Un scénario cauchemardesque continue de se réaliser en Inde où, selon le décompte officiel, plus de deux personnes meurent du COVID-19 chaque minute.
Dimanche, le deuxième pays le plus peuplé du monde a franchi la sombre étape des 300 000 décès officiels, rejoignant les États-Unis et le Brésil, seuls pays à avoir dépassé ce chiffre. La semaine dernière, le 19 mai, l'Inde avait franchi une autre étape sinistre lorsqu'elle a officiellement enregistré 4529 décès quotidien dus au COVID-19, dépassant les 4475 décès signalés aux États-Unis le 12 janvier ; un nouveau record mondial.
Mais le nombre réel de morts en Inde, suite à une deuxième vague dévastatrice qui a vu le nombre total de cas augmenter de plus de 14 millions pour atteindre 26,8 millions le 1er avril, est estimé (article en anglais) de cinq à dix fois plus élevé que le décompte officiel. Ce qui signifie que le COVID-19 tue actuellement en Inde des dizaines de milliers de gens chaque jour.
Les hôpitaux étant pleins, des centaines de milliers de personnes très malades n'ont pas accès aux lits, aux traitements antiviraux et à l'oxygène médical. Les hôpitaux surchargés et en sous-effectif ont permis aux proches des patients de remplacer les soignants, où ils essaient de trouver de l’oxygène, et lorsque les conditions s'aggravent, un autre hôpital avec un lit de soins intensifs ou un respirateur. Les conditions exiguës que cela implique ont fait des meilleurs hôpitaux indiens des vecteurs de transmission du virus.
Les médecins et les internes d’hôpitaux sont régulièrement confrontés à la lourde tâche de déterminer quels patients ont accès aux lits USI, à l'oxygène, aux respirateurs et aux médicaments vitaux – déterminer, en fait, qui a une chance de vivre et qui doit mourir. Rohan Aggarwal, un jeune médecin interne non vacciné de 26 ans qui a été recruté pour soigner des patients à l'hôpital Holy Family de New Delhi, a décrit la terrible épreuve des médecins: «Nous ne sommes pas faits pour cela – nous ne sommes que des humains. Mais à ce stade, on nous force à le faire. »
Les travailleurs de la santé travaillent dans des hôpitaux plus que bondés où il peut y avoir deux patients par lit simple, et les patients qui se voient refuser l'entrée meurent à l'extérieur sur des brancards. Les médecins et les soignants réclament des équipements de protection individuelle (EPI), un besoin urgent pour prévenir l'infection et la mort pour les patients et pour eux-mêmes.
Les appels à une protection de base et minimale pour les travailleurs de la santé n'ont pas été entendus par le gouvernement d'extrême droite dirigé par Narendra Modi. À la suite d'un message de colère sur Twitter déclarant que «les imperméables ne sont pas adéquats», après que son hôpital a fourni des imperméables au lieu d' EPIs de qualité médicale, le Dr Indranil Khan, un oncologue de Calcutta, a été détenu par les autorités pendant plus d'un jour et relâché seulement après s'être rétracté. .
L'Association médicale indienne (IMA), qui a sévèrement critiqué le gouvernement Modi pour ne pas avoir imposé de confinement national et traité «l'économie» comme «plus précieuse» que la «vie», a rapporté le 22 mai que 420 médecins étaient décédés au cours de la deuxième vague qui a débuté de mi-février à début mars. Cinq jours avant, l'IMA signalait 244 décès, mettant en évidence la trajectoire exponentielle de l'infection et de la mort. L'IMA affirme qu'au moins 1 150 médecins sont décédés en raison de la pandémie au cours des 15 derniers mois. «La deuxième vague de la pandémie s'avère extrêmement mortelle pour tous et en particulier pour ceux qui sont en première ligne de la lutte contre le COVID-19», a déclaré le président de l'IMA, le Dr JA Jayalal, à Business Today.
On demande aux médecins qui présentent des symptômes du COVID-19 de mettre leur vie et celle de leurs patients en danger en continuant de travailler en attendant les résultats de leurs tests. «Je ne peux pas respirer. En fait, j’ai plus de symptômes que mes patients. Alors, comment peuvent-ils me faire travailler? » a déclaré le Dr Siddharth Tara, un étudiant de troisième cycle en médecine à l'hôpital Hindu Rao de New Delhi, géré par le gouvernement. «Nous sommes de la chair à canon, c'est tout.»
Tara a déclaré que les internes recevaient tous les mois leur salaire avec deux mois de retard. L'année dernière, ils n’ont reçu quatre mois d’arriérés de salaires qu’après avoir commencé une grève de la faim au milieu de la pandémie.
Le Dr Subarna Sarkar, qui travaille dans un hôpital de la ville de Pune, dans l'État occidental du Maharashtra, a déclaré à l'Associated Press qu'il se sentait trahi par l'administration de l'hôpital: «Pourquoi n'y a-t-il pas eu plus d'embauches? Pourquoi l'infrastructure n'a-t-elle pas été renforcée? C'est comme si nous n'avions rien appris de la première vague. »
Lorsque les meilleurs hôpitaux de l'Inde sont proches de l'effondrement, la situation des travailleurs de la santé mal équipés, mal formés, mal payés et relativement peu nombreux dans les régions rurales de l'Inde est plus que désespérée. Pendant des décennies, la classe dirigeante a privé le système de soins de santé de ressources, l'État indien dépensant l'équivalent de seulement 1,5 pour cent de son PIB par an en soins de santé. Dans l'Inde rurale, la pénurie de médecins, de matériel médical et de médicaments est particulièrement aiguë.
