Le Canada a officiellement enregistré cette semaine son 25.000e décès lié à la COVID-19. Ce chiffre inclut quelque 10.000 décès rien qu’au cours des 20 premières semaines de 2021. Pourtant, pour l’élite dirigeante, la pandémie est de l’histoire ancienne et le moment est venu de démanteler rapidement toutes les restrictions restantes visant à stopper la propagation du virus afin que les sociétés canadiennes puissent augmenter leurs profits.
Tel est le message sans équivoque de la lettre ouverte que 61 grandes associations d’entreprises, dont le Conseil canadien des affaires, la Chambre de commerce et le Conseil du patronat du Québec, ont adressée au premier ministre Justin Trudeau et à son gouvernement libéral plus tôt cette semaine, avec copie aux 13 gouvernements provinciaux et territoriaux. Elle exhorte le gouvernement Trudeau à adopter encore plus explicitement une politique d’infection massive et de meurtre social qui entraînera des dizaines de milliers d’infections supplémentaires et des milliers de morts inutiles.
La lettre commence par une présentation totalement fausse de l’état de la pandémie. Affirmant que la pandémie a atteint un «tournant», les lobbyistes des entreprises ont déclaré: «D’ici le milieu de l’été, si ce n’est plus tôt, environ trois quarts des adultes canadiens seront au moins partiellement vaccinés, et un sur cinq sera complètement vacciné. Lorsque ce scénario sera atteint, la modélisation fédérale suggère qu’il devrait être possible de commencer à assouplir les mesures restrictives.» Affirmant que «la lumière au bout du tunnel devient plus brillante», les porte-parole du patronat ont exigé «une approche pancanadienne pour rouvrir nos communautés, nos écoles et nos entreprises.»
Les exigences des grandes entreprises sont encore plus claires lorsque la lettre cite les exemples internationaux que les gouvernements canadiens devraient imiter, selon les signataires. «D’autres juridictions ont ouvert la voie pour que nous puissions les suivre», se sont-ils enthousiasmés. «En février, le Royaume-Uni a dévoilé une feuille de route en quatre étapes pour sortir du confinement... L’Union européenne est en train d’élaborer un certificat de voyage qui remplacerait la mosaïque actuelle de réglementations de voyage spécifiques à chaque pays parmi ses 27 nations membres... Aux États-Unis, les Centres de contrôle et de prévention des maladies ont publié des directives pour les personnes entièrement vaccinées.»
En d’autres termes, le gouvernement canadien devrait suivre l’exemple du premier ministre britannique Boris Johnson, qui a déclaré de manière tristement célèbre: «Plus de p***** de confinement, laissons les corps s’empiler»; de l’Union européenne, à l’intérieur des frontières de laquelle plus de 700.000 personnes ont perdu la vie à cause de la COVID-19; et des États-Unis, qui ont le bilan officiel le plus élevé au monde et qui démantèlent actuellement les derniers vestiges de toute réponse organisée de santé publique à la COVID-19. La semaine dernière, les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies ou CDC sont allés jusqu’à abolir effectivement toute obligation de porter le masque.
Lorsque les grandes entreprises exhortent Trudeau, dans leur lettre ouverte, à transmettre un message d’«espoir» et d’«optimisme» à la population et à se concentrer sur la «reprise post-pandémique», elles lui disent de servir de façade à une campagne impitoyable de «réouverture» de l’économie et d’ignorer allègrement l’inévitable augmentation des nouvelles infections et des décès qui l’accompagne. Dans des commentaires adressés au National Post, des chefs d’entreprise tels que Goldy Hyder, directeur général du Conseil canadien des affaires, ont été encore plus directs en avertissant qu’un manquement à cet égard risquait d’«étouffer» la reprise économique du Canada et de miner sa position concurrentielle.
