autres institutions étatiques, et une représentation des autochtones et des minorités comme l’illustration d'une victoire progressiste et démocratique, alors que tout l'exercice parlementaire est marqué par la réaction impérialiste.

The Economist, porte-parole de l'impérialisme britannique depuis les années 1840, écrivait en mars, «Le Chili se lance dans un processus potentiellement constructif de redéfinition […] Dans un pays où les politiciens et les institutions, de l'Église catholique à la police, sont discrédités, le processus est presque aussi important que le résultat. Il y a des nouveautés importantes: l'assemblée doit avoir un nombre à peu près égal de femmes et d' hommes, 17 sièges sont réservés aux autochtones et plusieurs candidats se présentant sur des listes indépendantes sont susceptibles d'être choisis… »

Le groupe de réflexion impérialiste américain influent Council of Foreign Relations était plus catégorique dans un commentaire publié au début du mois:

La parité entre les sexes à l’Assemblée constituante pourrait également représenter le premier pas vers l' égalité d'accès aux postes de pouvoir et aux processus décisionnels pour les femmes.[ …] De tels engagements en faveur de l'inclusion politique sont nécessaires pour renforcer la démocratie chilienne et pour répondre aux besoins longtemps négligés de ses citoyens les plus vulnérables.[ …] Mais quel que soit le résultat, l'inclusion des femmes et des groupes autochtones à des niveaux sans précédent est un pas vers une véritable gouvernance démocratique […] (souligné par nous).

La réécriture de la constitution ne mettra pas fin à la crise capitaliste, ni à la lutte des classes ni à la menace de dictature au Chili. L'État capitaliste ne peut pas non plus être réformé, refondé ou «démocratisé». Il doit bien plutôt être renversé par la classe ouvrière dans la lutte pour établir un nouvel État basé sur le contrôle ouvrier.

La question critique posée à la classe ouvrière et à la jeunesse chiliennes est celle de la direction révolutionnaire. Un nouveau parti doit être construit sur la base du programme du véritable socialisme international révolutionnaire, pour lequel s'est battu le Comité international de la Quatrième Internationale. Fondée par Léon Trotsky, seule la Quatrième internationale a défendu la continuité politique du marxisme à travers son combat implacable contre le stalinisme et la social-démocratie, puis contre le révisionnisme pabliste et toutes les autres formes d'anti-marxisme nationaliste. Pour faire avancer le combat révolutionnaire au Chili, les jeunes et les travailleurs doivent étudier ces expériences politiques et théoriques stratégiques et en tirer les conclusions nécessaires.

(Article paru en anglais le 22 mai 2021)

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