Une enquête du gouvernement de l’Union indienne a révélé en 2020 que bon nombre des 5183 centres de santé communautaires (CSC) du pays, censés être l'équivalent rural des hôpitaux de premier niveau [centres de soins pour cas suspects ou moins graves], ne disposaient même pas d'un approvisionnement régulier en médicaments essentiels. Cela touchait 28 des 57 CSC du Bihar, le troisième État le plus peuplé du pays. Plus de la moitié de tous les CSC, 2700, n'avaient pas d'appareils radiologiques fonctionnels.
En raison de la pénurie de personnel qualifié, la tâche de prendre en charge les patients atteints de COVID-19 dans les régions rurales de l'Inde est en grande partie assumée par les Activistes accrédités de la santé sociale (ASHA). Main-d'œuvre entièrement féminine de prestataires de santé communautaires bénévoles ayant reçu une formation sanitaire rudimentaire, les AHSA sont obligées d'accomplir des tâches difficiles qui devraient être effectuées par des professionnels de la santé correctement formés et rémunérés.
Les ASHA sont payées 2000 roupies (21 euros) par mois, auxquels ont été ajoutés 10,60 maigres euros pour des tâches supplémentaires liées au COVID-19. Ces travailleuses sont chargées de faire du porte-à-porte pour instruire les villageois sur la pandémie, le dépistage du COVID-19, la recherche des contacts et la mise en quarantaine.
«Le gouvernement nous paie 1 000 roupies par mois pour nous mettre en première ligne du travail avec le COVID-19. Voilà ce que représente le peu de valeur de nos vies », déclare Rohini Pawar, 32 ans, agente de santé communautaire à Walhe, un village du Maharashtra. «Au lieu de masques N-95, ils nous ont donné deux draps de lit épais à utiliser comme tissu», a déclaré Jyoti Pawar à CNN.
Le lourd tribut payé par les travailleurs de la santé n'est pas unique à l'Inde. Au début du mois de mars, Amnesty International a publié un rapport qui évaluait à plus de 17 000 le nombre de décès parmi les travailleurs de la santé dans le monde. L'organisation admet qu'il s'agit d'une sous-estimation importante car de nombreux gouvernements n'ont pas collecté de données officielles ou ne l'ont fait que partiellement.
Un précédent rapport d'Amnesty International, publié en juillet 2020, avait révélé des pénuries d'EPI adéquats dans presque chacun des 63 pays suivis. Faisant écho à la persécution subie par le Dr Khan, le rapport cite le personnel auxiliaire et les travailleurs sociaux dans un certain nombre de pays, dont la Malaisie, le Mexique et les États-Unis, confrontés à des représailles, y compris le licenciement et l'arrestation, après avoir exigé des EPI et des conditions de travail sûres.
Le rapport d'Amnesty de mars 2021 décrit comment, en raison du nationalisme vaccinal où les pays riches stockent des vaccins et les utilisent pour favoriser leurs intérêts géopolitiques prédateurs, dans plus de 100 pays pas un seul agent de santé n'a été vacciné.
La crise actuelle à laquelle sont confrontés les travailleurs de la santé et la population mondiale était entièrement évitable. Au cours des 15 derniers mois de la pandémie, la sauvegarde de la richesse des entreprises et de l'oligarchie financière a eu à chaque instant priorité sur la protection de la vie et des moyens d’existence des travailleurs. Plutôt que de contenir la pandémie et de lancer un programme de vaccination mondiale équitable et rigoureux, la bourgeoisie mondiale a profité de la crise pour accroître encore sa richesse personnelle.
L'organisation caritative Oxfam a rapporté que la richesse combinée des 10 hommes les plus riches du monde a augmenté de 540 milliards de dollars pendant la pandémie, alors même que des centaines de millions de personnes – 230 millions rien qu'en Inde – ont été poussées en-dessous du seuil de pauvreté, et jusqu'à 10 millions, selon la dernière estimation de l'OMS, ont perdu la vie.
La propagation continue du virus favorise l'émergence de nouveaux variants de COVID-19 plus contagieux et potentiellement résistants aux vaccins, et contribue à la propagation de maladies qui affectent principalement les pauvres, notamment la tuberculose et le ‘champignon noir’. Cette maladie maintenant déclaré une épidémie dans certains États de l'Inde, se propage à partir de moisissures trouvées dans des logements insalubres. Il attaque les systèmes immunitaires affaiblis par le COVID-19 et a fait au moins 90 morts en Inde, comme l'a rapporté CNN le 21 mai.
Dans le cadre de sa campagne mortifère d’ouverture des écoles, la classe dirigeante aux États-Unis a vacciné 600.000 enfants de 12 à 15 ans, tandis que les travailleurs de première ligne, y compris les médecins et les soignants, se battent dans une grande partie du monde pour sauver des vies dans des conditions épouvantables, et sans être vaccinés.
Le capitalisme et le système d'États-nations rivaux dans lequel il est ancré s’opposent à une réponse rationnelle, fondée sur la science, à la pandémie. Si sauver des vies et supprimer un virus qui ne connaît pas de frontières doit avoir priorité sur la poursuite du profit capitaliste, la classe ouvrière internationale doit intervenir en tant que force politique indépendante pour retirer le contrôle de la réponse à la pandémie aux élites dirigeantes capitalistes, et le prendre entre ses mains.
(Article paru en anglais le 25 mai 2021)