L’affirmation selon laquelle le pire de la pandémie appartient au passé et que ce qu’il faut, c’est plus d’«optimisme» pour assurer une «reprise stable» va à l’encontre de la réalité à laquelle est confrontée la classe ouvrière. Le Canada continue d’enregistrer plus de 5100 infections quotidiennes, selon la dernière moyenne sur sept jours, ce qui est bien supérieur au pic de la première vague. Des éclosions massives frappent les lieux de travail à travers le pays, y compris une catastrophe en cours à l’exploitation des sables bitumineux Horizon de CNRL en Alberta, qui a rendu malades plus de 1500 travailleurs et en a tué trois. Des centaines d’éclosions en milieu de travail continuent d’être signalées en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique.
Même en supposant que le scénario du milieu de l’été décrit dans la lettre des groupes d’entreprises se réalise, cela ne justifierait en aucun cas leurs demandes cavalières et irréfléchies de suppression de toutes les mesures anti-COVID-19. Les épidémiologistes ont souligné que 80 à 90% de la population devront être entièrement vaccinés avant que la réouverture ne soit sûre, en raison de la nature plus infectieuse et potentiellement mortelle des nouveaux variants. À l’heure actuelle, seulement 48% de la population canadienne a reçu une seule dose de vaccin, et seulement 4,1%, soit environ 1,5 million de personnes, sont entièrement vaccinées. Même en supposant que la prédiction optimiste des groupes patronaux selon laquelle «une personne sur cinq sera entièrement vaccinée» au milieu de l’été, le Canada aura à peine atteint un quart de l’objectif recommandé par les épidémiologistes. Environ 80% de la population ne sera toujours pas protégée, ou insuffisamment, contre le virus mortel.
La réalité est que les représentants des grandes entreprises, et leurs laquais politiques, n’ont aucun intérêt à combattre systématiquement la pandémie. Leur principale préoccupation est de créer les meilleures conditions possible pour permettre aux super-riches de continuer à accumuler de vastes sommes d’argent et de soutirer à la classe ouvrière, par une exploitation accrue, les centaines de milliards de dollars que l’État a versés aux banques et aux sociétés l’an dernier dans le cadre de ce qu’on a appelé faussement un sauvetage d’urgence.
Bien que l’Alberta ait l’un des taux d’infection et de cas actifs par habitant les plus élevés de toute l’Amérique du Nord, le gouvernement ultraconservateur du Parti conservateur uni (PCU) de la province a annoncé que les écoles rouvriraient dans toute l’Alberta à partir du mardi 25 mai. Les seules exceptions sont celles de la municipalité régionale de Wood Buffalo, où le système de soins de santé est totalement débordé en raison de dizaines d’éclosions dans le secteur pétrolier.
Jeudi, le premier ministre conservateur de l’Ontario, Doug Ford, a dévoilé un plan de réouverture radical qui supprimera toutes les restrictions en trois étapes. Soulignant le caractère irréfléchi du plan, les restrictions sur les rassemblements à l’intérieur, les commerces de détail, les restaurants et les loisirs seront pratiquement abolies dès que 70 à 80% de la population adulte aura reçu une seule dose de vaccin, et que seulement 25% auront reçu deux doses.
Bien qu’aucune annonce officielle n’ait été faite concernant la réouverture des écoles, le médecin hygiéniste en chef de l’Ontario, le Dr David Williams, a refusé d’exclure la réouverture des écoles avant la fin de l’année scolaire le mois prochain. Signe qu’une réouverture est activement préparée, la province a publié jeudi des données indiquant que la réouverture des écoles le 2 juin entraînerait une augmentation de 6 à 11% des infections au COVID-19, une augmentation qui, selon les responsables, serait «gérable». En d’autres termes, ils estiment qu’il y a suffisamment de lits de soins intensifs libérés par les décès de patients pendant le reflux de la troisième vague de la pandémie pour accueillir un nouvel afflux d’enseignants, de parents et d’enfants gravement malades.
