Tandis que le nombre de cas quotidiens de COVID-19 atteint des sommets en Inde, Modi s’oppose à la gratuité des vaccins

Bien que le nombre de nouveaux cas quotidiens d’infection au COVID-19 en Inde soit passé cette semaine sous la barre des 300.000 pour la première fois depuis près d’un mois, le bilan officiel des décès a atteint des sommets successifs, avec 4.329 décès enregistrés mardi et 4.529, mercredi.

Pour aggraver encore la situation, la pandémie a trouvé un nouveau terrain propice dans les zones rurales et reculées de l’Inde où vivent plus de 65 pour cent de la population du pays: soit plus de 800 millions de personnes pour la plupart opprimées et appauvries. Les infrastructures de soins de santé sont pratiquement inexistantes dans les zones rurales.

Des personnes attendent de recevoir le vaccin COVID-19 à Mumbai, en Inde, le jeudi 29 avril 2021. (AP Photo/Rajanish Kakade)

Aussi horribles que soient les chiffres officiels des infections et des décès, ils sont largement considérés par les experts de la santé comme des sous-estimations grossières de l’étendue réelle de la catastrophe du COVID-19 en Inde. Certains scientifiques estiment que le nombre réel de décès au cours de la «deuxième vague» de la pandémie en Inde, qui a débuté à la mi-février, est de cinq à dix fois supérieur au chiffre officiel. Cela signifierait que des dizaines de milliers de personnes meurent actuellement du COVID-19 chaque jour.

La responsabilité de cette situation désastreuse incombe entièrement à Modi, à son gouvernement d’extrême droite du Bharatiya Janata Party (BJP) et à l’élite capitaliste vénale de l’Inde qui, il y a moins de deux mois, se vantaient encore de la gestion prétendument exemplaire de la pandémie par l’Inde. Modi a systématiquement ignoré les avertissements de ses conseillers scientifiques concernant le développement de la deuxième vague qui est alimentée par de nouveaux variants plus infectieux, dont la souche B.1.617, identifiée pour la première fois en Inde et qui s’est maintenant répandue dans le monde entier. Au lieu de cela, Modi a continué à insister, comme son gouvernement le fait depuis plus d’un an, sur le fait que rien ne doit entraver les profits des sociétés, même si le nombre officiel de décès quotidiens atteignait 3.000 à la mi-avril et que l’Inde apparaissait comme l’épicentre de la pandémie mondiale. Modi a déclaré qu’on doit «sauver l’Inde du confinement», et non du virus.

Le déploiement des vaccins par le gouvernement, qui est en plein désarroi, est à l’image de la stratégie de Modi: «les profits avant les vies». Son gouvernement refuse catégoriquement de fournir des vaccins gratuits à la population indienne, ce qui signifie en pratique que des centaines de millions de personnes démunies vont devoir s’en passer. Le gouvernement BJP a également laissé la production des vaccins et une part importante de leur distribution à des entreprises privées qui engrangent d’énormes bénéfices grâce aux coûts exorbitants que le gouvernement leur a permis de facturer. En plus d’enrichir davantage l’élite indienne fabuleusement riche, le gouvernement Modi a pris la décision de s’appuyer sur des entreprises privées afin de montrer au monde entier les prouesses de l’entreprise capitaliste indienne.

Le résultat de cette politique est que l’Inde a l’un des prix les plus élevés au monde pour les vaccins COVID-19. Covishield, qui est basé sur le vaccin développé par AstraZeneca et est fabriqué par le Serum Institute of India, coûte 12 dollars par dose, tandis que Covaxin, produit par Bharat Biotech, coûte 17 dollars par dose. Les deux vaccins nécessitent deux doses. Pour mettre les choses en perspective, un reportage récent indique que la pandémie a poussé 235 millions d’Indiens supplémentaires sous le «seuil de pauvreté» du gouvernement, qui est fixé à un revenu de 375 roupies, soit environ 5 dollars par jour. Ainsi, pour une partie importante de la population, les vaccins sont effectivement hors de portée.

Le Dr Devi Shetty, membre du groupe de travail national nommé par la Cour suprême pour concevoir un mécanisme scientifique de distribution d’oxygène médical, a fait remarquer dans une interview accordée à India Today TV le 15 mai: «Combien de personnes dans le pays peuvent se permettre de dépenser autant d’argent pour une vaccination? Ces derniers mois ont été très difficiles pour la classe ouvrière et les pauvres. Beaucoup n’ont pas eu de source de revenus».

Comparé aux sommes somptueuses dépensées pour l’armée indienne et aux niveaux obscènes de richesse accumulée par les milliardaires du pays – qui, selon Forbes, ont vu leur richesse presque doubler au cours de l’année dernière pour atteindre 596 milliards de dollars – le coût de la vaccination de toutes les personnes âgées de plus de 18 ans est une somme dérisoire. Le coût total est évalué à 6,4 milliards de dollars, soit à peine 0,32 pour cent du PIB de l’Inde, une petite fraction du budget de la défense de 2020, qui s’élève à plus de 71 milliards de dollars.

Le refus de l’élite dirigeante indienne de dépenser ce montant minuscule pour protéger la population contre le virus s’inscrit directement dans la logique de son sous-financement chronique des soins de santé en général. Pendant des décennies, l’État indien, c’est-à-dire tous les niveaux de gouvernement confondus, a consacré l’équivalent de seulement 1,5 pour cent du PIB aux soins de santé.

Cette négligence néfaste est aggravée par la réponse criminelle des puissances impérialistes à la pandémie. Menées par les États-Unis, elles ont refusé de lever les brevets des géants pharmaceutiques sur les vaccins et ont bloqué l’exportation des vaccins et des matériaux nécessaires à leur production. Les États-Unis ont ainsi accumulé des centaines de millions de doses dans une initiative réactionnaire qui vise à transformer des vaccins potentiellement salvateurs en une arme de plus dans le vaste arsenal militaire et diplomatique de l’impérialisme américain.

Le mois dernier, le chef de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a révélé qu’au début du mois d’avril, les pays à faible revenu n’avaient administré que 0,2 pour cent des plus de 700 millions de doses de vaccin administrées dans le monde, tandis que les pays les plus riches en avaient reçu plus de 87 pour cent. «Un déséquilibre choquant subsiste dans la distribution mondiale des vaccins», a-t-il fait remarquer. «En moyenne, dans les pays à revenu élevé, près d’une personne sur quatre a reçu un vaccin. Dans les pays à faible revenu, c’est une personne sur plus de 500. Permettez-moi de le répéter: une personne sur quatre contre une sur 500.»

Lorsque le gouvernement indien a lancé sa campagne de vaccination à la mi-janvier, Modi s’est vanté que c’était le «plus grand programme de vaccination au monde». Au départ, le programme était limité aux personnes âgées de plus de 60 ans et aux personnes de 45 ans ou plus qui présentaient des comorbidités. Les personnes âgées de 18 à 44 ans, soit près de 600 millions de personnes, ont été incluses dans le programme à partir du 1er mai, même si le gouvernement savait pertinemment qu’il ne disposait pas des vaccins requis et que cela entraînerait un chaos et des difficultés supplémentaires.

Au 15 mai, l’Inde, deuxième pays le plus peuplé du monde avec 1,38 milliard d’habitants, n’avait administré que 182 millions de doses de vaccin, selon Our World in Data. Seules 40,4 millions de personnes, soit à peine 3 pour cent de la population totale, ont été entièrement vaccinées.

La population totale de plus de 18 ans en Inde est d’environ 966 millions de personnes. Cela signifie qu’on doit avoir environ 1,93 milliard de doses de vaccins pour vacciner tout le monde en 12 mois, soit 5,4 millions de doses par jour. La capacité de production des deux principaux fabricants privés de vaccins en Inde est limitée à 3,8 millions de doses par jour.

Le bilan misérable de la campagne de vaccination indienne est le résultat direct de la volonté du gouvernement Modi d’en faire un moyen de promouvoir les intérêts économiques et géopolitiques de l’élite dirigeante, et non pas pour protéger la population contre le coronavirus mortel. Sa détermination à s’appuyer uniquement sur les entreprises privées, même si celles-ci ne disposent pas des capacités de production nécessaires pour approvisionner la population indienne, découle de la poursuite incessante de politiques favorables aux investisseurs par l’ensemble de l’establishment politique au cours des trois dernières décennies. Le gouvernement BJP a également jugé impératif de vanter les mérites du vaccin «fait en Inde» dans un contexte où l’Inde est en concurrence avec la Chine en tant que plateforme de main-d’œuvre bon marché pour les investissements mondiaux et s’aligne derrière Washington pour défier Pékin sur le plan militaire et diplomatique dans la région indopacifique.

Le recours au secteur privé pour la distribution et l’administration des vaccins constitue un obstacle supplémentaire à la vaccination d’une grande partie de la population. Après que le gouvernement central ait négocié l’achat de 50 pour cent du total des doses de vaccin achetées, qu’on a réservées pour les personnes âgées de 45 ans et plus, il a laissé les États et les hôpitaux privés négocier leurs propres conditions avec les fabricants privés pour 25 pour cent chacun. SII et Bharat Biotech ont eu les coudées franches pour exiger les prix qu’ils souhaitaient.

Le résultat de cet arrangement est qu’une quantité disproportionnée de la production indienne de vaccins va aux grands groupes hospitaliers privés, qui sont prêts à surenchérir sur les États. Selon un rapport du Times of India, quatre grands groupes de soins de santé, Apollo, Max, Fortis et Manipal, se taillent la part du lion en matière de vaccins. Ces vaccins sont, à leur tour, très majoritairement destinés aux couches les plus aisées de la population qui peuvent se permettre le prix exorbitant de 1.000 à 1.200 roupies que les hôpitaux privés font payer aux patients en moyenne par dose.

D’autre part, la population rurale, qui est confrontée à une forte augmentation des infections, est mise à l’écart, car les grands hôpitaux privés ne sont pratiquement pas présents dans les zones rurales. Alors que 30 pour cent des habitants des districts urbains avaient reçu une première dose de vaccin au 14 mai, seuls 12 à 15 pour cent des résidents des districts ruraux et semi-ruraux avaient reçu une première injection.

(Article paru en anglais le 20 mai 2021)

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