Les politiques meurtrières des provinces sont soutenues sans réserve par le gouvernement fédéral libéral de Trudeau. Il a été le fer de lance de la campagne de retour au travail et à l’école qui a déclenché la deuxième vague au Canada l’automne dernier; et dans un silence qui démontre son soutien, il n’a rien dit alors que les provinces annulaient rapidement les mesures de confinement limitées qu’elles avaient introduites fin décembre au moment où la deuxième vague atteignait son apogée, créant ainsi les conditions d’une troisième vague dévastatrice. Dans le discours du Trône de septembre dernier, qui n’a été adopté que grâce aux sociaux-démocrates du Nouveau Parti démocratique, les libéraux ont insisté pour que toutes les mesures de santé publique soient «à court terme» et mises en œuvre au niveau «local», une formule conçue pour permettre aux grandes entreprises de continuer à fonctionner et à générer des profits.
Les syndicats sont tout aussi complices. Ils ont passé toute la pandémie à dire aux travailleurs qu’ils ont des «intérêts communs» avec les mêmes groupes d’entreprises qui prônent maintenant ouvertement une politique de meurtre social. En mai dernier déjà, le président du Congrès du travail du Canada, Hassan Yussuff, a cosigné un article avec le président de la Chambre de commerce, Perrin Beatty, demandant la création d’un groupe de travail économique national composé de représentants des employeurs, du gouvernement et des syndicats pour superviser la «reprise», c’est-à-dire pour stimuler la rentabilité et promouvoir les intérêts mondiaux des sociétés canadiennes. Tout au long de la pandémie, les syndicats ont réprimé toute opposition des travailleurs aux conditions de travail dangereuses, qualifiant d’«illégale» toute grève qui viserait à fermer les installations non sécuritaires.
En Ontario, les syndicats ont clairement indiqué qu’ils ne feraient rien pour s’opposer à la réouverture éventuelle des écoles par le gouvernement Ford en juin. «Nous nous tournons vers les experts médicaux pour savoir ce qu’ils pensent qu’il faudrait faire», a commenté Richard Seeley, président de la Fédération des enseignants des écoles secondaires de l’Ontario, district 6A. «Probablement qu’une approche régionale ne serait pas une mauvaise chose. Nos membres veulent retourner à l’école. Ils veulent revoir leurs élèves. Et nous voulons que les enfants reviennent aussi. Mais nous voulons que cela se fasse en toute sécurité.»
Ce que cela signifie pour les enseignants est clair: le gouvernement Ford a les coudées franches pour décider ce qu’il veut, et les syndicats de l’éducation vont l’accepter.
Au plus fort de la troisième vague, en avril, les écoles de l’Ontario n’étaient fermées que parce que les médecins hygiénistes locaux de Toronto et de la région voisine de Peel avaient pris la décision de le faire, et ce en raison du tollé des experts de la santé, y compris un grand nombre de ceux qui siègent à la table consultative scientifique COVID-19 du gouvernement. Aucune demande de fermeture d’école n’a été formulée par les syndicats, alors même que les infections se multipliaient parmi les enseignants, les élèves et les parents. Au contraire, la Fédération du travail de l’Ontario a envoyé une lettre au gouvernement Ford qui n’a pas demandé la fermeture d’une seule entreprise et l’a supplié d’«ouvrir la porte» à une coopération plus étroite avec les syndicats pour maintenir l’économie ouverte.
Si l’on veut empêcher l’élite dirigeante de continuer à jouer à la roulette russe avec la vie des travailleurs et de leurs familles, la classe ouvrière doit intervenir en tant que force politique indépendante, luttant pour une réponse scientifique à la pandémie qui donne la priorité à la protection de la vie et des moyens de subsistance des travailleurs sur le profit capitaliste. Cela doit inclure: un arrêt complet et total de toute production non essentielle jusqu’à ce que la pandémie soit terminée, avec plein salaire pour tous les travailleurs; le maintien de l’apprentissage en ligne avec des milliards de dollars de soutien financier pour les étudiants et leurs familles; et un plan scientifique pour vacciner tout le monde avant que les réouvertures soient autorisées. Les ressources nécessaires à ces mesures doivent être saisies auprès des sociétés et de l’oligarchie financière dans une attaque frontale contre le système de profit capitaliste.
Pour faire avancer cette lutte, nous appelons tous les travailleurs à former des comités de base sur leur lieu de travail, dans les écoles et les quartiers, indépendamment des appareils syndicaux procapitalistes.
(Article paru en anglais le 21 mai 2021)